Quand le planning familial sort du placard
Quelle santé pour les personnes LGBTQI+ ? C’était l’objet d’une conférence qu’organisait, le 6 décembre 2019 à Bruxelles, la Fédération Laïque de Centres de Planning Familial (FLCPF). L’orientation sexuelle, l’identité de genre, la variété des pratiques sexuelles et des relations affectives impliquent différents besoins en termes de santé. Malgré les progrès sociaux enregistrés ces dernières décennies, les études en sciences sociales et en santé publique indiquent un état de santé moins bon chez les LGBTQI+ que dans la population hétérosexuelle cisgenre. L’organisation de cette après-midi, à destination des professionnel.le.s de Centres de Planning Familial (CPF) et d’autres acteurs associatifs, résultait d’un examen de la littérature scientifique, d’une réflexion, de constats et d’une volonté d’améliorer la prise en charge des personnes LGBTQI+ en CPF. Cette analyse relate l’état de nos questionnements et une contextualisation historique et politique de la santé et des droits sexuels des LGBTQI+.
Quelques définitions
LGBTQI+ : Lesbiennes, Gays, Bisexuel.le.s, Transgenres, Queers, Intersexes et « + » indiquant la multitudes d’identités sexuelles, romantiques, de genres (Ex : Pansexuels, Polyamoureux, Asexuels).Cisgenre : (>< transgenre) dont le sexe assigné à la naissance correspond au genre de l’individu.Intersectionnalité : concept sociologique qui étudie les interactions entre les formes de domination/discrimination (racisme, sexisme, homophobie).Hétéro & Cis-normativité : croyances et pratiques faisant apparaître comme évident le caractère binaire des genres (hommes-femmes) et des caractéristiques sexuelles (mâle-femelle), et présentant l’hétérosexualité comme étant la seule sexualité acceptable dans notre société.
« Les personnes LGBTQI+ ont un état de santé souvent inférieur à la population générale »
Quels sont les besoins en matière de santé des personnes LGBTQI+ ? Le rapport « Health4LGBTI » (Commission européenne, 2017), fait état des causes structurelles des inégalités sociales de santé des LGBTQI+ dans l’Union Européenne tant concernant leur état de santé que les freins à l’accès aux soins. Cela a pour conséquence des opportunités manquées en matière d’IST (dont le VIH et le HPV), de surpoids, de dépression, d’anxiété, d’idée/tentative de suicide, ainsi qu‘une dépendance à l’alcool, tabac et autres psychotropes. Ainsi, 60% des personnes intersexes ont fait une tentative de suicide contre 3% pour la population hétérosexuelle cisgenre. Cet état de santé peut s’aggraver au regard d’une analyse intersectionnelle, comprenant des facteurs tels que l’âge, le lieu de résidence, le statut légal, la culture d’origine, etc. Ce document se clôture par des recommandations adressées à la recherche, aux autorités, mais également à la formation et à la pratique de terrain (www.observatoire-sidasexualites.be/health-4-lgbti).
De son côté, la FLCPF a également posé plusieurs constats.
- La population générale a une représentation genrée et hétéronormée de la planification familiale « pour les femmes hétérosexuelles et cisgenres en âge reproductif ». Rien que le nom de « planning familial » induit en erreur.
- Les personnes LGBTQI+ n’identifient pas forcément le planning comme étant une ressource pour leur santé.
- Les professionnel.le.s de santé pourraient ressentir de l’inconfort pour aborder les modes de vie et les pratiques des LGBTQI+ ou minimiseraient l’impact de l’orientation sexuelle sur leur santé.
L’analyse d’une recherche exploratoire (FLCPF, non-publiée, 2019) auprès de 5 CPF est venue confirmer et compléter nos hypothèses en interrogeant les attitudes professionnelles, les compétences et les ressources, et la dimension spatiale.
Relevons 3 éléments parlants :D’abord, tou.te.s se positionnent en faveur d’un meilleur accès aux soins des personnes LGBTQI+, mais beaucoup admettent ne pas comprendre pourquoi il serait nécessaire de les prendre en charge « différemment » si l’objectif est de réduire les inégalités.
Ensuite, les professionnel.le.s expriment un manque de ressources et de documentation sur la santé des LGBTQI+, ainsi qu’un manque de connaissances sur leurs spécificités de santé.
Enfin, dans la plupart des salles d’attente, la quasi-totalité de la documentation/affiches représente des personnes cisgenres, et/ou en couple hétérosexuel. Néanmoins, les CPF réfléchissent aux signes qui rendraient l’espace plus accueillant tout en demeurant généraliste. De plus, disposer d’un espace d’accueil confidentiel (par rapport à la salle d’attente) favoriserait l’échange d’informations.
Ce processus nous a conduit à créer le projet « Plan LGBTQI+ » aux objectifs multiples : augmenter les connaissances et les compétences des CPF à l’accueil et à la prise en charge des LGBTQI+, créer un environnement favorable à l’accueil et à la prise en charge, et en réseau. Plan LGBTQI+ est réalisé en partenariat avec l’Observatoire du Sida & des Sexualités, le CPF « Plan F » et des associations communautaires (Genres Pluriels, Ex-Aequo, O’Yes et Tels Quels). Cette collaboration a mené à la réalisation d’une brochure à destination des professionnel.le.s sur l’accueil et l’accompagnement des personnes LGBTQI+, d’une plaquette à destination des LGBTQI+ sur l’offre de services des plannings familiaux et d’une formation de 3 jours pour les professionnel.le.s (ces outils et informations sont accessibles sur le site du planning familial www.planningfamilial.net ).
« Dépathologisons les corps et les vies des personnes LGBTQI+ »
Lors de la conférence, Myriam MONHEIM, psychologue, psychothérapeute systémicienne et spécialisée dans la prise en charge des publics LGBTQI+ au Plan F, nous a partagé sa chronologie subjective des évènements marquants au croisement des questions d’orientation sexuelle/transidentitaires et du secteur planning. Les CPF sont nés des mouvements sociaux de la fin des années 60 dans un contexte de libéralisation de la sexualité, des droits des femmes et du droit à disposer de son corps. Dès la fin des années 70, certains CPF prennent part à l’émergence des questions sur l’orientation sexuelle, et plus tard, au combat contre l’épidémie de sida touchant de plein fouet, entre autres, les gays. Ces différents mouvements ont conduit à de nombreuses avancées sociales et législatives durant ces 40 dernières années, d’abord pour les femmes (Loi sur l’IVG de 1990), ensuite pour les gays et lesbiennes (Loi sur le mariage homosexuel de 2003, sur l’adoption en 2006), et finalement pour les personnes trans* (Loi « transexualité » de 2007) et des personnes inter* (Proposition de résolution 2019 pour les droits fondamentaux des personnes intersexes).
Pourtant, depuis quelques années, nous observons une tension généralisée de la société. Les discours se polarisent. Certains acquis semblent vouloir être remis en question par certains. Au niveau européen et mondial, certains gouvernements réactionnaires restreignent les droits sexuels et reproductifs. L’Histoire nous enseigne que dans ces périodes de tensions sociétales, les premiers dont les droits sont remis en question sont ceux des étrangers, des femmes, des LGBTQI+, des personnes porteuses de handicap En 2018, UNIA a enregistré une hausse des plaintes des personnes LGBTQI+ (+48,8% par rapport à 2017) pour violences verbales et physiques (UNIA, 2019).
La Belgique est toutefois l’un des pays les « mieux lotis » en termes de droits des minorités sexuelles et de genre et les gouvernements francophones font de la défense des droits des femmes et des LGBTQI+ des priorités pour la législature 2019-2024. En effet, les différentes déclarations mettent en évidence la nécessité d’améliorer l’organisation des soins de santé et leur accessibilité aux personnes LGBTQI+, afin de lutter contre les inégalités sociales et les discriminations (FLCPF, non publié, 2019).
« Être ouvert à tous sans distinction, c’est louable ! Cependant, c’est faire fi des réalités vécues par les personnes LGBTQI+ »
Lors de son exposé, Sandrine DETANDT, docteure en psychologie, professeure à l’ULB et chercheuse à l’Observatoire du Sida et des Sexualités, est revenue sur un état des lieux de la santé des LGBTQI+. Les normes culturelles et sociales ont construit et perpétuent le modèle hétérosexuel et la binarité des corps et des genres (hétéro/cis-normativité). Ces normes contribuent à un état de santé moins bon chez les personnes LGBTQI+ dus aux comportements hétéro/cis-sexistes, aux violences, aux facteurs de stress, aux discriminations institutionnelles et à la stigmatisation vécues par ces personnes.
Le concept de syndémie, présenté par Maxence OUAFIK, médecin, assistant en médecine générale, doctorant en sciences médicales à l’ULg, envisage les disparités de santé des LGBTQI+ comme un processus biosocial et non uniquement biomédical. Dans cette approche, plusieurs problèmes de santé concomitants ne sont plus pris séparément ou additionnés, mais envisagés comme le résultat d’interactions entre eux, en tenant compte du stress minoritaire et du contexte social de la personne LGBTQI+. L’objectif étant d’apporter une réponse thérapeutique holistique et transdisciplinaire (à retrouver dans la revue Santé conjuguée n°86, mars 2019).
Vers un universalisme proportionné
À l’arrivée, la conférence et ses différents exposés nous ont permis de mieux comprendre l’état de santé, les freins aux soins de santé des LGBTQI+, et l’importance d’une prise en charge globale transdisciplinaire en tenant compte de l’aspect biosocial de l’ensemble des problèmes de santé. La contextualisation historique de la planification familiale au regard des avancées sociales et législatives des personnes LGBTQI+, quant à elle, nous aide à mieux comprendre d’où nous venons et vers quoi nous devrions tendre. L’un des enjeux majeurs est de mieux appréhender la notion d’universalisme proportionné, concept-clef en sciences sociales et en promotion de la santé, qui encourage à combiner une approche universaliste et des approches ciblées afin d’apporter une réponse à l’ensemble de la population et, dans le même temps, une réponse spécifique aux publics plus vulnérables. Cela aura pour effet de diminuer les écarts entre les publics et les inégalités sociales de santé, tout en répondant aux besoins des populations (L. VIÉVARD, 2016). Les personnes LGBTQI+ sont des individus « comme les autres », cependant, il est important de répondre à leurs besoins sans omettre leurs spécificités sociales et de santé. La reconnaissance des droits est un signal de normalisation et un instrument dans la lutte contre le stress minoritaire. Nous avons donc toutes les cartes en main pour construire une réponse structurelle et de qualité dans l’accueil et la prise en charge des personnes LGBTQI+.
Pour aller plus loin, les références à la base de l’article
COMMISSION EUROPEENNE (2017). HEALTH 4 LGBTI : Reducing health inequalities experienced by LGBTI people: « State-of-the-art study focusing on the health inequalities faced by LGBTI people; State-of-the-Art Synthesis Report », Bruxelles, 250p.FLCPF, A. PIESSENS (2019). Synthèse des déclarations de politiques régionale (Wallonie, Bruxelles-Capitale, COCOF) et communautaire (FWB) : Secteur du planning familial et des droits et de la santé sexuelle et reproductive (Législature 2019-2024) (non publiée), Bruxelles, 11p.FLCPF, J. MINDERS (2019). Orientation sexuelle & Identité de genre en Centres de Planning Familial : « Recherche exploratoire – Note analytique » (non publiée), Bruxelles, 4p.L. VIEVARD (juin 2016). L’universalisme proportionné : un principe récent pour des politiques publiques plus justes, Prospective Lyon, 2p.M. MONHEIM (décembre 2019). Chronologie subjective d’évènements marquants au croisement des questions d’orientation sexuelle et transidentitaires et du secteur du planning et de la FLCPF en particulier – Support de présentation « Conférence Plan LGBTQI+ », Bruxelles, 6 décembre 2019, 26d.M. OUAFIK (décembre 2019). La Santé des personnes LGBTQI+ : Approche syndémique des disparités de santé dans la communauté LGBTQI+ – Support de présentation « Conférence Plan LGBTQI+ », Bruxelles, 6 décembre 2019, 51d.M. OUAFIK (mars 2019). Dossier « LGBTQI+, des patient.e.s aux besoins spécifiques » : La syndémie, un concept neuf. Santé conjuguée, n°86, p. 25-26.S. DETANDT (décembre 2019). Rapport « Health4LGBTI » Les inégalités de santé et l’état de santé des personnes LGBTQI+ – Support de présentation « Conférence Plan LGBTQI+ », Bruxelles, 6 décembre 2019, 16d.UNIA (2019). Rapport 2018 : Renouer avec les droits humains, Bruxelles, 88p.
Stress minoritaire : Ensemble des stress subis par les individus d’un groupe minoritaire stigmatisé ayant un impact négatif sur leur santé. (Ex : auto-stigmatisation, anticipation d’évènements négatifs, dissimulation de l’orientation sexuelle).
Syndémie : Contraction de « synergie » et du suffixe « -démie ». Concept qui vise à prendre en compte les différentes pathologies, le contexte social et les facteurs de stress minoritaire comme étant interconnectés et aggravant l’état de santé.
Hétéro & Cis-sexisme : Présupposer que toute personne est hétérosexuelle ou cisgenre (Effets : rejet, anxiété sociale, sentiment de honte et de culpabilité, frein à l’accès aux soins).
IST : Infections sexuellement transmissibles (VIH : Virus de l’immunodéficience humaine – HPV : Papillomavirus humain).
CPF : Lieu d’accueil et de prise en charge médico-psycho-socio-juridique, spécialisé en santé sexuelle et reproductive.
FLCPF : Association fédérant 42 CPF (Bruxelles/Wallonie), dont 22 pratiquent l’IVG. Elle promeut les droits sexuels et reproductifs comme faisant partie intégrante des droits humains afin de renforcer la liberté, l’égalité et la dignité de la population.