« Tous fous ? Parler autrement de la santé mentale » est le titre d’une brochure éditée par la Fondation Roi Baudouin, en partenariat avec les Fonds Julie Renson et Reine Fabiola, basée sur une recherche réalisée par l’Institut pour l’Étude des Médias de la KUL. Éducation Santé a rencontré Yves Dario, coordinateur de projet à la Fondation Roi Baudouin, qui nous explique la genèse de ce projet.
Avec cette publication, la Fondation Roi Baudouin veut mettre l’accent sur un sujet qui, complexe et souvent tabou, touche quasi l’ensemble de la société belge. Il s’agit de la communication autour des personnes avec un trouble de la santé mentale.
Les représentations sociales à propos de celles-ci et de leur entourage constituent la pierre angulaire du projet.
Qu’est-ce qu’un trouble psychique ?
Selon le CIM de l’OMS, un trouble psychique est défini comme étant un «… ensemble de symptômes et de comportements cliniquement identifiables, associés dans la plupart des cas, à un sentiment de détresse et à une perturbation du fonctionnement personnel». Tandis que pour le DSM, un trouble psychique peut être défini comme un « syndrome caractérisé par une perturbation cliniquement de la cognition d’un individu, de sa régulation émotionnelle, ou de son comportement, et qui reflète l’existence d’un dysfonctionnement dans les processus psychologiques, biologiques ou développementaux sous-tendant le fonctionnement mental ».
Dans le cadre de la recherche initiée par la Fondation, le trouble psychique est envisagé de manière très large « comme tous les troubles qui ont trait au psychisme et qui sont suffisamment graves pour entraver la vie de la personne et la limiter dans son autonomie et dans ses activités quotidiennes », souligne Yves Dario.
Identification d’un besoin : communiquer autrement
Le rapport de recherche d’une centaine de pages intitulé « (Se) Représenter autrement les personnes avec des troubles psychiques » montre la nécessité, pour les personnes avec une maladie psychique, que l’on communique différemment à leurs propos.
Il s’agit donc de « commencer par analyser la manière dont on communique aujourd’hui sur les troubles psychiques. La méthodologie utilisée pour ce faire est simple : on débute par une analyse de coupures de presse, de reportages de fictions, de reportages d’informations et de toutes les illustrations qui les accompagnent. À partir de là, la KUL dégage les différentes manières dont on représente les personnes avec un trouble psychique. Elle a dégagé ainsi deux types de représentation. D’une part, celles qui mettent des personnes avec un trouble psychique dans une position plutôt problématisante, appellées ‘frames‘. D’autre part, les représentations qu’on appelle ‘counterframes‘ où le trouble psychique est déproblématisé ».
À quoi sert cette étude ?
L’utilité de cette recherche tient au fait que la manière dont une société parle et envisage les troubles psychiques influe sur l’apparition de ces troubles, sur leur traitement et aussi sur les possibilités de rétablissement des personnes qui en sont atteintes. Détecter la manière dont on construit la communication autour des troubles psychiques revêt donc une importance capitale pour tenter d’éviter, tant que faire se peut, la stigmatisation des personnes avec un trouble psychique, ainsi que leur autostigmatisation.
En finir avec la stigmatisation
Aujourd’hui, notre société est encore assujettie aux images négatives qu’elle se fait des personnes avec une maladie mentale.
Les citoyens, les médias, la publicité, les fictions nourrissent cette stigmatisation. Cela nous concerne tous. Il s’agit de la santé mentale et de la manière dont nous communiquons à ce propos, de la manière dont nous déterminons en partie, par notre langage, la vie des gens, et de la manière dont nous pouvons aussi communiquer autrement, et contribuer ainsi à une meilleure qualité de notre société.
Avec cette recherche, la Fondation propose un outil permettant une analyse de la communication à propos de ce public.
Quand on pense à un trouble psychique, « On imagine plein de choses sur la manière dont la personne est, sur la manière dont la personne vit. Ce sont vraiment ces images, ces étiquettes que l’on colle sur les personnes avec des troubles psychiques qui engendrent une stigmatisation. Par exemple, on va penser que c’est une personne faible et donc que c’est pour cela qu’elle est dépressive. Ou bien que si une personne est schizophrène, elle est monstrueuse et qu’elle risque de perdre le contrôle d’elle-même… » explique Yves Dario.
La recherche et la brochure constituent donc des outils destinés à toutes les personnes s’intéressant à la manière dont on communique avec et à propos des personnes avec un trouble psychique et qui souhaitent développer une communication plus nuancée et moins stigmatisante.
Évitons de caricaturer
Quand on communique à propos d’une personne avec un trouble psychique, on ne doit pas se baser uniquement sur son diagnostic. Sinon, « On ne prend en compte qu’une seule partie de l’image, qu’une seule facette de la personne et ça lui fait mal, à elle d’abord et à son entourage ensuite. Cela aura un effet négatif sur son rétablissement aussi.
Parce qu’elle va se sentir encore plus mal et elle va encore moins croire au fait qu’elle peut passer au travers de cela et qu’elle peut se rétablir malgré le trouble qu’elle ressent. » Le point de départ de cette initiative est de se dire « Arrêtons de représenter les personnes avec un trouble psychique de manière caricaturale, essayons de comprendre comment elles sont représentées et après on verra comment les représenter autrement en utilisant les multiples facettes de leur personnalité ».
Prise de conscience
Grâce à la recherche initiée par la Fondation, on dispose aujourd’hui d’une matrice qui permet de détecter les représentations les plus fréquemment utilisées en Belgique.
Celle-ci a notamment été testée auprès du monde professionnel de la santé mentale.
Elle présente 12 façons dont on se représente le trouble psychique dans notre société.
Les 5 frames problématisants :
- La peur de l’inconnu : la peur des personnes pour ce qu’elles ne connaissent pas, désigne le fait de se méfier des personnes malades parce qu’elles sont considérées comme un danger, ayant un comportement imprévisible.
- La maîtrise de soi : cela exprime que l’individu malade est vu comme faible et indiscipliné.
- Le monstre : la personne malade est prise dans une situation où des forces obscures prennent le dessus, elle ne maîtrise plus rien et devient le jouet du trouble psychique qu’elle subit et tombe dans une spirale négative.
- Le maillon faible : le malade est vu comme inapte à vivre au sein d’une société dont il n’arrive pas à suivre les attentes, incapable de s’assumer.
- La proie facile : l’individu malade est perçu comme vulnérable, comme quelqu’un dont les pseudo-scientifiques profitent de la détresse.
Les 7 counterframes déproblématisants :
- La mosaïque : il s’agit de voir la personne dans sa globalité, la maladie ne constitue qu’une seule « facette » de sa personnalité parmi tant d’autres.
- Le cas particulier : de tout temps, ce qui est « hors norme » attire l’attention. La maladie est vue comme une spécificité qu’il est parfois utile de mettre en avant, il s’agit quelquefois d’une capacité particulière ou d’un talent.
- La jambe cassée : le trouble psychique est considéré telle une maladie physique qui peut se guérir via un bon traitement, un processus de guérison peut commencer.
- La longue marche : l’accent est mis sur le vécu de la personne. Elle doit faire le point de son parcours et penser à son rétablissement, voire accepter de vivre avec les contraintes de la maladie et développer une nouvelle identité en fonction de ce qu’elle est réellement.
- La faille : il s’agit ici de considérer la maladie comme étant une réaction compréhensible à un traumatisme, suite donc à un événement externe qui est démontrable.
- Le canari dans la mine : les troubles psychiques trouvent leurs sources au sein même de notre société, qui est devenue trop exigeante et donc, qui engendre une pression trop forte sur les personnes.
- L’invité imprévu : l’élément central est que la personne comprenne et accepte qu’il y a chez elle « quelque chose » qu’elle n’a pas voulu. Dont elle ne sera jamais certaine qu’il disparaîtra un jour. Qu’elle doit intégrer dans son existence.
Pour quels publics ?
« L’idée pour la Fondation n’était évidemment pas de réaliser une recherche et de la laisser traîner dans un tiroir. Le but était de pouvoir mettre les résultats de celle-ci en application. Aussi, trois publics ont plus particulièrement été ciblés » précise Yves Dario.
Premièrement, les professionnels de la santé mentale, « parce que les psychologues, les psychiatres, les assistants sociaux… ne sont pas forcément les personnes qui discriminent le moins dans leurs communications ». C’est pourquoi la Fondation, en partenariat avec les Fonds Julie Renson et Reine Fabiola, a lancé un appel à projets.
« Celui-ci s’adresse aux équipes actives dans le secteur des soins de santé mentale, dans des structures hospitalières ou ambulatoires, qu’il s’agisse de services de santé mentale ou de partenaires dans le domaine de la réinsertion socioprofessionnelle, du logement ou de l’aide sociale. Après un exercice d’auto-évaluation des représentations sociales des troubles psychiques qui vivent dans leurs services, nous allons soutenir le développement de programmes visant à améliorer la culture de communication interne ». À côté du soutien financier, des coaches seront présents afin d’aider les sélectionnés dans leur projet.
Deuxièmement, les professionnels des médias et de la communication, dont les journalistes et les responsables de la communication seront ciblés. Via le périodique de l’AJP 5, qui soutient donc l’action, tous les journalistes membres de l’association ont reçu la brochure qui compile les résultats de l’étude. Après cette diffusion large de l’information, l’étape suivante sera « d’organiser à l’automne un premier ‘workshop‘ visant à stimuler le dialogue entre journalistes, usagers de la santé mentale et professionnels qui entourent les personnes avec des troubles psychiques. »
L’objectif est vraiment de créer un échange autour du sujet, afin de confronter les différentes idées et les vécus de chacun d’entre eux. « L’idéal serait, d’une part, que les journalistes présentent leurs contraintes quand ils travaillent. Pourquoi est-ce qu’ils doivent simplifier, caricaturer les troubles psychiques, aller à l’essentiel dans les articles, etc. Et, d’autre part, que les usagers de la santé mentale puissent expliquer les répercussions qu’une communication qui manque de nuances peut avoir sur leur vécu.
Le mot d’ordre sera donc : apprenons à nous connaître, à savoir comment nous fonctionnons afin d’améliorer la communication autour des troubles psychiques ».
Finalement, le dernier public est constitué des professionnels du monde judiciaire, c’est-à-dire, la police, la magistrature et le personnel pénitentiaire. Avant la fin de l’année également, une première formation axée sur la magistrature sera programmée. « La Fondation collabore avec l’IFJ 6, qui est l’institut qui forme les magistrats, et ensemble ils vont développer un premier module, dont une partie sera théorique et une autre plus pratique basée sur des études de cas. Ces dernières concerneront des difficultés observées par les juges dans leur pratique professionnelle avec les usagers de la santé mentale. Quelques mois après la première journée de formation, une matinée relative aux apports de la formation sur le travail quotidien sera mise sur pied. Sur le mode de l’intervision, son but sera de créer un espace d’échange entre pairs ».
Pour conclure, la santé mentale nous concerne tous et l’initiative proposée ici ne peut être que bénéfique pour améliorer la vie en société.
Certes, pour voir concrètement les résultats il faudra du temps. Il s’agit ici de modifier une vision de la vie en communauté, de changer de moeurs, et surtout de déclencher LE déclic qui permet de voir autrement…
Nous possédons dorénavant un outil qui permet de nuancer la communication à propos des personnes avec un trouble psychique, en combinant «frames» et «counterframes».
Pour toutes informations sur le rapport de recherche et la brochure, qui sont disponibles gratuitement en version papier ou électronique, et sur l’appel à projets, visitez le site de la Fondation Roi Baudouin.
Classification internationale des maladies selon l’Organisation Mondiale de la Santé.
P. SCHULZ, Traitements des troubles psychiatriques selon le DSM-5 et la CIM-10, coll. Psychopharmacologie clinique, Vol 3, De Boeck supérieur, Bruxelles, 2016, p. 41.
Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux
P. SCHULZ, Traitements des troubles psychiatriques selon le DSM-5 et la CIM-10, coll. Psychopharmacologie clinique, Vol 3, De Boeck supérieur, Bruxelles, 2016, p. 41.