Mars 2003 Par Christian DE BOCK Initiatives

Une publication destinée aux invalides: évaluation concluante

Les nouveaux invalides représentent, parmi les affiliés des mutualités, un public fragilisé. La Mutualité chrétienne a le souci d’améliorer l’information de ce public prioritaire, et ce dans les premiers mois du passage à ce nouveau statut souvent mal vécu.
Lancé en 1999, un outil d’information spécifique de ce public, le trimestriel intitulé La vie devant nous a fait l’objet d’une évaluation après deux ans de diffusion.

Bref rappel

Nous avons évoqué ici ce projet lors de son démarrage voici près de trois ans (1).
Cette publication vise plusieurs objectifs:
– témoigner concrètement de l’intérêt que la Mutualité chrétienne porte à ses nouveaux invalides;
– donner aux nouveaux invalides une information complète, claire et précise concernant leur statut, leurs droits, leurs revenus, les possibilités de réadaptation professionnelle,…
– leur fournir des informations utiles sur leur santé en fonction de leurs pathologies;
– leur apporter un soutien ‘moral’ durant une période difficile à vivre;
– leur permettre de se resituer dans la vie sociale et leur proposer des lieux de participation et d’engagement, notamment dans les mouvements proches de la Mutualité chrétienne.
Nous avons choisi un découpage de l’information inspiré du Journal de votre enfant de la Ligue des familles. En clair, il y a au total quatre numéros de La vie devant nous , contenant des informations pratiques, légales, administratives sur l’invalidité, complétées de témoignages d’invalides et d’interviews de professionnels en contact avec eux.
Qui reçoit la publication? Les affiliés à partir du dixième mois d’incapacité primaire et pendant la première année d’invalidité. Cela représente chaque année environ 2500 à 3000 personnes pour la Mutualité chrétienne en Communauté française de Belgique.

Un témoignage

J’ai apprécié votre article sur la dépression. Beaucoup de gens, s’ils veulent comprendre, devraient le lire. Suite à des difficultés personnelles nombreuses (maladies incurables de proches morts depuis, de suicides d’amis chers, de difficultés professionnelles diverses), après avoir lutté, supporté, tenu bon pendant quatre ans, j’ai senti que le monde s’écroulait sous moi. Maintenant, je ne me sens plus capable de reprendre des relations amicales ‘comme avant’ et encore moins mon travail dans le paramédical.
Les relations amicales antérieures ont fui comme si j’étais un pestiféré… Je n’y ai trouvé que des ‘conseils moraux’ (bouge-toi, fais ceci, ne te laisse pas aller, etc.): quand vous n’attendez plus rien de la vie, cela n’a aucun effet positif sinon que j’étais plus moche après leur passage qu’avant! Jamais aucun ‘ami’ ne m’a laissé parler librement, trop enclin à ‘me trouver une solution’ ou ce qu’il estimait en être une… La solitude est venue avec des bottes de sept lieux!
Grand lecteur avant ma dépression, mon manque de concentration ne me permet pas certains jours de suivre quatre lignes d’affilée même d’un ‘bête bouquin’: je dois relire trois, quatre, voire cinq fois le même passage. Tout le charme est rompu!
Et le reste est du même tonneau: un manque de plaisir total (en termes psy: l’anhédonie).
Au début de ma dépression, je prenais un verre pour me sentir mieux, rapidement j’ai pris des verres pour m’étourdir, pour quitter ce monde absurde où je vivais et dont je ne comprenais plus rien…
A 50 ans, en arriver là! Qui peut comprendre ce que 1’on ressent comme douleurs, comme souffrances, comme impuissance aussi d’autant que j’ai toujours exercé une carrière fort indépendante et sujette à responsabilité accompagnée d’horaires pas toujours à la carte, loin de là, avec de nombreux séminaires pour ‘être dans le coup’ au sein de mes différentes fonctions…
J’ai eu la chance de trouver un médecin qui a pu m’écouter, chercher avec moi les médicaments qui semblaient les plus efficaces dans mon cas, et aussi un psychothérapeute attentif mais insuffisamment là (préparation d’un doctorat, voyages, colloques, etc.).
Quand vous en êtes là, on pense souvent au suicide, d’une manière ou d’une autre, on n’a plus tellement d’espoir, étant le plus souvent considéré comme un profiteur, un tire-au-flanc, avec des remarques du genre: ‘Eh bien, c’est la pleine forme, je vois…’, ‘Secoue-toi un peu mon vieux!’, ‘Retravaille, tu verras, ça va aller…’
Quand on aligne des chiffres toute une journée, qu’on répare des moteurs, qu’on s’occupe de son petit ménage ou de ses prochaines vacances au soleil, l’autre doit ‘bien aller’… Quand on travaille soi-même avec des gens à ‘problèmes’, c’est une toute autre paire de manches. Comment comprendraient-ils mes difficultés à me lever le matin après une nuit blanche suivant une autre nuit blanche…
Et ce combat épuisant que l’on mène, jour après jour, heure après heure: pour sortir de son lit, prendre en charge les tâches ménagères du moment, essayer de trouver les mots que l’on cherche en vain et qui ne viennent plus à l’esprit; pour éviter des fautes d’orthographe en rédigeant parce qu’on ne maîtrise plus l’orthographe qu’au prix de gros efforts… Et ce tas de petites choses qui semblent vous échapper, vous faire la nique, vous empoisonner la vie…
Et cet inévitable et terrifiant ‘Pourtant tu as bonne mine’ que vos connaissances vous servent à chaque fois. Mais quelle mine, celle de se sentir décomposé, d’avoir perdu le goût des choses, de la vie même… D’essayer de survivre? Au prix d’efforts dont personne ne se doute.
Pourtant, cela peut arriver à tout le monde, même au médecin conseil de la mutuelle qui prodigue de si bons conseils lors de ses consultations. Cela on ne devrait jamais le perdre de vue: les ‘clashs’ n’arrivent pas qu’aux autres, nous sommes tous des ‘clashés’ en puissance. Un peu d’attention, de compréhension seraient le plus grand des réconforts que nous puissions trouver chez nos contemporains. Il faudrait que beaucoup de personnes relisent le beau livre d’Albert Cohen, Vous frères humains et surtout le dernier paragraphe de ce livre. Cela ferait le plus grand bien à l’humanité tout entière!
C’est pour tout cela que j’ai tenu à répondre à votre article, concis, précis mais parfois un peu trop ‘encourageant’.
Nom et adresse de l’auteur connus de la rédaction

Qu’en pensent les lecteurs?

Le test d’un numéro zéro nous avait renforcés dans notre conviction que ce type de publication répond à un besoin.
Nous avons eu l’occasion de vérifier cette hypothèse.
L’évaluation du projet a eu lieu en deux temps: d’abord envoi postal d’un questionnaire écrit auto-administré, ensuite enquête par téléphone, vu le faible taux de réponse à la première enquête.
Pour l’enquête par courrier , le questionnaire a été envoyé aux invalides ayant reçu les 4 revues, deux mois après l’envoi du quatrième numéro.
Les résultats de 76 questionnaires ont été traités. Le taux de réponse: 76/582 soit 13%, est assez faible.
Pour l’enquête par téléphone , sur base d’un listing des 533 personnes ayant reçu le quatrième numéro lors d’un autre trimestre, le centre d’appel de la Mutualité chrétienne a recherché les numéros de téléphone et contacté les personnes. Au total, 87 personnes ont répondu à l’enquête. Sur ces 87 personnes, 5 personnes concernées étaient absentes mais la famille a répondu aux questions.

Résultats

Les résultats complets de ces deux démarches d’évaluation gérées par Bernadette Taeymans sont disponibles à Infor Santé.

Profil des répondants

Sexe

%
Homme 51
Femme 49
Age %
Moins de 25 ans 0
De 26 à 35 ans 13,5
De 36 à 45 ans 27
De 46 à 55 ans 34
Plus de 55 ans 24
Pas de réponse 1,5

Il n’est pas facile d’obtenir des réponses de la part de ce public. En s’y reprenant à deux fois, on obtient quand même 163 répondants.
Le taux de réponse à la question ‘Avez-vous reçu les 4 numéros?’ est d’environ 70%, ce qui peut sembler un peu faible. Plusieurs explications sont possibles: le n° 1 est théoriquement remis en mains propres lors d’un contact personnalisé avec l’affilié, alors que les trois suivants sont envoyés par la poste, les envois s’étalent sur un an (risque d’oubli probablement plus fort pour ce type de public), nous ne maîtrisons pas la fiabilité des données fournies sur étiquettes.
L’initiative de la Mutualité chrétienne est jugée importante (89 %) et est fort appréciée (91 %).
Les répondants ont lu tout ou partie des documents (88 %), et six personnes sur dix ont conservé la publication.
La vie devant nous est jugée intéressante (83 % ), compréhensible (80 %), facile à lire (86 %), utile (78% ), complète (76%) et attrayante (80%). La publication mérite d’être prolongée (88,5 %).
La revue a aidé un quart des invalides à prendre contact avec un service ou mouvement de la mutualité (surtout le Service social), beaucoup moins avec un organisme extérieur à la mutualité (5,5%).

Les gens derrière le statut

Le plus impressionnant quand on se livre à une enquête de ce type, ce n’est pas seulement d’avoir le sentiment que le public visé a apprécié et compris la démarche; c’est surtout l’idée d’avoir pu, ne fût-ce qu’un instant, briser la solitude, soulager la souffrance des gens qui galèrent, sur le plan financier bien sûr, mais qui sont aussi dans un grand désarroi moral. Les nombreux témoignages, écrits souvent dans un français aussi approximatif que touchant, nous encouragent à continuer à leur témoigner une forme de solidarité, même symbolique, même limitée.
Christian De Bock , Infor Santé ANMC
Pour tout renseignement: Infor Santé – ANMC, chaussée de Haecht 579 boîte postale 40, 1031 Bruxelles. Courriel: infor.sante@mc.be
(1) Bernadette Taeymans, ‘La vie devant nous’, Education Santé n° 144, décembre 1999