Septembre 2008 Par Christine DELIENS Initiatives

Entre «Toto, mange ta soupe!» hier et «Manger 5 portions de fruits et légumes par jour, c’est bon pour la santé!» aujourd’hui, qu’il y a-t-il de changé? Les liens entre la consommation de fruits et de légumes et la prévention de cancers et de maladies cardio-vasculaires ont été largement démontrés. Pourtant, les messages éducatifs pour promouvoir une alimentation équilibrée gagnent sans doute à être moins directifs auprès des enfants et des jeunes: ils méritent parfois des détours qui suscitent l’intérêt plutôt que l’adoption de comportements prescrits. C’est ce que propose le nouvel outil «En rang d’oignons» édité par la Coordination Education & Santé – Cordes asbl dans le cadre de son programme «Carnet de voyages – Ma classe part en projet santé!»
« En rang d’oignons » est un kit pédagogique destiné aux enfants à partir de 5 ans. Composé d’une affiche calendrier illustrée (60 x 84 cm), d’un jeu de 81 cartes prédécoupées illustrées d’un fruit ou d’un légume (sauf 5 cartes qui en donnent la liste alphabétique) et d’un carnet pédagogique (24 pages), il offre des pistes à l’enseignant(e) pour mener tout au long de l’année des activités ludiques et de découverte sur le thème des fruits et des légumes selon les possibilités et les objectifs de chacun(e). Il a pour objectif «santé» de mettre les enfants en appétit de fruits et de légumes en éveillant leur curiosité, leur imagination et leur gourmandise.
L’ affiche calendrier propose – sous forme d’une phrase un peu mystérieuse – une idée par semaine de l’année scolaire; elle est développée dans le carnet pédagogique. Les activités tiennent compte des saisons et des fêtes à partir de septembre.
Le jeu de cartes sert de support à différents petits jeux inspirés parfois d’exemples connus. Les illustrations sont volontairement fantaisistes pour inviter les enfants à regarder autrement les fruits et les légumes.
Le carnet pédagogique propose des activités à faire avec la classe, au départ de l’affiche et du jeu de cartes. Celles-ci permettent d’approcher ces aliments de mille et une manières tout en développant des savoirs et en exerçant des compétences. Les démarches favorisent la participation des élèves, l’utilisation des cinq sens, la créativité, le travail collectif et les échanges avec l’entourage familial et les ressources locales.

Une démarche pédagogique au service de la promotion de la santé et des apprentissages scolaires

Avez-vous déjà dressé l’inventaire de ce qu’on peut apprendre – que ce soit dès la maternelle ou avec des grands de 5e, 6e primaires – en faisant, par exemple, de la soupe de légumes ou une macédoine de fruits à l’école?
On identifie ses propres goûts, on découvre des choses sur les autres et leurs habitudes de repas en famille ou à l’école, on explore la provenance des légumes ou des fruits, on acquiert des savoirs sur leur production et sur le cycle des saisons, sur les métiers agricoles et de la distribution. On s’intéresse aux régions, aux pays producteurs et aux relations entre le Nord et le Sud de la planète. On achète, on compare les prix, on pèse, on parle d’emballages, de déchets, de compost et d’environnement…
On fait germer des graines, pousser des légumes, on les regarde grandir, on entretient une parcelle, on fait des cueillettes, on visite un verger. On pèle, on coupe, on observe l’intérieur des fruits, on dessine les couleurs et les formes des légumes; on déchiffre une recette et on expérimente une séquence de gestes culinaires, on goûte, on raconte les saveurs et les mets qu’on aime… et la liste peut s’allonger!
Les plus grands s’interrogeront sur les repas de la journée, le plaisir de manger, les besoins du corps lors d’activités physiques ou au repos. Avec eux, on amorce le débat sur le regard des autres, sur l’importance d’une image positive de soi; on décortique les pub télévisées, on entrevoit les mécanismes du marché, le regard critique s’affine (1)… Le thème des fruits et des légumes est propice à ces voyages didactiques et à ces explorations à la fois ludiques et savantes. C’est aussi un sujet qu’on peut mettre en relation avec la santé des élèves et le bien-être à l’école.
En effet, que ce soit au niveau communautaire ou au niveau fédéral, la priorité est donnée à la promotion d’une alimentation saine. Le Plan national nutrition santé belge recommande de consommer 400 grammes de fruits et légumes par jour et pour les enfants d’en manger à chacun des repas et au moins 5 fois par jour. En Communauté française, le Plan «Attitudes saines» (2) mis en place par le Gouvernement et les ministres de l’Education, de la Santé et du Sport vise à promouvoir l’exercice physique et encourager une alimentation équilibrée. Tout particulièrement il vise à augmenter la consommation de fruits et de légumes par les enfants et les jeunes.

La consommation des fruits et des légumes chez les jeunes – résultats 2006

Le kit contribue à cet objectif «santé» en amenant les enfants à s’intéresser davantage à ces aliments qu’ils consomment souvent trop peu par rapport à leurs besoins.
Les toutes récentes données de consommation issues de l’enquête «Santé et bien-être des jeunes d’âge scolaire» (3) montrent que la proportion de jeunes du secondaire de 13,15 et 17 ans rapportant une consommation au moins quotidienne de fruits a augmenté significativement entre 2002 et 2006 passant de 34,1 à 41,1 %. Il y a donc progrès.
On observe toutefois une variation entre la consommation de fruits déclarée des garçons ou des filles de 5e et de 6e primaire et celle durant les études secondaires qui décroît nettement, pour remonter chez les filles en 6e secondaire tant dans l’enseignement général (SG) (4) que technique (ST) ou professionnel (SP), mais pas chez les garçons chez qui les fruits semblent moins à l’honneur. En fin de secondaire, plus de la moitié des filles de l’enseignement général déclare manger un fruit au moins une fois par jour, pour moins de 4 garçons sur 10.

Consommation quotidienne de fruits (plus d’une fois par jour)

Année

Garçons Filles
5e primaire 48,6 52,7
6e primaire 44,1 50,6
5e secondaire général 38,8 44,5
5e secondaire technique 34,3 37,8
5e secondaire professionnel 26,1 29,1
6e secondaire général 36,3 53,1
6e secondaire technique 26,1 42,3
6e secondaire professionnel 22,0 39,8

Source: HBSC – SIPES (ULB-PROMES) 2006

Toujours d’après la même enquête, la proportion de jeunes de 13,15 et 17 ans de l’enseignement secondaire rapportant une consommation au moins quotidienne de légumes n’a pas significativement changé entre 2002 et 2006, passant de 47,3 à 49,6 %.
Cela veut dire quand même que près d’un jeune sur deux du secondaire déclare manger des légumes au moins une fois par jour. Les légumes semblent plus appréciés en secondaire qu’en primaire par les élèves du général et par les filles de l’enseignement technique.

Consommation quotidienne de légumes (plus d’une fois par jour)

Année

Garçons Filles
5e primaire 39,7 47,7
6e primaire 43,3 52,9
5e secondaire général 56,0 60,8
5e secondaire technique 44,7 50,7
5e secondaire professionnel 40,8 38,2
6e secondaire général 53,7 69,4
6e secondaire technique 34,4 53,2
6e secondaire professionnel 38,2 45,7

Source: HBSC – SIPES (ULB-PROMES) 2006

La consommation quotidienne déclarée par les garçons est significativement inférieure à celle des filles: en fin de secondaire, près de 7/10 des filles de l’enseignement général consomment des légumes au moins une fois par jour, alors que ce n’est le cas que pour la moitié des garçons.
Si pour les garçons, on peut supposer que le sport a la préférence pour compenser une alimentation moins équilibrée, les filles, elles, consomment peut-être plus de fruits par souci de santé ou pour leur ligne.
Comme le remarque Damien Favresse (ULB- PROMES) (5) « D’un point de vue global , les filles se différencient des garçons par un rapport au corps plus problématique ‘, ‘ négatif tant au niveau physique que psychique ( plus de régimes même si pas nécessaires , moins bonne estime de soi , plus de plaintes psychosomatiques , etc .). Elles adoptent davantage de comportements de protection alors que les garçons se caractérisent plus volontiers par les conduites à risque ».
Il souligne aussi que « l’école joue également toujours un rôle de reproduction des inégalités sociales à travers notamment la réorientation dans les différentes filières de formation : la population des études primaires mélange toutes les catégories socio économiques alors que dans le secondaire et notamment dans l’enseignement général entre la première et dernière année , le profil socio économique des jeunes se modifie fortement , au profit , notamment , des catégories plus favorisées . Bien entendu , toute réalité est complexe et tout comportement s’explique par de multiples dimensions , de multiples facteurs ».

Si tout le monde s’y met…

Ces pistes d’explication des données de consommation ouvrent également d’autres perspectives d’action pour promouvoir la santé alimentaire. Celles-ci mettent en scène des acteurs de secteurs différents qui se concerteraient dans le but de donner aux enfants et aux jeunes les moyens de mettre en œuvre les «prescrits» alimentaires (5 fruits et légumes par jour par exemple); si sur le plan éducatif, des outils comme « En rang d’oignons » peuvent mettre en appétit, l’efficacité peut être multipliée par des interventions sur d’autres terrains. On pourrait imaginer, par exemple, une politique des prix et de la distribution favorisant l’accessibilité aux fruits et aux légumes – que ce soit à l’école, à la maison, sur le lieu de travail – et privilégiant les filières locales.
A ce sujet, la Commission européenne (6), dans son secteur ‘agriculture et développement rural’ lance une reforme de l’organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes.
Un des objectifs fixés par le Livre blanc sur l’alimentation publié par la Commission en mai 2008 est effectivement d’encourager la consommation des fruits et des légumes. Des études de faisabilité sont en cours pour envisager des distributions gratuites de fruits et de légumes au profit des écoles, des hôpitaux et des organisations caritatives (pourquoi ne pas y ajouter les maisons de repos pour personnes âgées par exemple et les lieux de résidence des enfants et des jeunes).
Ces propositions européennes devenant réalité illustreraient (une fois n’est pas coutume!) un moyen d’associer intérêts économiques et intérêts «santé», le tout dans une réforme qui vise avant tout à réguler le marché des fruits et des légumes et à encourager les regroupements de producteurs.
D’autre modes d’intervention permettraient d’avoir un impact sur l’adoption de comportements de santé plutôt que de conduites à risque. Ce pourrait être par exemple dans le secteur socio-éducatif cette fois: la mise en place de mesures valorisant les différentes filières d’enseignement et, de manière générale, renforçant chez les élèves et les enseignants l’estime de soi, le respect et la confiance en soi et positivant ainsi le rapport au corps et aux autres.
Bien évidemment, ces interventions auraient des retentissements non seulement sur le terrain de la santé mais aussi sur celui des apprentissages. A chaque secteur d’imaginer comment interagir au service des objectifs santé, selon son public et les intervenants en jeu.
Pour notre part, l’outil « En rang d’oignons » constitue la contribution de la Coordination Education & Santé – Cordes asbl dans le but de soutenir les enseignants en particulier, dès les classes maternelles, souvent en recherche d’outils ludiques et didactiques à la fois qui leur permettent d’agir en faveur de la santé.
L’intention est de mobiliser les acteurs éducatifs et de santé dans des «voyages de 365 jours» non pas en ballon mais avec les élèves, autour du thème des fruits et des légumes. Il s’agit d’encourager des choix plus sains en matière d’alimentation mais aussi et surtout d’inviter chacun à se mêler de nos oignons à tous… Bon appétit!
Cristine Deliens , Coordinatrice CORDES
Adresse de l’auteur: Cordes asbl, avenue Maréchal Joffre 75, 1190 Bruxelles. Tél.: 02 538 23 73. Courriel: cordes@cordes-asbl.be

(1) Le marketing est particulièrement créatif ces dernières années dans ce créneau. Tous les mois, la rédaction d’ Education Santé reçoit des dossiers de presse vantant les mérites de nouveaux produits à base de fruits et/ou de légumes censés conjuguer alimentation saine et plaisir gustatif. L’enjeu commercial est de taille!
(2) Voir le site http://www.mangerbouger.be
(3) Etude internationale HBSC, SIPES (ULB-PROMES), Bruxelles, 2006.
(4) Dans des proportions sensiblement supérieures dans le général.
(5) Communication personnelle au départ des données de l’étude internationale HBSC citée précédemment.
(6) Réforme de la PAC, Agriculture et développement rural, Commission européenne, http://www.europa.org .