Juillet 2025 Par Déborah FLUSIN Clotilde de GASTINES Initiatives

Dans le monde des soins de santé, être une femme est parfois un risque. Pour fêter ses 20 ans, l’asbl Femmes & Santé a multiplié les éclairages sur les expériences d’adversité et les discriminations croisées que rencontrent les femmes. L’après-midi était consacré à des ateliers d’auto-santé pour montrer que des solutions réparatrices existent.

les 20 ans de l'association femmes et santé
Muriel Renders © Femmes et Santé

« Quand j’avais 16 ans, mes parents et un médecin ont décidé de me ligaturer les trompes. Ils ont pensé que mon handicap rendait déjà ma vie compliquée », raconte Sylvie, 46 ans qui a une sclérose tubéreuse de Bourneville, une maladie génétique qui touche le cerveau et provoque des crises d’épilepsie et une déficience mentale légère. « On m’a demandé si j’étais d’accord. J’ai dit oui pour qu’on me laisse tranquille. Mais je ne savais même pas si j’avais le droit de dire non. C’est seulement, il y a peu de temps, lors d’un atelier d’auto-santé, que j’ai compris que c’était irréversible. Le droit de choisir pour mon corps, pour ma vie, on me l’a pris, » constate Sylvie qui était invitée par Femmes & Santé à témoigner en cette journée internationale de la santé des femmes.

En 2022, un rapport du Forum européen des personnes handicapées signalait que des cas de stérilisation non consentie se produisaient encore en Belgique. « Nous pouvons confirmer puisque nous avons des exemples encore très récents sur de très jeunes femmes » explique Morgane Selves, qui anime des ateliers d’éducation à la vie relationnelle et affective à L’Heureux Abri, à Momignies où réside Sylvie. Le plus souvent les familles redoutent une grossesse, et « la contraception est aussi une condition d’admission en établissement pour les femmes, mais pas pour les hommes, qui à notre connaissance, ne sont pas soumis à des vasectomies forcées » explique Emilie Vigneron, sa collègue.

Présomption d’incompétence

La présomption d’incompétence est le « dénominateur commun » des discriminations que subissent les personnes porteuses de handicap. Dès leur plus jeune âge, elles font le constat de leur impuissance : leur corps est disponible, objet de soins examiné, manipulé, soigné, souvent sans leur consentement éclairé, sans même qu’on leur explique ce qu’il se passe.

Lors d’une consultation, le médecin va s’adresser à leur accompagnant. Par conséquent, beaucoup sont déconnectées de leurs sensations, n’ont pas appris à nommer la douleur, à exprimer leur malaise, à identifier les violences. Pour tenter d’y remédier, l’Heureux Abri organise deux ateliers EVRAS en non-mixité choisie par semaine : des ateliers d’auto-santé sur le cancer du sein, des ateliers contraception, ou encore de décryptage des violences dans le cadre de la relation amoureuse. Les groupes ont adapté le violentomètre en mode facile à lire et à comprendre (FALC) car les femmes porteuses de handicap ont quatre fois plus de risques d’y être exposées (Lire l’article de Jehanne Bergé sur le site de la RTBF).

Speculums et speculoos

«  En promotion de la santé c’est chacune d’entre nous qui est experte. Méfiez-vous des gens qui prétendent savoir mieux que vous. Vous connaissez votre corps ses forces et ses fragilités. L’auto-santé est un outil de libération et de résistance à l’injonction médicale » précisait Catherine Markstein, fondatrice de l’asbl, dans une vidéo enregistrée pour introduire la journée anniversaire.

Ces ateliers de self help, développés dès les années 70 en Belgique, étaient « très subversifs » explique Vanessa D’Hooghe qui a fait un petit historique sur l’auto-santé. Ils consistent à créer et partager des savoirs sur la santé sexuelle et gynécologique. « Ce savoir vient remplacer celui des médecins qui est souvent paternaliste, répressif et violent » dit-elle. Le mouvement venu des États-Unis permettait à chaque femme initiée de créer sa propre clinique de self help en aidant les autres femmes à se servir d’un spéculum et d’un miroir pour l’auto-consultation.

Les archives permettent de se figurer l’ambiance de l’époque imprégnée par le modèle freudien de la psychologie féminine. En 1974, lorsque les premières militantes belges veulent importer des speculums en plastique du Royaume-Uni, elles prennent la précaution d’indiquer « specul… » sur les papiers de douanes, pour laisser penser qu’il s’agit de speculoos, et ainsi éviter la saisie.

Un ciné-débat pour parler de la santé des femmes belges

La veille, la projection du film « La Santé des femmes – De l’ignorance à la reconnaissance » d’Ursula Duplantier et Marta Schröer revenait sur le paradigme de la médecine androcentrée qui a historiquement façonné les connaissances médicales et la pratique du soin. En plaçant l’homme, son corps et son point de vue au centre de sa démarche, la médecine a longtemps négligé les spécificités sexuées et l’influence des normes sociales sur les pathologies et la santé des patientes. Même la médecine centrée sur la santé reproductive et sexuelle et le contrôle des naissances, occultait encore des pans entiers de la santé des femmes.

« Les femmes sont globalement en bonne santé en Belgique par rapport à la moyenne européenne, mais il reste de nombreuses lacunes notamment sur les maladies cardio-vasculaires, ou l’endométriose, explique Aline Scohy, sociologue et démographe chez Sciensano, l’institut de recherche fédéral, qui s’efforce de faire évoluer les indicateurs et d’en créer de nouveaux plus inclusifs.

Ainsi, l’Enquête de santé, dont les résultats commencent tout juste à être publiés, révèle que les problèmes de santé des femmes commencent dès le début de l’adolescence et que les inégalités augmentent à chaque année d’âge. Le score de qualité de vie est d’ailleurs le plus bas chez les femmes de plus de 75 ans en Wallonie et à Bruxelles. Elles rapportent plus de maladies chroniques et de douleurs qui les gênent dans leur vie quotidienne. Et plus leur statut socio-économique est faible, plus ces chiffres sont accentués.

« Les femmes vivent plus longtemps, certes, mais en plus mauvaise santé, précise Svetlana Shokholova, chargée de recherche en santé au service d’études de la MC qui participait au ciné-débat. Elles rencontrent plus d’obstacles, que ce soit en termes de diagnostic tardif, de mauvais diagnostic ou de prises en charge non adaptées sous prétexte que les femmes ont des « symptômes atypiques », une expression problématique en soi ».

Repère
Parmi les découvertes cliniques récentes, il s’avère que :

– Les personnes de genre féminin, indépendamment de leur sexe, présentent un risque plus élevé de récurrence d’accident cardiovasculaire.
– Le chromosome X renferme 1 669 gènes, et le chromosome Y, 426. Toutefois, uniquement 33 % des études d’association pangénomique tiennent compte des chromosomes sexuels.
– Le risque de développer un cancer du poumon est 20 % plus élevé chez les femmes que chez les hommes, à nombre égal de cigarettes fumées.
– Les femmes âgées de 85 ans et plus sont plus susceptibles (47 %) de se faire prescrire des médicaments inappropriés.
(Source : Institut canadien de recherche en santé https://cihr-irsc.gc.ca/f/51310.html)

Discriminations croisées et système patriarcal

les 20 ans de l'association femmes et santé
Muriel Renders © Femmes et Santé

Au fait d’être femme, se surajoutent des facteurs de risques de discrimination.« Cela découle des biais et de la hiérarchisation des vies qui imprègnent nos sociétés, explique Myriam Mhamedi, consultante en Intersectionnalité, experte dans la médiation pour amener au changement de pratiques professionnelles. Pour comprendre ces biais, il faut remonter aux racines de la médecine qui a été créée par et pour l’homme blanc dans un contexte colonial, sexiste, raciste et validiste ». Le système de santé est construit pour une norme masculine, blanche, valide, cis-hétéro et de classe moyenne : comme si ce patient « neutre » était la norme et que tout le reste était « la diversité ».

En 2013, deux chercheuses suisses Chloë FitzGerald & Samia Hurst ont d’ailleurs développé le concept de « désavantage corrosif » pour parler du fait que les personnes qui sont déjà discriminées dans la société le seront aussi dans les soins et vont donc être en plus mauvaise santé (à lire L’urgence du genre : sensibiliser les soignants – Éducation Santé).

« Le stress chronique généré par des discriminations subies dans la vie quotidienne vient créer des risques pour la santé qui sont ensuite aggravés par une discrimination vécue dans les soins », précise Myriam Mhamedi, qui y voit une « double-peine ».

Lorsqu’elle intervient auprès des soignants, elle leur explique qu’ils ne sont « pas responsables de leur première pensée ». Ils reproduisent les schémas stéréotypés de façon automatique, sans avoir la distance critique nécessaire pour pouvoir les modifier. « Cela permet de les déculpabiliser, en revanche, j’insiste sur le fait qu’ils sont responsables de leur seconde pensée », ajoute-t-elle, en rappelant un des fondamentaux : un système de santé qui fonctionne pour les personnes marginalisées, c’est un système qui fonctionne mieux pour tout le monde.

Aller au-delà de la médecine bikini en repensant les 3 M  

L’expression « médecine Bikini » désigne une approche médicale androcentrée qui réduit les femmes à leur capacité reproductive. Apparue dans les années 80, elle permet à la cardiologue américaine Nanette Wenger de dénoncer le fait que la médecine se focalise sur les seins et les organes reproducteurs et néglige le reste du corps féminin.

Malgré cette focale, trois moments propres à la zone bikini restent imprégnés de tabous : les 3 M, menstruation, maternité et ménopause. Le terme a émergé dans des études consacrées aux inégalités de genre au travail, qui constatent que ces trois sujets sont peu abordés voir impensés alors qu’ils peuvent être à l’origine de maladies ou de symptômes invalidants et impacter les conditions de travail et la carrière des femmes. 

En effet, le caractère tabou et les stigmatisations liés à des préjugés de genre affectent les femmes en limitant les possibilités de soutien, d’information, d’accès à des soins de santé adéquats, humanisés et humanisants (au-delà des gestes médicaux techniques) tenant compte de la sécurité psychique des personnes. Ils ont aussi un impact économique : limitation des carrières professionnelles, coût financier des errances médicales, impact sur la scolarité, précarité menstruelle, vieillissement avec des maladies chroniques, etc…

Maternité et justice reproductive

En 2023, la Belgique a connu 117 914 naissances. Or celles-ci ont pu s’accompagner de violences obstétricales et gynécologiques. Une enquête menée en 2021 en Belgique francophone par la Plateforme citoyenne pour une naissance respectée montre qu’elles sont courantes. Deux répondantes sur cinq ont été victimes d’actes tels que l’expression abdominale (soit faire pression sur le fond de l’utérus pour accélérer la venue au monde du bébé), d’actes à vifs (sans anesthésie ou avec une anesthésie inefficace) et du point du mari (points de suture supplémentaires après une épisiotomie), de violences verbales, physiques ou psychologiques qui n’ont pas lieu uniquement lors de l’accouchement mais ont pu s’étendre tout au long du suivi. Pour prévenir ces violences, la plateforme forme d’ailleurs les soignants pour qu’ils puissent s’interposer en cas de violences obstétricales en particulier lorsque les situations sont marquées par des rapports de pouvoir et/ou hiérarchiques.

Clée travaille comme doula communautaire pour la communauté LGBTQIA+ et les personnes racisées. Impliqué dans la justice reproductive, il anime des ateliers d’auto-gynécologie et d’observation des cycles menstruels basé sur la symptothermie. Observant que « bien souvent les personnes ne connaissent que peu leurs corps »  Clée décrit ses ateliers d’auto-santé comme « des moments très empouvoirant qui permettent de mieux se connaître et prendre soin de sa santé menstruelle. L’objectif n’est pas de s’affranchir des médecins ou de refuser leurs pratiques, mais plutôt d’être capable de comprendre et de demander ce qui est juste pour soi ». Le pouvoir ainsi redonné sur son corps permet de lutter contre les inégalités d’accès aux soins, en particulier pour « certain·e·s membres de la communauté LGBTQIA+, qui n’a pas toujours un accueil adapté en structure ».

Menstruations et endométriose

Les menstruations concernent 3 millions de femmes et personnes transgenres. Parmi celles-ci 3,1 % des femmes âgées de 15 à 54 ans déclarent souffrir d’endométriose comme le décrit la toute dernière Enquête de Santé menée par Sciensano. Ce chiffre correspond aux personnes pour lesquelles un diagnostic a été posé, or les estimations considèrent qu’en moyenne une femme sur dix en âge de procréer serait touchée.

L’endométriose est une affection dans laquelle des tissus similaires à la muqueuse utérine se développent en dehors de l’utérus, provoquant une inflammation chronique et des douleurs. Décrite en médecine dès 1860, ce n’est que depuis quelques années que le sujet émerge dans les médias. La recherche est encore balbutiante. Il n’existe pas à ce jour de traitement de la maladie et l’errance médicale dure en moyenne 7 ans. Les préjugés de genre dans l’écoute des plaintes et des douleurs liés aux règles interfèrent dans le diagnostic et la prise en charge médicale.

L’âge est aussi un facteur discriminant. « Plus la patiente est jeune et plus l’errance diagnostique est longue » constate Delphine Langlois de l’asbl Toi mon Endo. Lorsque les patientes décrivent leurs symptômes et leurs douleurs, elles ne sont pas toujours prises au sérieuse par les médecins, ce qui retardent d’autant une prise en charge appropriée. «  Il arrive régulièrement que des médecins rient au nez des femmes qui viennent avec notre brochure descriptive des symptômes de l’endométriose et la mette à la poubelle sous leurs yeux ou la déchire», regrette Delphine Langlois.

Ménopause : le plus grand tabou

La ménopause signe la fin des capacités reproductives pour les femmes et est perçue dans la littérature médicale en termes de déficits (carence hormonale) associés à des troubles. Elle est parfois considérée comme le plus tabou des 3M, car lié à la disqualification du corps stérile, et au fait que la ménopause est associée au vieillissement du corps féminin qui va de pair avec l’invisibilisation des femmes seniors. Le manque d’études et d’interventions pratiques concernant cette phase de la vie des femmes témoignent de cette invisibilisation. Conséquence du déficit d’information et de connaissance, 40% des femmes présentant plus de trois symptômes relatifs à la ménopause ne seraient pas diagnostiquées en Belgique (Securex). Et 12% des femmes ménopausées mal diagnostiquées se voient prescrire à tort des antidépresseurs ou des somnifères, ce qui ne soulage en rien leurs symptômes. Un quart des femmes souffriraient de symptômes sévères (Inserm) et selon une étude anglaise menée en 2021, une femme sur 10 quitterait le monde du travail en raison des symptômes non maîtrisés.

« Si elle n’est pas difficile pour toutes les femmes, la ménopause n’est agréable pour aucune », explique Salomé Mulongo, naturopathe etdoula de transition qui accompagne des femmes ménopausées. Celles-ci sont bien souvent submergées par ce qu’elles vivent : bouffées de chaleur, prise de poids, perte de libido, manque de sommeil, fatigue, identité féminine brouillée etc. Elle partage le constat d’« un grand manque d’informations accessibles ». Mais surtout « l’image qu’on a de cette période ne reflète pas la réalité ». Avec la libération de la contraception et des règles, les enfants qui grandissent, « c’est un passage important qui devrait être une fête ». Contrairement à l’image sociale négative dominante, la ménopause est un nouveau commencement et non une fin que les femmes doivent se réapproprier. Aussi, Salomé Mulongo promeut dans ses accompagnements l’image positive de la « sexygènaire ». En référence aux travaux de Cécile Charlap, elle rappelle ainsi que la ménopause n’est pas seulement physiologique mais est aussi une construction sociale dont le vécu est très variable d’une culture à une autre.

Les deux jours se sont achevés par une conférence gesticulée de Clémentine Thébaux « Mes pieds dans les étriers » qui parle des violences gynécologiques et obstétricales. Sage-femme de métier, elle n’a jamais voulu rejoindre la pratique hospitalière de son métier. Un peu traumatisée par des expériences qu’elle a pu vivre et voir durant ses études, elle préfère un autre chemin : celui d’animer des ateliers d’auto-observations gynécologiques. Avec comme buts : que les personnes qui viennent se réapproprient leurs corps et trouvent une autre manière de prendre soin !

Cette journée a montré que l’intention initiale de l’association qui s’est montée en réponse à la surmédicalisation du corps des femmes, aux rapports de pouvoir entre les soignant·es et les soigné·es, et au manque de compréhension systémique de la santé des femmes est toujours intacte.

Pour aller plus loin :
– Sciensano : les premiers résultats de l’Enquête de santé de Sciensano, notamment le rapport sur les maladies chroniques avril 2025
– Sciensano : première enquête sur la santé des femmes en Belgique – avril 2024
– Le siteToi mon endo : https://www.toimonendo.com/etude-scientifique-du-kce
Endométriose : l’héritage sexiste d’une maladie qui fait mal depuis l’Antiquité