En ces temps de préparation de budgets publics marqués du sceau de l’austérité rigoureuse ou, subtilité sémantique, de la rigueur austère, les médias relaient quasi quotidiennement à des prises de position sur l’avenir de la sécurité sociale et plus particulièrement du système des soins de santé.
C’est que la masse financière en jeu est importante (environ 26 milliards d’euros par an); de quoi aiguiser les tentations comptables d’économies.
Les réactions inquiètes des usagers et des acteurs sociaux et professionnels reflètent bien l’attachement de la population à un système qui garantit, dans une large mesure, l’accès à des soins médicaux de qualité. Les propositions visant à pérenniser le modèle concernent le mode de financement des hôpitaux, une politique rationnelle des médicaments, une meilleure utilisation des soins de première ligne, etc.
Système de soins et système de santé
Étonnamment, l’option d’un renforcement des politiques de promotion de la santé et de la prévention, qui relève pourtant d’une évidence de santé publique et du bon sens, semble peu à l’ordre du jour, pour ne pas dire pas du tout. Cela s’explique peut-être par l’absence de tradition dans la mise en place efficiente de programmes de promotion de la santé et de prévention, peut-être aussi par la dispersion des responsabilités entre les différents niveaux de pouvoir, dispersion que l’actuelle réforme de l’État ne résout pas, peut-être encore par le caractère dérisoire des budgets spécifiques alloués à la promotion de la santé, se traduisant, sur le terrain, par un manque criant de moyens mais aussi par un désintérêt non seulement de nos responsables politiques mais aussi des médias et des commentateurs de la vie politique et sociale.
La confusion encore très (trop) répandue entre ce que l’on appelle un système de soins et ce que doit être un système de santé nourrit cette situation de faiblesse des politiques de promotion de la santé dans notre pays.
Des soins de qualité sont nécessaires mais pas suffisants pour apporter de manière réellement équitable les conditions de maintien d’une bonne santé pour tous. L’Organisation mondiale de la santé a synthétisé les connaissances scientifiques sur le sujet : les conditions de naissance et de vie, la qualité de l’environnement et du logement, le bien-être au travail, l’emploi, le revenu, le niveau d’éducation sont des déterminants majeurs de la santé.
En Belgique, de nombreuses études (enquêtes nationales de santé, tableaux de bord de la santé en Hainaut, à Bruxelles, en Wallonie, rapports de la Fondation Roi Baudouin) ont documenté et quantifié l’impact de ces facteurs sur la santé des Belges.
Quelques chiffres en illustrent l’ampleur: on constate un écart d’espérance de vie de 7 ans entre classes sociales défavorisées et aisées; cet écart est de 18 ans si l’on s’intéresse à l’espérance de vie en bonne santé; on observe également 50% de sur-incidence des maladies cardiovasculaires chez les plus défavorisées, etc. Ces inégalités sociales en matière de santé s’installent dès l’enfance.
Les conditions de vie entrainent une distribution inéquitable suivant les groupes sociaux des facteurs de risque et de protection, en particulier par rapport aux maladies chroniques. Et ces maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, cancers, maladies respiratoires et diabète) représentent 67 % des causes de décès en Wallonie soit quelque 24.600 décès annuels. L’OMS et la plupart des organisations internationales de santé publique et médicales s’accordent pour lier ces problèmes de santé à quatre facteurs de risque principaux sur lesquels il est possible d’intervenir : le tabagisme, le déséquilibre alimentaire, la sédentarité et une consommation abusive d’alcool. En agissant prioritairement sur les trois premiers facteurs de risque communs, on peut espérer réduire de 50 % la charge des maladies chroniques. D’après l’OMS, en Europe, les pathologies non transmissibles représentent 77 % de la charge de morbidité, c’est-à-dire le poids des années de vie perdues prématurément (avant 70 ans) et des années vécues avec les maladies et les handicaps qu’elles occasionnent. De plus, elles sont responsables de près d’un tiers des causes d’hospitalisation et elles occasionnent des traitements lourds humainement et coûteux pour la sécurité sociale.
Faire enfin ce que tout le monde sait
Le constat est clair : les luttes et politiques sociales des dernières décennies ont permis un accès relativement équitable aux soins mais pas à la santé ! Plus que jamais en cette période de crise qui fragilise de larges couches de la population, les politiques de santé ne peuvent se limiter au seul maintien de soins de qualité.
Deux voies d’actions complémentaires peuvent être proposées :
- intégrer les dimensions bien-être, santé, équité dans toutes les politiques publiques (logement, emploi, éducation, culture, petite enfance, revenus, environnement, mobilité…). Cette façon d’agir est une réalité dans certains pays. Elle est grandement dépendante des orientations politiques et de la capacité de nos décideurs à coordonner des plans d’action cohérents entre les niveaux de pouvoirs, y compris locaux;
- renforcer structurellement la promotion de la santé et en faire une composante à part entière des politiques publiques et d’un véritable système de santé.
Ce n’est pas une révolution… C’est simplement mettre en pratique ce que «tout le monde pense» et ce que «tout le monde sait» : la promotion de la santé vise à créer des conditions de vie qui permettent le développement du bien-être ! Elle donne à la population un meilleur contrôle sur les moyens de préserver et d’améliorer sa santé.
Cela va donc bien au-delà de la simple information du public. Bien sûr cette information est indispensable : elle doit être accessible à tous, scientifiquement valide, éclairante, ni culpabilisante, ni moralisatrice. Mais cela n’est pas suffisant. Il faut aussi améliorer les conditions et les environnements de vie et de travail pour les rendre propices au bien-être et à la santé.
Menus équilibrés dans les cantines scolaires, espaces verts dans les quartiers, villes et villages piétons et cyclistes admis, protection de la qualité de l’air, qualité et accessibilité, y compris financière, de l’offre alimentaire, régulation éthique du marketing visant les enfants, protection contre la fumée du tabac, actions de renforcement des liens sociaux, promotion de l’activité physique de loisir, lutte contre la pollution sonore, promotion des modes de transport collectif… sont quelques illustrations de l’action de promotion de la santé dans les milieux de vie.
La promotion de la santé ne peut donc se concevoir qu’avec la participation des acteurs sociaux et économiques, professionnels des soins, élus, enseignants, élèves, éducateurs, associations, clubs, familles, professionnels…
Elle doit s’appuyer sur un approfondissement du débat démocratique sur les choix de société qui conditionnent la qualité de vie et l’équité.
En ces temps de préparation de budgets publics marqués du sceau de l’austérité rigoureuse ou, subtilité sémantique, de la rigueur austère, pourquoi ne pas ouvrir le débat autour de la réforme de notre système de santé !
Texte paru le 12 novembre 2014 dans La Libre Belgique et reproduit avec son aimable autorisation