Présentation du programme
Le cancer colorectal représente en Belgique environ 7.700 nouveaux cas par an; il s’agit du cancer digestif le plus fréquent. Il arrive en troisième position chez l’homme après le poumon et la prostate et en deuxième position chez la femme après le cancer du sein.
Il reste associé à une mortalité élevée (40 à 50% des personnes atteintes décèdent dans les 5 ans). Le nombre de nouveaux cas est faible avant 50 ans, pour augmenter ensuite de façon rapide .
A l’initiative du Cabinet de la Ministre de l’Enfance, de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé de la Communauté française, un programme de dépistage du cancer colorectal est mis en place aujourd’hui par le Centre communautaire de référence et la Direction générale de la santé du Ministère de la Communauté française en partenariat avec:
•la Société scientifique de médecine générale;
•les structures universitaires de médecine générale;
•la Société royale belge de gastro-entérologie;
•le Groupe belge d’oncologie digestive;
•la Société belge d’endoscopie digestive;
•le SCPS Question Santé asbl;
•les mutualités;
•la Fondation Registre du cancer;
•la Fondation contre le cancer.
Les origines du programme
Dans la Déclaration de politique communautaire pour les années 2004 à 2009, il est prévu d’améliorer la prévention et le dépistage du cancer. La mise en œuvre d’autres dépistages que celui du cancer du sein est projetée, notamment le dépistage du cancer du côlon pour la population âgée de 50 à 74 ans.
Le Programme quinquennal de promotion de la santé met également l’accent sur la prévention des cancers et leur dépistage.
Jusqu’ici, seul le dépistage du cancer du sein était proposé par la Communauté française. Le Plan communautaire opérationnel de promotion de la santé (2005) réaffirmait l’importance du dépistage systématique pour d’autres cancers et, plus particulièrement, pour le cancer colorectal. Le Plan communautaire opérationnel 2008-2009 reprend le dépistage du cancer colorectal parmi les problématiques de santé prioritaires.
Sa mise en place
Pour préparer et piloter un tel programme, un groupe de travail pluridisciplinaire a été mis sur pied à l’initiative de Madame Catherine Fonck .
Ce groupe de travail se réunit régulièrement depuis 2006. Une concertation large a permis d’aboutir à un consensus des gastro-entérologues et médecins généralistes sur la démarche de dépistage à adopter. Le groupe s’est appuyé sur l’expertise accumulée à l’étranger (plus spécifiquement en France).
Ses modalités concrètes
Le médecin généraliste est la pierre angulaire du programme de dépistage du cancer colorectal en Communauté française .
Les personnes concernées (1) reçoivent une lettre personnalisée les invitant à se rendre chez leur médecin généraliste afin d’y recevoir toutes les informations utiles ainsi que le matériel pour réaliser le test de recherche de sang occulte dans les selles.
Toutes les personnes de 50 à 74 ans recevront une invitation au dépistage , mais c’est au médecin généraliste d’informer les personnes qui le consulteront, de les orienter suivant le risque qu’elles présentent, de leur remettre le test Hemoccult et d’assurer le suivi de la prise en charge en cas de résultat positif.
L’invitation est envoyée par le Centre de référence ( CCR ). L’invitation parviendra durant le mois de l’anniversaire de la personne, l’année paire si le jour de naissance est impair ou l’année impaire si le jour de naissance est pair. Pour ceux qui ont fait le test une première fois, l’invitation suivante leur parviendra deux ans après la réalisation du test précédent.
D’autres possibilités d’entrer dans le programme de dépistage existent…
Le médecin peut proposer lui-même à ses patients âgés de 50 à 74 ans d’entrer dans le programme de dépistage, même si ceux-ci n’ont pas encore reçu l’invitation.
Toute personne de 50 à 74 ans peut entrer dans le programme de dépistage en allant consulter son médecin généraliste de sa propre initiative, même si elle n’a pas encore reçu l’invitation.
Le médecin dispose du matériel nécessaire pour assurer le dépistage auprès de sa patientèle ainsi que pour assurer le suivi des personnes à risque élevé ou très élevé.
Objectifs du programme
Objectif de santé
L’objectif du dépistage de masse du cancer colorectal est de réduire la mortalité par un diagnostic précoce. En effet, la détection et l’exérèse des adénomes, qui sont les lésions précancéreuses les plus fréquentes, permettent d’éviter le développement de cancers. La détection suivie de l’exérèse de cancers débutants augmente les chances de survie.
La population-cible est la population ne présentant pas de symptômes, appartenant à la tranche d’âge 50-74 ans et n’ayant pas d’antécédents personnels ou familiaux (c’est ce qu’on appelle la population à risque moyen).
Objectifs éducatifs
Le public:
-connaîtra l’importance de la fréquence du cancer colorectal;
-connaîtra l’existence du dépistage du cancer colorectal proposé par la Communauté française;
-identifiera le médecin généraliste comme étant la personne de référence en la matière;
-sera apte à faire un choix éclairé face à l’offre du dépistage du cancer colorectal.
Objectifs de communication
Nous en pointons deux:
-sensibiliser les personnes âgées de 50 à 74 ans au programme de dépistage du cancer colorectal;
-créer un climat favorable auprès du public et également auprès des professionnels de la santé concernés (principalement les médecins généralistes).
Définition du public
Comme nous l’avons déjà vu, le programme de dépistage du cancer colorectal en Communauté française s’adresse aux personnes de 50 à 74 ans.
Ces limites d’âge se basent sur les études épidémiologiques qui démontrent une nette augmentation de l’incidence de ce cancer après 50 ans. Le risque de le développer existe bien sûr aussi après 74 ans, mais les personnes qui n’ont pas développé la lésion à cet âge en souffriront seulement dans 5 à 10 ans, soit au-delà de 80 ans. Compte tenu de la courbe de survie actuelle, ces personnes auront pu décéder pour une autre cause. Le suivi des personnes de plus de 74 ans est dès lors du ressort du médecin généraliste dans le cadre d’une prise en charge individuelle.
La population cible des hommes et des femmes de 50 à 74 ans est de ± 910.000 en Région wallonne auxquelles il faut ajouter les francophones de la Région de Bruxelles Capitale, ± 200.000.
Les outils de communication
En tant que Service communautaire en promotion de la santé, agréé pour la communication, le SCPS Question Santé asbl a été chargé de réaliser la campagne de communication du programme de dépistage du cancer colorectal pour l’ensemble de la Communauté française.
La communication s’adresse tant au grand public qu’aux professionnels concernés par la mise en place et l’accompagnement du programme: médecins généralistes, gastro-entérologues, acteurs de promotion de la santé…
Chaque outil d’information, de formation, de communication doit s’inscrire en cohérence avec l’ensemble du programme: cohérence sur le contenu, cohérence sur la forme pour que le message soit clair et compréhensible par les destinataires du message.
Voici en bref les différents niveaux et outils de communication.
L’accroche visuelle choisie est celle du logo «ruban bleu», représentation visuelle du dépistage du cancer de l’intestin, créée par le National Colorectal Cancer Roundtable (association américaine) et reconnue au niveau international. Le ruban bleu est utilisé notamment par nos voisins français.
Cette accroche est reprise dans l’ensemble du matériel d’information et de communication.
En voici un rapide aperçu:
-une brochure explicative ‘Programme de dépistage du cancer colorectal’ (28 pages) pour le médecin généraliste;
-un questionnaire médical;
-une enveloppe pré-adressée «port payé par le destinataire» à remettre au patient pour renvoyer le test Hemoccult et le questionnaire;
-le dépliant d’invitation ‘Dépister le cancer de l’intestin, c’est possible!’ joint au courrier de départ; dans une version adaptée, il sera aussi diffusé largement, entre autres par les mutualités;
-le dépliant informatif ‘Un test simple à faire chez soi’ pour le patient devant réaliser le test Hemoccult II;
-un dépliant spécifique ‘Pourquoi un dépistage par coloscopie?’ pour le patient devant avoir un suivi spécifique (consultation gastro-entérologue avec coloscopie);
-le formulaire standardisé de prescription de la coloscopie: 3 feuilles autocopiantes à remettre au patient (un exemplaire destiné au gastro-entérologue, un au Centre de référence et un au médecin généraliste);
-les spots TV et radio;
-un site internet http://www.cancerintestin.be .
L’article ‘Le protocole du programme de dépistage du cancer colorectal’ dans la rubrique ‘Stratégie’ de ce même numéro, vous donne de plus amples informations sur l’organisation du programme.
Tout cela est bel et bien, direz-vous, mais il ne suffit pas de proposer au public un programme de dépistage pour qu’il y adhère automatiquement.
La deuxième partie de cet article vous présente une démarche d’estimation de l’acceptabilité du programme par le public concerné, réalisée quelques mois avant le démarrage du dépistage organisé.
Que pensent les personnes concernées du dépistage?
Susciter l’intérêt du public pour le dépistage du cancer colorectal, l’informer à ce sujet, voilà un défi bien délicat à relever. Même si ce dépistage est une priorité en médecine préventive, il est loin de susciter a priori l’engouement du public et des médias.
Des interviews de groupe pour connaître l’avis du public
Le point de vue des professionnels, qu’ils soient gastro-entérologues ou médecins de santé publique, est clair et rationnel: il faut organiser un dépistage de masse sur base d’un test de recherche de sang occulte dans les selles tous les deux ans pour les personnes âgées de 50 à 74 ans.
Mais comment le public réagirait-il à cette proposition? Comment tenir compte au mieux des réactions et attentes du public?
Pour répondre à ces questions et préparer le programme de dépistage qui démarre ces jours-ci en Communauté française, le SCPS Question Santé a réalisé quatre interviews de groupe réunissant des hommes et des femmes de 50 à 74 ans. Au total, plus de 80 personnes ont pu s’exprimer lors des ces rencontres.
Voici les points forts de ces échanges et les perspectives qui ont pu en être dégagées.
Pour vous, quels sont les cancers les plus fréquents?
Les cancers du poumon et du sein ! Ce sont les plus présents dans l’esprit des participants. Cette prédominance est sans doute liée en partie aux campagnes en faveur de l’arrêt du tabagisme et pour le mammotest. Le cancer du côlon et du rectum (souvent cité comme le cancer de l’intestin par les participants) est moins présent dans l’esprit du public. Sa fréquence est sous-estimée. Peut-être y a-t-il un tabou car il touche un organe moins noble?
Et quels sont les cancers les plus mortels?
Le poumon , l’intestin et le sein ! La perception des participants est proche de la réalité puisqu’ils situent le cancer colorectal en 2e position après le cancer du poumon et avant le cancer du sein.
Ces deux premières questions permettent de préciser un premier message utile pour la communication future vers le grand public: le cancer de l’intestin est un cancer très fréquent.
Si un dépistage du cancer de l’intestin vous était proposé gratuitement, le feriez-vous?
Autant de personnes, autant de sensibilités différentes, bien évidemment…
Certaines adhèrent sans réticence:
« Je suis partante pour le dépistage quand je vois la façon dont le cancer tue et fait souffrir ; je veux en avoir le cœur net .»
« Je fais le dépistage parce que je suis une personne à risque .»
« Cela n’arrive pas qu’aux autres … Je le sais : mon frère est décédé d’un cancer de l’intestin , cela pourrait m’arriver aussi .»
Quelques personnes refusent catégoriquement.
« Au départ , non , pas de dépistage , c’est désagréable .»
« Je ne veux pas céder à la panique , on pourrait faire des dépistages sur tout , alors si je n’ai pas de risque , non !»
D’autres hésitent, veulent des informations, des garanties.
« J’irais mais j’ai besoin d’informations claires et puis , si l’examen ne pose pas trop de problème .»
« J’attends des renseignements , qu’on me dise vous avez des risques .»
« J’en parlerais à mon médecin traitant .»
On va éventuellement dépister quelque chose qui ne vous fait pas souffrir pour le moment. Selon vous, qu’est-ce qui va vous convaincre?
Les réponses des participants illustrent les facteurs psychosociaux influençant les choix de comportements de santé décrits dans la littérature: la peur d’avoir quelque chose, le sentiment de risque d’être atteint par la maladie, des signaux d’alerte, des antécédents familiaux, la fréquence de la maladie, le fait de ne pouvoir la détecter personnellement ou trop tard, l’efficacité du traitement, si c’est guérissable ou non…
Quelles sont les sources d’information auxquelles vous vous référez? Qui est le mieux placé pour vous le proposer?
Il n’y a pas une seule source reconnue par tous les participants mais une multiplicité de canaux d’information qui se complètent, se renforcent.
« Il faut une information de base : la radio , des journaux toutes – boîtes , dans les lieux publics , la salle d’attente du médecin , les documents de la mutualité , les pharmaciens , les médecins …»
« Nous sommes noyés d’informations et elles sont souvent alarmantes . Je chercherais une source fiable , je recouperais les informations , je demanderais à mon médecin traitant .»
« Il faut que les gens sachent , il faut de l’information pour tous et que chacun choisisse . On est des adultes , on sait décider . Il y a quelque chose de dérangeant avec les messages prescriptifs .»
Si vous receviez personnellement une invitation à vous rendre chez votre médecin traitant pour bénéficier du dépistage, comment accueilleriez-vous ce courrier?
Le fait de recevoir une invitation personnelle est un facteur renforçant.
« Oui , c’est une bonne idée , cela m’incitera à faire la démarche .»
« Je la mets de côté , j’y réfléchis . Je vais chercher plus de renseignements avant de faire la démarche .»
« Si le médecin a le test en stock dans son cabinet , j’en parle à l’occasion d’une consultation , je ne fais pas une consultation de plus pour cela .»
Certaines personnes mettent ce type d’information à la poubelle mais une large majorité approuve sans réserve le procédé.
Le test de dépistage consiste à faire soi-même un prélèvement de selles pour l’envoyer à un laboratoire. Comment réagissez-vous à cette proposition?
La réaction des participants est largement favorable. De façon quasi unanime, ils trouvent ce test facile, discret…
« C’est pratique , on fait ça chez soi , à l’aise . Ce n’est pas agressif , ce n’est pas invasif .»
« On fait ça soi – même , on se sent plus impliqué , c’est une bonne formule .»
La réalisation de ce test ne suscite que quelques rares réactions de rejet, de dégoût. Par contre, ce qui intéresse surtout les participants, c’est d’avoir une information claire quant aux résultats du test: comment seront-ils informés des résultats, dans quel délai?
Si les résultats du test sont positifs, il faudra faire un examen complémentaire, la coloscopie. Qu’en pensez-vous?
Les avis sur ce sujet sont plus circonspects: la coloscopie est toujours perçue comme un examen délicat.
« En parler , ne pas en parler … Il y a une question de pudeur . Il y a comme une sorte de honte à faire une coloscopie , c’est un sujet encore tabou , c’est délicat .»
« Il y a la position lors de l’examen , cela met mal à l’aise . Mais je le ferais parce que je ne vais pas rester sans savoir si j’ai un vrai problème .»
« Je le fais si cela m’empêche d’avoir le cancer ou me donne de bonnes chances de guérir .»
Les personnes ayant déjà subi cet examen sont quant à elles plus rassurantes, elles le dédramatisent et le conseillent.
« Heureusement , maintenant , cela se fait sous sédation !»
« Moi je prends deux – trois Amaretto ou Limoncello avant d’y aller …»
« Je le fais , mais je négocie avec le gastro – entérologue pour que cela soit indolore : une petite anesthésie , un Valium …»
En conclusion
Ces rencontres ont permis de confirmer certaines données (par exemple les sources d’information les plus sollicitées par le public) mais elles ont aussi amené quelques surprises comme la sous-estimation de l’importance de la fréquence du cancer de l’intestin, l’accueil favorable des participants vis-à-vis du test de dépistage proposé et leur avis pondéré et nuancé sur la coloscopie.
Les professionnels, médecins généralistes et gastro-entérologues, étaient en effet inquiets sur l’acceptation par le public du dépistage proposé.
Tous ces éléments relevés lors des groupes focus ont permis de préciser les messages adressés au grand public:
-l’importance du cancer colorectal: vous savez que ce cancer existe mais il est plus fréquent que vous ne le pensez. On en parle peu, parlons-en!
-le risque – la protection: ce que vous ne savez pas, c’est qu’il est possible de le dépister.
-votre médecin traitant est votre interlocuteur, il vous conseillera.
-une visite chez votre médecin et vous faites le test chez vous, c’est simple et discret.
Les avis recueillis lors des interviews de groupe permettent également de s’adresser aux médecins pour réaffirmer leur place déterminante auprès de leurs patients en tant que conseillers en matière de prévention. Les médecins détiennent des informations et ont des compétences en matière de prévention; leurs patients attendent qu’ils s’impliquent activement dans ce domaine.
Bernadette Taeymans , SCPS-Question Santé asbl, avec l’appui de Christian De Bock
(1) Du moins actuellement celles résidant en Wallonie. Des négociations sont en cours pour que la procédure soit identique pour les francophones de la Région bruxelloise et ce, dans les plus brefs délais.