Novembre 2019 Par Roxane COMBELLES Cultures & Santé Dossier
Le guide « Osez le plaidoyer pour la santé ! », un soutien à la réflexion et à l’action

Cultures&Santé, Timothée Delescluse et leurs partenaires ont récemment édité un guide centré sur les démarches communautaires de plaidoyer pour la santé. On peut y découvrir le processus qui amène des citoyen(ne)s (et notamment celles et ceux qui sont les plus éloigné(e)s des lieux d’influence) à contribuer à la définition de politiques publiques favorables à leur santé. Ce guide permet, d’une part, d’explorer les éléments-clés d’une démarche communautaire dans ce domaine et, d’autre part, de découvrir de nombreuses expériences menées par des groupes de citoyennes et de citoyens.

Pourquoi ce guide ?

La publication de ce guide s’inscrit dans un contexte de marchandisation et de (sur)médicalisation de la santé, un contexte marqué par l’influence de puissants lobbies industriels (industries pharmaceutiques, agroalimentaires, assurances privées…). Face à un modèle de santé dominant centré sur le soin et la responsabilité individuelle, il appartient, dès lors, à la collectivité de contester et de combattre les inégalités que ce système (re)produit pour améliorer la distribution des ressources sociales, culturelles, économiques, environnementales contributives au développement et au maintien de la santé, et auxquelles chacun(e) a légitimement droit. Parallèlement à ces constats, de nombreux groupes de citoyen(ne)s se mobilisent pour proposer des solutions structurelles alternatives ayant des effets positifs sur la santé. Le plaidoyer devient ainsi un levier de transformation essentiel pour lutter contre les inégalités sociales de santé, fruit de choix politiques réversibles.

Un concept à l’épreuve de la réalité

Selon l’Organisation mondiale de la Santé, le plaidoyer pour la santé est une « combinaison d’actions individuelles et collectives afin d’obtenir des engagements et soutiens politiques, une acceptation sociale et des soutiens institutionnels pour atteindre un objectif de santé ou réaliser un programme de santé.»Note bas de page Que recouvre ce terme de « plaidoyer » ? S’il n’existe pas de définition univoque, il renvoie, tout au long du guide, à trois éléments constitutifs immuables : l’intérêt général, la création de changement et l’obtention d’engagements. La vision du plaidoyer pour la santé proposée dans ce guide s’inscrit dans un processus communautaire qui cherche à accroître le pouvoir des gens et des groupes à s’approprier une vision multifactorielle de la santé et à mettre en avant les responsabilités multiples dans l’amélioration de la qualité de vie de toutes et tous.L’envie de mettre en lumière ce processus nous a amenés à le baliser et à en sélectionner ses composantes clés. Les écrits internationaux en la matière ont pu guider la réflexionNote bas de page sans en constituer un élément prédominant. Portés par des démarches de promotion de la santé, nous avons estimé indispensable d’aller à la rencontre d’associations et de collectifsNote bas de page actifs sur des terrains variés et touchant un ou plusieurs déterminants de la santé, comme le logement, la pauvreté ou l’accès aux soins. De cette manière, la réflexion théorique a été enrichie des réalités vécues et de témoignages de pratiques. Une dimension en était cependant manquante : les liens entre citoyen(ne)s et représentant(e)s politiques du point de vue de ces derniers. Le guide est donc parsemé d’encadrés de paroles des personnalités politiques que nous avons rencontrées. À la manière d’une conversation fictive, ces paroles répondent aux expériences collectives, sans offrir de solution, et mettent parfois en évidence la distance entre réalité politique et dynamique citoyenne.

Vers l’élaboration d’un modèle

Dans une volonté de refléter au mieux la complexité de la réalité, il nous a semblé pertinent d’élaborer un modèle propre aux démarches présentes dans le guide. Nous avons voulu éviter un canevas à appliquer à partir d’une succession chronologique d’étapes à suivre. Le parti pris a été de mettre en lumière un ensemble d’éléments à avoir en tête dans le cadre de démarches de plaidoyer ou lorsqu’on souhaite les initier.

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Ces éléments, balises pour l’action, font tour à tour l’objet d’une réflexion dans le guide :

  • Faire groupe
  • Identifier des besoins, problématiques et enjeux de santé
  • Préparer le plaidoyer
  • Construire l’argumentaire, le message et l’agenda
  • Passer à l’action
  • Évaluer

Nous nous concentrerons dans la suite de cet article sur trois dimensions de ce modèle qu’il nous semble important de mettre en évidence, à savoir le « faire groupe », la création de coalitions et l’analyse de l’agenda politique.

La pierre angulaire d’une démarche communautaire : « faire groupe »

Par définition, la démarche communautaire part d’un groupe, d’un collectif, qui partage potentiellement un intérêt commun et des valeurs mobilisatrices. Tout au long de la partie qui lui est dédiée, le guide pose la question de ce groupe : qui est-il? D’où vient-il ? Quelles conditions et dynamiques sont nécessaires à son existence, à son maintien ?

Pour la LUSS, « faire groupe » est bien plus que le partage d’un intérêt commun. « Faire groupe » renvoie à une mobilisation autour d’une situation problématique, une indignation, des souffrances communes, une injustice ressentie… La Ligue considère que le plaidoyer commence au moment où un groupe de citoyens, une association, des patients… se disent ‘il faut faire quelque chose’ ».

Dans un climat actuel d’individualisation des rapports sociaux, le « faire groupe » devient de plus en plus difficile. Les témoignages recueillis mettent en avant, lors d’une mobilisation sur le long terme, la difficulté de maintenir dans le groupe les personnes les plus fragiles qui doivent faire face à des priorités non choisies. Standardiser une méthode univoque pour constituer un groupe et y maintenir une dynamique porteuse est impossible et non pertinent tant il y a de façons de « faire groupe ». Sans tenter de proposer des solutions ou des réponses toutes faites, cette partie illustre, par les expériences récoltées, la transversalité du « faire groupe », sa construction et ses multiples conditions de maintien tout au long de la démarche. Cette dimension communautaire est d’autant plus importante à investir dans le plaidoyer qu’elle va donner de l’épaisseur et du sens à celui-ci.

Créer des coalitions : le pouvoir du nombre

S’associer à d’autres offre de multiples avantages en termes de poids et de visibilité sur la scène publique, médiatique et politique mais aussi en termes de légitimité et de représentativité par la diversité de personnes ou de structures engagées. La stratégie de coalition permet de mutualiser les efforts, de partager les connaissances, les ressources voire les responsabilités.

Le premier combat du groupe Action de DoucheFLUX a été mené contre les loyers abusifs. « Nous avons réuni autour de la table diverses associations. De ces discussions est née la ‘Manif de Droite’ » qui dénonçait l’absence de volonté du gouvernement pour mettre en place un cadre contraignant en ce qui concerne la fixation des loyers. Cette manifestation s’est concrétisée avec la collaboration d’une série d’organismes engagés sur le thème du logement et des droits humains.

S’associer n’est pourtant pas chose aisée : cela nécessite pour un groupe de passer, au préalable, par une phase d’identification des acteur(trice)s susceptibles d’avoir un intérêt pour la question pouvant devenir de potentiel(le)s allié(e)s.S’associer c’est parfois également renoncer. Il peut toujours exister le risque que la coalition dénature le discours originel du groupe, voire qu’il soit instrumentalisé. S’unir va donc souvent de pair avec la négociation. La recherche de compromis permet de fixer les revendications communes et prioritaires et de positionner chacun(e) sur un pied d’égalité.

Régulièrement, le RWLPNote bas de page est amené à initier des coalitions (plateformes, réseaux permanents ou momentanés) ou à rejoindre une coalition, dans le but de mutualiser les compétences, d’élargir la sphère d’influence, de créer un rapport de force plus grand. Pour le RWLP, un accord sur l’objectif, la stratégie, le processus poursuivi par la coalition est indispensable pour que celle-ci se justifie, et pour qu’elle soit pertinente et efficace : « C’est comme un contrat. L’accord est essentiel. Il garantit ce qui est prioritaire ». Une « tension » à gérer pour le RWLP est le fait de ne pas « perdre » les personnes concernées et à tout le moins leurs paroles au profit d’une spécialisation d’un propos.

Analyser l’agenda politique : repérer les « fenêtres d’opportunité »

« La période pré et post-électorale constitue une opportunité à saisir. Il faut jouer sur l’agenda des politiques surtout dans cette période où ils se doivent d’être à l’écoute des citoyens. » (Parole de représentant(e) politique)

Le temps du politique (avec dans la pratique des objectifs à court terme) n’est pas le même que le temps des citoyen(ne)s ou de l’action associative. Le défi pour les porteur(se)s du plaidoyer est de minimiser les décalages entre ces temporalités. L’analyse de l’agenda politique permet alors d’identifier les « fenêtres d’opportunité » : les élections, un débat ou une question au parlement, un événement de l’actualité, la préparation d’un texte réglementaire, une journée internationale…Pour les acteurs et actrices impliqué(e)s dans des actions de plaidoyer, il s’agit d’être à l’écoute de l’actualité en général et de l’actualité politique en particulier pour estimer le meilleur moment de diffusion du message. Toutefois, si le groupe n’est pas prêt ou ne dispose pas d’assez de temps pour initier l’action de plaidoyer de manière claire et organisée, il faut parfois accepter de ne pas se lancer « dans l’arène ». De plus, la planification des actions de plaidoyer en fonction de la disponibilité des membres du groupe, voire de la coalition est pointée comme essentielle.

Une matinée pour poursuivre la réflexion

Ce guide représente une invitation à réfléchir sur le processus de plaidoyer, à s’emparer du sujet pour discuter, partager et agir ensemble. Publié en mars, il a fait l’objet d’une présentation et d’une discussion lors d’une matinée organisée à Namur, le 5 avril dernier. Elle a réuni plusieurs associations et acteur(trice)s curieux(se)s et engagé(e)s. Cet événement a suscité de nombreux échanges qui ne doivent pas, selon nous, rester sans suite. En guise de conclusion, voici quelques lignes de force ayant émergé du débat. Celles-ci peuvent constituer des points d’attention lorsqu’une démarche communautaire de plaidoyer est menée.

  • La dynamique de participation des membres d’un groupe est variable et non-constante, elle se forme et se déforme en fonction des aléas de la vie des personnes (leur disponibilité, leur motivation, leurs contraintes…). Il est nécessaire de la prendre en compte.
  • La participation demande des moyens, des compétences, du temps, de l’argent pour être assurée et maintenue. Et même si elle est souvent encouragée par le politique (parfois financièrement), elle ne doit pas servir à le déresponsabiliser : participer, c’est avant tout repolitiser le quotidien.
  • La démarche communautaire de plaidoyer ne doit pas être un facteur de fragilisation des personnes qui y sont engagées. Le groupe, le ou la facilitateur(trice) ou l’institution se doivent donc de créer un filet de sécurité pour éviter qu’une exposition, un investissement, un désenchantement ne portent atteinte à la vie de tous les jours des personnes.Enfin, le guide souligne l’impérieuse nécessité de promouvoir des changements structurels contribuant à l’élaboration de politiques sociales justes et positives pour la santé. Christine Mahy, du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, a très bien relayé cet aspect lors de la matinée, en invitant chacun(e) à garder en tête que ce ne sont pas les personnes (surtout celles qui vivent « de trop peu de tout ») qui doivent s’adapter aux systèmes (de santé) mais bien l’inverse.

Retrouvez le guide en téléchargement sur le site de Cultures&SantéNote bas de page. Une version papier est également disponible gratuitement sur demande auprès du centre de documentation et dans les différents Centres Locaux de Promotion de la Santé en Wallonie et à Bruxelles.

OMS, 1995.

Le plaidoyer et l’équité en santé… Parlons-en, in: Centre de Collaboration national des déterminants de la santé, Antigonish (N.É.), Université St. Francis Xavier, 2015, pp.1-5 ; Loue Sana, Community health advocacy, in: J Epidemiol Community Health, 2006, pp.458-463; Shilton Trevor, Advocacy for physical activity-from evidence to influence, in: IUHPE-Promotion & Éducation, vol.13, n°2, 2006, pp.118-126.

DoucheFLUX, le GAMS, le groupe ALARM de la Maison de quartier Bonnevie, la LUSS, le RWLP, Periferia, Globules, MDM Normandie et Tunisie.

Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté