Septembre 2002 Par S. BOURGUIGNON Initiatives

En mai dernier, le centre scolaire Pierre Paulus à St Gilles (Bruxelles) était sous le feu des projecteurs. Élèves, professeurs, parents, journalistes, sympathisants étaient tous venus inaugurer une fresque de 100m2 réalisée dans le préau de l’école. Trois murs couverts de graffes colorés et éloquents témoignent du travail de réflexion mené par les jeunes sur le thème ‘Dépendances/Autonomies’.
Marianne Dehouck , professeur de math, de sciences et coordinatrice pédagogique, a suivi l’histoire de ce projet de très près. « Depuis plusieurs années, nous travaillons sur des projets de prévention aux assuétudes au sein d’un groupe circulaire, groupe où la parole circule) composé de professeurs de différentes écoles, d’éducateurs, d’Infor-Drogues, de la Cellule de prévention de St Gilles… » nous confie-t-elle. « L’année passée, au centre scolaire Pierre Paulus, nous avons plus particulièrement abordé le thème ‘autonomies-dépendances’ au sens large, pas uniquement par rapport aux drogues. Parler de dépendances au GSM, à l’argent, à la nourriture provoque moins de gêne pour parler d’autres types de dépendances. Il y a eu une exposition à la Maison du Livre à St Gilles et une parodie d’un défilé de mode. Les élèves avaient fabriqué des costumes à partir d’éléments de dépendances. Ces événements ont eu beaucoup de succès. Le sujet était loin d’être épuisé, alors nous l’avons à nouveau proposé cette année
Chapeauté par Infor-Drogues, le Centre scolaire Pierre Paulus réfléchit à un projet qui resterait permanent au sein de l’école et qui impliquerait les différentes classes. Le préau s’impose. L’endroit n’était pas agréable, les bruits s’y amplifiaient et rendaient les récréations peu relaxantes. La section ‘construction métallique-soudage’ a placé des panneaux d’insonorisation sur le plus grand mur avec le projet de le recouvrir d’une immense fresque.
« Nous avons rencontré l’artiste Jihef de la Fondation Jacques Gueux. Il fait des graffes dans Bruxelles» reprend Christiane Dehouck. « Pendant une semain, il a travaillé avec une équipe de 6 jeunes par jour ». Les élèves participant au projet sont tous volontaires. Ce sont leurs profs qui leur ont présenté le projet. Ensemble, ils ont discuté des thèmes qu’ils voulaient exploiter par la peinture. Les jeunes ont d’abord réalisé des croquis sur papier. Puis, ils les ont présentés aux différents partenaires du projet: la direction, le proviseur, l’équipe d’Infor-Drogues et la Cellule de prévention de St Gilles. Certains dessins, comme celui représentant un jeune qui fume du cannabis, ont fait l’objet de débats. Aux enseignants opposés à voir ce graffe bombé dans le préau, les jeunes ont répondu que même pour ceux qui ne fument pas, le cannabis reste un sujet de préoccupation, qu’ils sont face au choix d’en prendre ou de ne pas en prendre.
Ce n’est donc pas un hasard si ce mur a été baptisé ‘Le mur qui génère la parole’.

Cannabis, vitesse et école broyeuse…

« Un seul groupe a choisi d’aborder le thème du cannabis. Les jeunes qui ont réalisé ce graffe ont voulu le mettre en balance avec le sport en inscrivant Faites du sport, puis un mot en arabe qui veut dire c’est bien. Je pense que les jeunes ici ne fument ni plus ni moins qu’ailleurs» , reprend la coordinatrice tout en nous faisant un descriptif visuel de la fresque. « Nous essayons d’être attentifs, de créer un dialogue là-dessus. Un autre graffe représente la notion de vitesse parce qu’en début d’année, deux jeunes dont un de l’école se sont tués en faisant des courses de voiture la nuit… Puis, éparpillés sur les trois murs, on peut lire ces mots en arabe : Tolérance et Egalité ou encore la connaissance est lumière, l’ignorance est obscurité. Autres phrases bombées sur la fresque : Quoi qu’il advienne, l’avenir nous appartient. Là, on voit : Nique les pas contents. Les jeunes ont mis leurs signatures, c’est aussi quelque chose d’important. Sur le plus grand mur, il y a un graffe sur l’école qui est un peu présentée comme une mécanique qui broie. A l’avant-plan, sont représentés des élèves qui ont leur matériel et qui lèvent le doigt. Puis derrière, ceux qui chahutent, qui font voler leurs cahiers …».
Si ces graffes témoignent des préoccupations des jeunes, ils interpellent également les enseignants. Parmi eux, quelques-uns doutaient que le graffe soit un bon moyen pour exprimer les réflexions sur les assuétudes. D’autres insistaient sur l’utilisation du mot graffe et non de celui de tag, souvent associé au vandalisme. D’autres encore se demandaient si les jeunes allaient respecter le travail accompli… Christiane Dehouck témoigne des réactions: « Nous avons écouté les élèves et puis nous leur avons dit que ce préau était leur espace, qu’ils en faisaient quelque chose de bien ou alors que nous le laissions tel quel. Depuis que la fresque est là, il y a moins de crachats, moins de canettes canardées sur le plafond ou sur le mur. Tout ça a diminué. Du côté des profs réticents, quand ils ont vu que le projet se concrétisait, que les élèves s’impliquaient et qu’il y avait une réflexion, alors à ce moment-là, certains ont changé d’avis. Ils ont commencé à s’investir plus, par exemple, en laissant les élèves sortir de leur cours pour aller préparer le travail des graffeurs en peignant les murs en blanc

Ambiance!

Les trois murs graffés auraient-ils changé l’ambiance de l’école? Pour Christiane Dehouck, pas de doute, ce projet artistique a bel et bien apporté une succession de vagues d’ondes positives. « Ce mur suscite beaucoup de dialogue entre les jeunes et nous, du respect et une reconnaissance. Les élèves sont fiers de s’être vus dans les médias. C’est très important aussi qu’on puisse faire connaître le projet à l’extérieur. Je vais d’ailleurs demander que la distribution des prix se fasse dans le préau pour que plus de parents puissent voir la fresque. Ils se sentiront peut-être plus motivés pour rentrer dans l’école
Plus de dialogue, une reconnaissance des jeunes et une meilleure implication des parents dans l’école sont les premiers effets positifs ressentis au sein de l’école. Il y en a d’autres. La coordinatrice apprécie aussi le fait que le projet se soit déroulé à l’intérieur de l’école et qu’il a impliqué les professeurs et des élèves de tous les âges. Et puis, lors du vernissage, cette autre bonne surprise: un éducateur du centre scolaire a fait une démonstration de danse Hip Hop sous les encouragements des élèves.

Vidéo ‘Dépendances/Autonomies’

En collaboration avec le Centre d’enseignement technique et professionnel Pierre Paulus, Infor-Drogues a réalisé une vidéo à partir de l’exposition ‘Dépendances/Autonomies’ qui s’est déroulée à la Maison du livre de St-Gilles en juin 2001. Ce document, bien que de qualité ‘non-professionnelle’, peut s’avérer utile à tous ceux qui s’interrogent sur la forme qu’un projet de prévention pourrait prendre en dehors des clichés les plus courants: prévention = information.
Concrètement, les images relatent les diverses expériences menées par les classes de 5e et 6e années: création de vêtements qui expriment les dépendances et les autonomies choisies par les jeunes (argent, marques, nourriture, préservatifs…); exposition de collages… Les professeurs et les élèves témoignent également de ce que leur a apporté ce projet, qui par la suite a abouti à un autre projet: la fresque murale dans le préau du centre scolaire. Un outil qui peut vous aider à concrétiser vos projets!
Vous pouvez obtenir cette vidéo en vous adressant à: Infor-Drogues, rue du marteau 19, 1000 Bruxelles. Tél.: 02-227 52 52. Site internet: http://www.infor-drogues.be Courriel: courrier@infor-drogues.be

Il n’en fallait pas plus pour lancer l’idée d’un nouveau projet: l’année prochaine, cet éducateur organisera un atelier Hip Hop sur le temps de midi. Un rendez-vous qui s’annonce fédérateur et qui, espèrent les professeurs, incitera les jeunes à amener leurs tartines et à manger à l’école plutôt que d’acheter des repas avalés sur le pouce dans la rue. On le voit, cette fresque a des répercussions à plusieurs niveaux: relationnel, éducatif et même diététique…
Sa dynamique a entraîné de nombreux changements immédiats ou en devenir. Elle a touché tous les membres de l’école, comme cette assistante sociale du PMS dont Mme Dehouck nous parle: « Elle a travaillé avec la classe des premières. Elle m’a dit que maintenant, par rapport aux élèves, elle a un tout autre contact. Avant, ils ne la connaissaient pas bien et puis ‘psy’, ça fait toujours un peu mystérieux et péjoratif: si on va chez le psy, c’est qu’on est un peu fou! Voilà le raccourci que les élèves font souvent. Depuis la fresque, les élèves l’appellent Fabienne et ils viennent beaucoup plus facilement parler. Elle s’était investie dans ce projet par goût et maintenant elle a ce retour auquel elle ne s’attendait pas. C’est vraiment chouette parce que ce sont des jeunes élèves qui vont grandir dans l’école et qu’elle pourra suivre. Cette expérience lui a donné envie de se réinvestir l’année prochaine .» Les multiples répercussions positives de ce projet donnent également à d’autres écoles l’envie de s’investir avec les jeunes. Le médiateur de l’athénée de St Gilles a d’ailleurs déjà prévu de commencer le même projet dans son école. L’effet boule de neige ne fait que commencer!
Propos recueillis par Sylvie Bourguignon