Novembre 2006 Par A.-B. TWIZEYIMANA Initiatives

Butaré – L’éducation sexuelle reste un sujet tabou dans les familles rwandaises. Mais les mœurs se libéralisent… et les grossesses non désirées se multiplient chez les étudiantes. Pour les éviter, le premier cours de l’université du Rwanda porte désormais sur la santé de la reproduction.
A l’université nationale du Rwanda, à Butaré dans le sud du pays, les études commencent désormais par un cours sur la santé de la reproduction. Une mesure prise par les autorités académiques pour tenter de limiter le nombre de grossesses non désirées chez les étudiantes: environ cinq cents d’entre elles sont tombées enceintes au cours de l’année universitaire 2005. Selon le centre Dushishoze, tenu par Population services international, une ONG américaine impliquée dans la lutte contre le sida, la plupart viennent d’arriver à l’université. De nombreux bébés abandonnés ont ainsi été retrouvés dans les parages des écoles ou internats des filles.
Autre mesure prise cette rentrée 2006, l’université pourvoit les étudiants en préservatifs. Une boîte de condoms a été placée dans les toilettes. ‘ En cas d’épuisement des stocks , les étudiants réclament un ré approvisionnement rapide ‘, confie Chantal Uwambaza , Commissaire chargée du genre et de la promotion de la femme au sein de l’Association générale de l’université du Rwanda.
L’Union des femmes de l’université a de son côté mis en place la stratégie de paires éducatrices. Les filles se réunissent en petits groupe en vue d’échanger sur les changements physiques des jeunes filles et les comportements à adopter. On trouve aussi des clubs de ce genre dans certaines villes.

Les bébés sortent par le nombril

La Commission du genre et de la promotion de la femme de l’université et l’Union des femmes étudiantes (UWSA) attribuent, en effet, cette situation au manque d’éducation sexuelle des jeunes. ‘ La santé reproductive demeure un tabou dans la culture rwandaise . Aussi , malgré la libéralisation des mœurs , les filles rwandaises ne sont pas suffisamment éduquées sur leurs propres prises de décision sur les relations sexuelles ‘, constate C. Uwambaza. À l’heure actuelle, certains jeunes ayant atteint l’âge de la puberté croient toujours que les bébés sortent par le nombril. C’est la réponse que donnent encore de nombreux parents aux questions de leurs enfants.
Peu de parents ou d’éducateurs osent leur expliquer le corps humain. Dans les régions rurales, ils pensent que parler de cela aux jeunes encourage les mauvaises mœurs. ‘ Je le laisse au soin des enseignants , car je ne peux en aucun cas dévoiler ces obscénités à mes enfants ‘, affirme une mère de famille, résumant un avis courant.
Les enseignants sont dans la même situation et ne disposent pas de documentation pédagogique appropriée à chaque niveau de formation. ‘ C’est auprès de mes camarades que j’ai appris les noms et la fonction des organes génitaux . Personne à la maison ou à l’école ne pouvait les prononcer ‘, témoigne Émile, 17 ans, élève en sixième secondaire à Butaré.
Dans les écoles mixtes et même dans les villages, les conséquences de cette ignorance sont flagrantes. ‘ Au cours de l’année 2005 , nous avons enregistré une dizaine de cas de filles qui affirment avoir conçu avant leurs premières règles ‘, témoigne une infirmière de la maternité de l’hôpital Gahini, province de l’Est.

Liberté mal comprise

Les adolescents sont ainsi livrés à eux-mêmes pour découvrir la sexualité. Cependant, bon nombre de jeunes instruits sont en contact avec la culture moderne via les journaux, la télé ou Internet. ‘ Les parents devraient expliquer clairement à leurs enfants comment s’y prendre afin de contrer la mauvaise interprétation ou imitation des modernités ‘, suggère un communicateur de santé. Car il leur manque des avis critiques nécessaires pour juger de ce qu’ils voient ou entendent ‘ J’ai eu ma première couche après avoir vu ‘la porno’ à l’Internet ‘, révèle ainsi Y. T, 14 ans, de Butaré. ‘ Mes copines me poussaient à faire des relations sexuelles . Selon les connaissances de bien des adolescents , les relations améliorent la taille des jeunes filles . Mais , au premier contact , j’ai attrapé la grossesse !’, regrette M. D, après avoir suspendu ses études universitaires à cause d’un ‘ bébé inopportun ‘.
Le problème est particulièrement délicat à l’université. Les jeunes ne sont plus soumis à la rigueur de leurs parents ou éducateurs et logent dans les quartiers populaires de Butaré. Libres et responsables de leurs ‘maisons’, ils sortent et rentrent quand ils veulent. Très vite, c’est le ‘copinage estudiantin’, de jeunes couples se forment… et les grossesses non désirées se multiplient. La situation est la même dans diverses régions du pays où vont étudier des externes.
Auparavant, une étudiante enceinte était exclue d’office des études. Mais les militants de la promotion de la femme ont obtenu que les étudiantes mamans soient réintégrées dans leur établissement. Toutefois,’ une grossesse non planifiée reste onéreuse pour les étudiantes ‘, constate le directeur d’une école secondaire de Kigali. La jeune fille est obligée de suspendre ses études et ensuite de jongler entre les cours et les soins au bébé.
Albert-Baudouin Twizeyimana , InfoSud – Syfia Grands Lacs