Décembre 2002 Par S. BOURGUIGNON Initiatives

Conçu par le secteur Enfance et Jeunesse des Mutualités socialistes, ‘Accro, moi non plus’ est un programme constitué d’une expo interactive, d’un cédérom et d’un site Internet pour les jeunes à partir de 14 ans. Basé sur le principe du ‘jeu dont vous êtes le héros’, cet outil permet aux ados mais aussi aux adultes de se plonger dans le quotidien de 7 personnages, de vivre leur vie, leurs amours, leurs emmerdes et leurs dépendances… Nous avons interviewé Pierre Baldewyns, médecin et cheville ouvrière de cette opération de sensibilisation aux assuétudes.
Education Santé: Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur les assuétudes?
Pierre Baldewyns : Dans les mouvements de jeunesse des mutualités socialistes, nous avons des relais qui sont directement en contact avec les jeunes. Ils organisent des vacances, des stages, des soirées… Dans leur vécu, le problème de la consommation de produits interdits ou permis comme l’alcool revient souvent. En centre de vacances, il arrive régulièrement que des animateurs voient des jeunes fumer, essentiellement des joints. C’est vraiment un problème sur lequel ils demandaient de travailler.
Voilà le point de départ. Dans la façon de traiter le sujet, j’estime que c’est plus de la promotion de la santé que de la prévention: on part de problèmes quotidiens vécus par les jeunes et on essaie de contextualiser le recours à des produits aussi bien dans des circonstances de loisirs que de consommation de ‘fuite’. Il y a une vision systémique du problème. Nous trouvons important de lier la consommation de produits à des problèmes comme le décrochage scolaire, les difficultés avec les parents ou dans la vie affective.
E.S.: L’approche globale ne risque-t-elle pas de ‘noyer le poisson’?
P.B .: Oui mais nous avons pesé le pour et le contre. Lors d’animations, nous avons souvent entendu des réactions de jeunes qui disent: ‘Vous allez encore nous parler de cannabis, d’ecstasy… On connaît et on en a marre!’. C’est aussi un danger que les jeunes soient présents mais n’écoutent plus et ne participent pas.
A mon avis, l’avantage d’’Accro’ est d’aller repêcher des gens qui n’auraient pas été intéressés au départ. Ce jeu offre beaucoup de portes d’entrée, le joueur peut se sentir intéressé à différents niveaux: parce qu’on parle de problèmes relationnels avec les parents, avec les amis ou parce qu’on va parler de produits. C’est vrai qu’il y a un danger. Je pense que certains animateurs ou enseignants vont dire: ‘finalement, ça parle de quoi ce truc, c’est trop touffu, il y a trop de choses’. Mais je pense qu’au niveau du jeune, le message passera plus facilement.
E.S.: Pourquoi s’adresser aux jeunes alors que les assuétudes touchent également les adultes? Ne craignez-vous pas que ce soit à nouveau cette image des jeunes en tant que consommateurs de drogues qui ressorte?
P.B .: J’espère que ça n’aura pas cette conséquence parce que c’est tout le contraire qu’on essaie de faire. Quand on pense aux consommations exagérées des jeunes, on pense plus aux drogues qu’à l’alcool, qui lui est plus associé à l’adulte. Pourtant, l’alcool a vraiment sa place dans le projet.
Les 7 héros croisent des adultes dans leur famille ou à l’extérieur qui ont eux-mêmes des problèmes et consomment des produits comme l’alcool ou les médicaments. Pour le moment, nous proposons l’expo et le cédérom à des associations de parents. On pourrait imaginer que les adultes jouent, le temps d’une expo, le rôle d’un jeune et entrent dans sa peau. Cela leur permettrait de regarder les problèmes différemment, sans dire que leur vision est mauvaise mais juste de manière à l’enrichir et à leur permettre de rétablir la communication avec les jeunes avec lesquels ils ont des problèmes.
E.S.: Quel était l’esprit de travail pendant la conception d’Accro?
P.B .: Nous avons eu de grandes discussions avec les responsables des différentes régionales. Notamment sur la façon dont les animateurs réagissent quand un enfant ne se sent pas bien en séjour de vacances. Nous avons vu que pas mal de responsables avaient le réflexe de donner quelque chose au jeune, un médicament, une aspirine… alors que lui parler aurait parfois suffi.
On est parti de cette banalisation de consommation de produits. Il y a eu toute une réflexion sur pourquoi on consomme et ce qu’on attend de nous dans la société, comment on accepte d’avoir un minimum de faiblesse, de ne pas être nécessairement performants à tout point de vue, sexuellement, professionnellement, physiquement, mentalement… Dans le contenu sur le stress, la dépression et le suicide, nous essayons de dire qu’avoir des coups de pompes, être découragé ou triste fait aussi partie de notre vie. Nous ne disons pas non plus que le médicament n’est pas bon. Il est bon quand il est pris à bon escient.
L’autre aspect très développé dans le projet, c’est l’aspect relationnel. L’idée que quand on a un problème, plutôt que de rester dans son coin, il est vraiment important de pouvoir parler à une personne de confiance. Il y a la famille mais pas uniquement. Nous abordons la famille en parlant de tribus pour dire qu’on peut se sentir écouté et accepté dans ses problèmes avec des amis, des adultes, des profs…
E.S.: Le jeu s’adresse directement à l’individu alors que pas mal de problèmes sont liés aux problèmes de société comme la difficulté de trouver un emploi…
P.B .: Tous les thèmes abordés dans ‘Accro’ doivent être travaillés à différents niveaux. Au sujet des drogues, il faut travailler au niveau législatif. Pour l’emploi, il faut travailler à la création d’emplois mais aussi à la manière d’envisager le chômage. Notre société n’est plus une société de plein emploi et il faut commencer à se dire que ce n’est pas si grave que ça. Je pense qu’on va tous passer par des périodes sans boulot. Pour le moment, le chômage reste quelque chose de dramatique, de financièrement intenable et de honteux. ‘Accro’ travaille au niveau de l’action individuelle. C’est un projet pour aider au développement de la personne, qu’elle puisse remonter la pente même si une tuile lui tombe sur la tête.
E.S.: Qu’attendez-vous comme répercussions?
P.B .: On veut qu’à la fin de l’expo, chaque jeune parte avec un cédérom. Même s’il y a des familles qui n’ont pas d’ordinateur, il y a au moins un voisin, un centre de jeunes, une école, un endroit où ils pourront aller avec leur CD et le regarder. Nous travaillons aussi sur une version papier qui reprendrait tous les textes et la liste d’associations.
Alors, qu’est-ce qu’on attend? Pour moi, l’objectif principal est qu’après l’expo ou le jeu, le jeune ne sépare plus ses consommations de ce qu’il ressent en lui. Qu’il se rende compte que s’il a tel comportement de consommation, ça a un rapport avec ce qu’il vit. Ce n’est pas séparé. J’espère aussi que le jeune verra la richesse des infos et des associations renseignées. Je voudrais que ça devienne aussi une espèce de document de référence.
E.S.: Vous n’avez pas de regret ou l’impression d’avoir loupé un sujet?
P.B .: Pas encore. Nous avons reçu un mail de 2 jeunes qui disent qu’ils ne trouvent pas notre jeu très amusant parce qu’il y a beaucoup à lire. La remarque est intéressante et je vais leur répondre. C’est vrai que ce n’est pas un jeu où on tue, où on saute. C’est une forme ludique mais avant tout, c’est éducatif.
Il y a aussi un article dans Le Vif – ’Express qui dit que les scénarios sont un peu gnan-gnan. Je comprends et je suis d’accord mais quand quelqu’un nous parle de ses problèmes qui lui semblent énormes, on peut trouver ça gnan-gnan. Nous avons voulu que les histoires ne soient pas extraordinaires ou catastrophiques. Les problèmes représentés peuvent paraître anodins mais la personne qui les vit les trouve importants et en souffre vraiment.
Nous avons voulu garder des situations dans lesquelles les jeunes peuvent facilement se retrouver. Si un toxicomane visite l’expo, c’est vrai qu’il va rigoler, parce qu’il ne se sentira pas concerné. Il sera dans un autre registre. Mais nous, on parle de la vie de tous les jours. Est-ce qu’on ne s’est pas trompé? Oui, sûrement parce qu’on aborde des sujets qui demanderaient des développements énormes et on a dû les synthétiser. Nous nous plaçons vraiment en généralistes de l’éducation, de la promotion de la santé. S’il y a des questions plus précises, nous renvoyons aux spécialistes, aux associations…
.: Qu’est-ce qui vous a plu dans la réalisation de ce projet?
P.B. .: Je suis médecin généraliste au départ. J’ai envie de dire que la médecine générale n’était pas encore assez générale pour moi. Même si on voit le patient dans sa globalité, on n’a pas toujours le temps de connaître les gens dans leur vie de tous les jours. Ici, ce qui m’a plu, c’est d’envisager les personnes jeunes dans leur globalité. Pouvoir être plus généraliste qu’un médecin généraliste en somme.
Propos recueillis par Sylvie Bourguignon
Renseignements et commandes: FESC et MJT Espaces jeunes, 1-2 Place Saint-Jean, 1000 Bruxelles. Tél.: 02-515 04 02. Fax: 02-512 27 62. Courriel: accro@mutsoc.be. Site: http://www.mutsoc.be/accro . Calendrier et itinéraire de l’expo disponible sur le site.