Le Conseil supérieur de promotion santé remet au Gouvernement de la Communauté française des avis destinés à assister ce dernier dans sa politique de promotion de la santé et de médecine préventive. Il s’agit souvent de recommandations techniques, imposées par la législation, ou d’avis ponctuels sur des programmes d’action et de recherche, sur des campagnes médiatiques, des registres de pathologies, etc.
Le Conseil est aussi amené à répondre à des questions de portée plus générale, et peut aussi prendre l’initiative d’attirer l’attention de la ministre sur une question qu’il juge intéressante ou préoccupante.
L’avis reproduit ci-dessous a été donné le 18 avril 2008 en réponse à une demande de Madame Catherine Fonck , Ministre de l’Enfance, de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé.
A noter: le site sante.cfwb.be contient beaucoup d’informations utiles sur le Conseil, dont une partie de ses avis.
Note: les titres sont de la rédaction
Le Conseil, à la demande de la Direction générale de la santé, a examiné le Plan d’action national alcool (PANA) 2008-2012.
Les discussions et décisions entre le Fédéral et les Entités fédérées ont été reportées au plus tôt à juin 2008. L’une des raisons est sans doute liée au fait que les questions abordées dans ce Plan dépassent le seul secteur de la santé et concernent de nombreux autres départements (justice, communication…). Dans ces conditions, le Conseil estime opportun de remettre un avis à la Ministre de la santé de la Communauté française, Catherine Fonck, en vue d’argumenter les discussions qui devront encore se tenir.
Rôles du ‘fédéral’ et des Communautés
Le Conseil s’inquiète de la multiplicité des plans nationaux élaborés au niveau fédéral avec la participation des Communautés; ces plans envisagent chacun leur problématique spécifique en fonction sans doute de lobbies; aucune organisation de gestion de ces plans n’est réfléchie ni prévue (financement, équipe de gestion, accord structurel visant un engagement des Entités fédérées et du Fédéral en fonction de leurs compétences…) de telle sorte que ces Plans relèvent plus d’un souci de visibilité passager que d’une volonté d’agir durablement.
Le Conseil s’interroge sur le peu de place laissé aux Communautés et aux pouvoirs locaux et de leur implication dans les choix des actions menées et des publics cibles visés. Le Conseil estime que le Plan s’octroie pour partie un rôle dévolu aux Communautés dans la mesure où il définit lui-même les choix politiques de prévention et précise les actions de sensibilisation et de formation de divers groupes cibles, domaines de compétence communautaires.
La Cellule Politiques de santé en matière de drogues s’institue dans le PANA comme l’interlocuteur privilégié – si pas unique – des actions concrètes proposées dans le Plan, la Conférence interministérielle étant le passage obligé. Malgré l’évidence des compétences communautaires, le PANA semble donc bien un Plan que se propose de diriger le Fédéral dans une vision pasteurienne. Les Communautés sont considérées par le Fédéral plutôt comme des collaborateurs, ce qui risque d’amener à des blocages lors de l’exécution des actions.
Une approche obsolète et naïve
Le Conseil souligne d’abord l’absence dans le PANA de la moindre référence aux objectifs et stratégies de promotion de la santé. L’approche biomédicale, pasteurienne est seule mise en évidence: dépistage médical, traitement, information alarmiste des publics et propositions répressives. Travailler avec les usagers, proposer une stratégie qui s’appuie sur les besoins tels que définis par les populations visées n’est jamais envisagé.
Les publics cibles privilégiés concernent en fait l’ensemble de la population: jeunes, femmes enceintes et hommes…
L’approche par public cible privilégiée est peu judicieuse; il conviendrait de privilégier les situations de consommation.
Le Conseil souligne que le Plan s’engage insuffisamment vis-à-vis des aspects liés à l’offre; le lobby des alcooliers est ainsi escamoté en privilégiant de se pencher plutôt vers les personnes qui consomment de façon excessive.
Le Conseil souligne l’intérêt du Plan pour sa prise en compte des différents niveaux de compétences politiques tout en gardant les spécificités de chacun. Le Conseil estime que la réalisation d’un Plan national doit prévoir un temps de consultation, de négociation, de travail avec les acteurs, permettant une co-construction entre fédéral et entités fédérées.
Le Conseil souligne la multitude des idées avancées, les affirmations mal étayées, les ambiguïtés, les confusions d’idées et les approximations, les jugements moraux… ce qui décrédibilise l’ensemble du document. A titre d’exemples, page 7 «le nombre d’années de vie potentiellement perdues à cause de la consommation d’alcool était estimé à 93.000 en 1995» et «les parents directs peuvent être victimes d’abus ou d’autres comportements inadmissibles» et page 8 «les experts vont jusqu’à attribuer 25% à 40% des accidents de la route à la consommation de l’alcool».
Le Plan fait preuve d’une grande naïveté en considérant qu’il suffit d’améliorer les connaissances du public quant aux dangers de l’alcool. Certaines propositions pourraient même s’avérer contre-productives (mener des actions d’information en milieu scolaire pourrait avoir des effets incitatifs, prôner l’abstinence totale chez les femmes enceintes pourrait provoquer chez celles qui se sentent coupables une augmentation de leur consommation, et en inciter d’autres à taire leur consommation).
La question des consommations excessives et problématiques est envisagée sans toucher au contexte de ces consommations, tel par exemple le stress en entreprise. Le coût social de l’alcool est présenté comme un coût économique.
Le Conseil se pose trop de questions quant aux contenus visés par des mesures suggérées de telle sorte qu’il ne peut les mettre toutes en évidence. Le Plan est écrit de façon peu cohérente, confuse; certains types de consommation sont abordés comme argumentaires d’actions. Le manque de précision sur des propositions notamment de détection précoce et d’intervention précoce est inquiétant.
Des lacunes énormes apparaissent tout au long de l’éventail de mesures proposées, sans lien avec la promotion de la santé et du bien-être et sans prendre en compte le danger de certaines mesures en matière de préservation des droits individuels.
Face à autant de questions importantes et de remarques qui lui paraissent fondamentales, le Conseil tient à attirer l’attention de la Ministre sur les ambiguïtés de ce Plan, sa mauvaise préparation et le risque, en y adhérant sans réserve, de voir remises en question les stratégies de promotion de la santé et de réduction des risques des acteurs en Communauté française, soutenues par le politique depuis de nombreuses années.
Il semble donc essentiel pour le Conseil d’attirer l’attention de la Ministre sur la mise en avant des incursions du fédéral dans des matières communautaires sans qu’il soit fait références aux stratégies existant au niveau de ces communautés et régions.
La Présidente du Conseil, Martine Bantuelle
Réaction ministérielle musclée
Le quotidien Le Soir , dont la lecture du sujet est depuis longtemps critique vis-à-vis des initiatives des autorités, a repris des éléments de l’avis du Conseil dans son édition du 10 septembre 2008, ce qui a fait réagir Catherine Fonck au quart de tour.
Voici le communiqué qu’elle a publié le même jour sous le titre ‘Lobbying des alcooliers sur le Plan national alcool: Fantasmes et affabulations’.
Catherine Fonck , Ministre de la Santé en Communauté française a pris connaissance avec étonnement de l’article publié dans « Le Soir » de ce mercredi 10 septembre qui relaie l’affirmation du Conseil supérieur de promotion de la santé selon laquelle les dispositions du Plan National Alcool auraient succombé au lobbying des alcooliers . La Ministre soutient que de telles allégations relèvent du fantasme et de l’affabulation . Elle n’a pour sa part jamais reçu les alcooliers , ni cédé à une quelconque pression exercée par eux .
Catherine Fonck rappelle au contraire l’engagement fort des sept ministres concernés en Belgique par la lutte contre les ravages que provoque un abus de consommation d’alcool . La Conférence interministérielle du 17 juin dernier s’est ainsi accordée sur le fait que la vente et la consommation de bière et d’alcool ne seront plus autorisées qu’aux jeunes âgés au minimum de 16 ans . Et il faudra 18 ans pour pouvoir consommer des alcools forts .
Par ailleurs , elle signale que les Ministres de la Santé recommandent une séparation nette entre les alcools et les autres boissons dans les rayons du secteur de la distribution . Cette mesure vise particulièrement les alcopops qui rencontrent un large succès chez les jeunes ( l’alcool est masqué à l’aide d’eau très sucrée et colorée ).
L’apposition sur les bouteilles d’alcool d’un logo préventif à destination des femmes enceintes et l’interdiction faite aux publicitaires d’associer la consommation d’alcool au plaisir ( slogan de type « No Martini , no party ») constituent autant de dispositions susceptibles de déplaire aux alcooliers .
Pour Catherine Fonck , l’interdiction de distribuer gratuitement de l’alcool lors d’événements sportifs et culturels ne paraît pas non plus être une décision censée symboliser une prétendue soumission au secteur de la vente d’alcool .