Janvier 2006 Par C. LEONARD Stratégies

L’assurance maladie est devenue la branche la plus importante de la sécurité sociale et de nombreux acteurs attendent impatiemment la fixation du budget qui déterminera l’accessibilité des soins au cours de l’année à venir . Progressivement , c’est également la qualité des soins qui est de plus en plus concernée et , à terme , toute l’organisation du système . Une fois n’est pas coutume , il nous a semblé intéressant de présenter à nos lecteurs les enjeux en la matière , qui permettent de mettre en perspective les efforts constants mais bien modestes des Communautés en faveur de la prévention , comparés aux engagements budgétaires fédéraux en faveur des soins de santé .
Le 3 octobre dernier, les membres du comité de l’assurance – l’instance où siègent les mutualités et les représentants des prestataires – se réunissaient pour concrétiser la nouvelle procédure budgétaire. En effet, dorénavant, il leur incombe de fixer les enveloppes budgétaires de tous les secteurs de soins en respectant scrupuleusement une norme de croissance réelle des dépenses de santé (lire encadré).

La norme de croissance réelle des dépenses de santé

Depuis le 1er janvier 1995, la loi impose une norme de croissance aux dépenses du secteur de l’assurance maladie. Cette norme consiste à limiter la hausse annuelle des dépenses à un certain pourcentage en dehors de l’inflation.
De 1995 à 1999, cette norme s’élevait à 1,5 %; de 1999 à 2003, elle a été augmentée à 2,5 % et à partir de 2004, le Gouvernement a admis que les dépenses pouvaient augmenter de 4,5 % chaque année. Ces taux sont des taux réels, cela signifie que si le niveau général des prix (que l’on appelle communément l’inflation) augmente de 2,5 % par exemple, les dépenses pourront augmenter de 7 % (4,5 % + 2,5 %)

Traditionnellement, les membres du comité de l’assurance proposaient un budget global dont le montant ne respectait pas cette norme, principalement afin d’envoyer un signal au gouvernement qui devait en déduire que de nombreux besoins n’étaient pas couverts et qu’il fallait prévoir un budget supérieur pour assurer l’accessibilité de nouveaux soins, de nouvelles technologies ou de nouveaux médicaments.
La nouvelle procédure rompt avec cette habitude, car elle impose d’effectuer l’exercice budgétaire dans le cadre d’un budget légal, normé. Pour 2006, le montant disponible correspond au budget 2005 auquel on ajoute 4,5 % de croissance réelle autorisée et l’inflation prévue de 2,2 %, ce qui correspond au total à 18,427 milliards d’euros.
La seconde nouveauté consiste à donner l’opportunité aux membres du comité de l’assurance de fixer chaque budget sectoriel. Par exemple celui des médecins, des infirmières, des opticiens, de la dialyse, des maisons de repos, des maisons de soins psychiatriques… On distingue ainsi une cinquantaine de postes dont l’importance budgétaire est évidemment très variable, de 5,5 milliards d’euros pour tous les honoraires médicaux à 8 millions pour les accoucheuses.
Le comité de l’assurance avait courageusement fait des choix explicites en faveur des généralistes, des soins préventifs chez le dentiste ou de la présence continue de kinésithérapeutes en maisons de repos. Les mutualités et les prestataires s’étaient également entendus pour améliorer l’accessibilité des soins chez les opticiens pour les enfants de moins de douze ans, pour mieux rembourser certains implants dont le coût est souvent supporté par le patient, pour rendre certaines prestations plus accessibles aux indépendants et pour octroyer un meilleur remboursement aux chômeurs de longue durée de moins de 50 ans.
Pour chacun des secteurs, le comité de l’assurance avait prévu, à l’euro près, la manière dont le budget pouvait être obtenu; soit en utilisant des marges de manœuvre disponibles, soit en créant des marges au moyen de mesures d’économie. Il était par exemple prévu de veiller au respect des indications pour lesquelles les médicaments étaient admis au remboursement, ce qui permettait de réaliser des économies avec lesquelles on pouvait revaloriser la fonction du généraliste mais aussi rembourser une alimentation très spécifique pour des malades qui ne peuvent se contenter d’une nourriture ordinaire.

Le Ministre impose sa marque… très prudente

La nouvelle procédure prévoit toutefois que les propositions du comité de l’assurance doivent être avalisées par le conseil général, instance supérieure où siègent les mutualités, les syndicats et le patronat. On y retrouve aussi les représentants du gouvernement et celui notamment du Ministre des Affaires sociales.
Le 10 octobre, devant le conseil au grand complet, le Ministre Demotte fait savoir qu’il se réjouit du travail constructif du comité de l’assurance, au sein duquel les mutualités chrétiennes ont été très actives. Cependant, il estime aussi que d’autres priorités doivent être mises en avant et il recommande, pour commencer, la constitution d’une réserve de 80 millions d’euros qui ne pourra être utilisée que pendant le temps nécessaire à mettre en œuvre des mesures d’économie en cas de dérapage. Ces mesures sont d’ailleurs assurées par la nouvelle loi qui prévoit un audit permanent réalisé par les services de l’Inami. Une garantie légale qui n’apparaît pas suffisante au Ministre puisqu’il impose aux firmes pharmaceutiques de constituer une réserve supplémentaire qui devra atteindre 72 millions d’euros au 15 septembre 2006 et 100 millions d’euros au 15 septembre 2007.
Les comptes 2005 sont pourtant excellents, ceux de 2006 s’annoncent bien et la loi permet une réaction rapide en cas de dépassement. Quelles sont alors les intentions du gouvernement? On ne peut ignorer que le secteur des soins de santé doit participer, comme tous les autres, à la présentation d’un budget fédéral en équilibre. Il n’est donc pas interdit de craindre que les contraintes prudentielles soient un argument, dans le cas de leur respect, à une réduction légale de la norme de croissance dans le futur. On comprendra en effet aisément que si l’assurance maladie peut ‘se passer’ de 80 millions d’euros en 2006, on pourrait lui demander de le faire de manière structurelle.

De bonnes mesures mais quelques frustrations

Le Ministre a admis que les choix du comité de l’assurance étaient justes et judicieux dans le secteur des opticiens, de la dentisterie, de la rééducation fonctionnelle (sans pour autant lui accorder une hausse de budget) et pour la médecine générale. Toutefois, sa réserve de sécurité et quelques dossiers auxquels il semblait particulièrement tenir, ont bouleversé substantiellement la copie des partenaires du comité de l’assurance, en déclenchant une certaine déception, car certains n’ont pas ménagé leurs peines pour établir un budget équilibré financièrement mais aussi humainement.
Au-delà d’une éventuelle critique constructive des choix personnels du Ministre, la méthode laisse perplexe car c’est bien le Ministre qui a souhaité imposer un cadre de travail très contraignant aux membres du comité de l’assurance. Espérons que cela ne découragera pas les acteurs à prendre leurs responsabilités au cours des mois à venir.
Christian Léonard , Chef du Département Recherches & Développement des Mutualités chrétiennes