L’an dernier, nous vous avions présenté l’initiative de la Société belge de pédiatrie qui apportait sa caution scientifique à la diffusion d’un matériel pédagogique de la firme Danone destiné à l’enseignement maternel. Forte du succès de cette opération (1), Danone remet le couvert cette année, et propose à nouveau son matériel complété d’une nouvelle mascotte, Dynamix, et d’un concours offrant un voyage scolaire à la ferme à 1000 élèves de troisième maternelle. Le tout s’appuie sur un message publicitaire à la télé mettant en valeur l’engagement de la firme pour une alimentation saine.
Nous avons reçu d’une école un article fort critique à l’égard de cette initiative, qui ne fait donc pas l’unanimité espérée par la firme, article que nous publions bien volontiers. L’école en question avait sans doute échappé à l’envoi de Danone l’an dernier, ce qui explique le fait que cette réaction sort aujourd’hui.
Publicité contre éducation
Dans nos écoles d’enseignement fondamental, nous recevons toutes sortes de courriers. Nous sommes d’ailleurs parfois submergés. Une personne se présente avec un colis gratuit, nous signons un accusé de réception et le colis est à nous. Bien souvent, les directions remettent directement le colis en question aux enseignants concernés sans avoir eu le temps de voir ce qu’il en était exactement.
Ce lundi 14 février 2005, nous recevons donc un colis gratuit provenant officiellement de la Société belge de pédiatrie et destiné aux enfants de troisième année maternelle.
Ledit colis se compose de plusieurs livres cartonnés destinés aux enfants, d’un guide pour les enseignants, d’un poster et d’un diplôme qui pourra être remis à chaque enfant.
L’objectif déclaré de ce kit est de lutter contre les mauvaises habitudes alimentaires, l’objectif réel n’est autre que de faire de la publicité pour la multinationale Danone.
Zoom sur le livret destiné aux enfants et intitulé «Le secret des champions»
Il s’agit de l’histoire peu banale de Nicolas qui est bien chagriné d’être exclu de l’équipe de foot parce qu’il ne court pas assez vite, n’est pas assez costaud et manque cruellement d’agilité. De grosses larmes coulent sur ses joues…
C’est alors qu’il rencontre un lièvre qui passait par là.
« Je m’appelle Rapido et je cours plus vite que n’importe qui .» lui dit-il.
« Comment fais – tu ?» demande l’enfant ébahi.
«C’est simple, je mange des carottes et beaucoup d’autres légumes.»
Logique.
Là où l’histoire prend un tour tragique c’est quand Nicolas rencontre le bœuf.
« Et alors , fiston , pourquoi ce chagrin ?» demande-t-il d’une voix grave.
« Je voudrais être costaud .» répond l’enfant étonné.
Et c’est là que nous perdons tous nos repères.
«Rien de plus simple, fais comme moi. Depuis que je suis petit, je bois du lait.»
« Du lait ?» demande Nicolas presque aussi surpris que nous d’apprendre qu’un gros bœuf boit du lait.
Celui-ci en rajoute alors une couche: « Bien sûr , du lait et tout ce qui vient du lait : les fromages , les yaourts , le lait battu . Ça rend fort !»
Grâce à ce livret, nous enseignons donc aux enfants de 5 à 6 ans qu’un bœuf, ça boit du lait.
Nous, on croyait que les bœufs sont effectivement des bêtes très costaudes qui puisent leur calcium dans l’herbe et non dans les produits laitiers…
Qu’en est-il de la loi relative à la publicité dans l’école?
Une initiative a été prise très récemment en la matière par la Ministre-présidente Marie Arena .
Dans la circulaire n° 1026 du 27/12/2004 dont l’objet est «Publicité dans les établissements scolaires et matériel didactique diffusé par les firmes commerciales» destinée à tous les réseaux, et aux niveaux et services du fondamental, du secondaire et des centres PMS pour l’année scolaire 2004-2005, il est stipulé: (extrait)
«Il a été récemment beaucoup question de la distribution dans les écoles d’un jeu pédagogique financé par une grande marque de céréales, jeu intitulé «Miam, la forme! (2)».
Au-delà de l’intérêt du matériel qui propose une approche ludique de l’éducation nutritionnelle, chacun conviendra qu’il s’agit avant tout d’une opération publicitaire.
Il n’est pas inutile de rappeler que l’article 41 de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l’enseignement établit que toute activité commerciale est interdite dans les établissements d’enseignement organisés par les personnes publiques et dans les établissements d’enseignement libre subventionnés.
Cependant cette disposition ne règle pas tout, car il n’est pas aisé de déterminer ce qui constitue une activité commerciale dans un établissement d’enseignement. La distribution de colis, d’échantillons ou de dépliants publicitaires tombe bien sous le coup de cette interdiction (…) Constatant que les enseignants et les responsables scolaires ont toujours fait preuve de la plus grande circonspection par rapport à l’intrusion de la publicité dans l’école, je continuerai à leur faire confiance pour adopter l’attitude la mieux appropriée dans chaque cas particulier (…) Je me limiterai dès lors à inviter les enseignants à développer particulièrement les activités disciplinaires ou transversales qui permettront à l’enfant ou à l’adolescent d’acquérir son autonomie et sa liberté face au message publicitaire.»
Nous nous permettons de rappeler aux responsables de Danone et de la Société belge de pédiatrie que rares sont les animaux qui consomment encore beaucoup de lait après le sevrage et que le seul animal à souffrir d’ostéoporose est l’homme, qui prend toute sa vie des produits laitiers!
En bon document publicitaire, ce livre termine par: «Chaque jour, les champions boivent du lait et mangent des produits laitiers.»
Nous retrouvons aussi le logo de Danone représenté en grand dans la face arrière de ce livre.
Zoom sur le guide des enseignants pour une alimentation saine
« Bien manger , c’est vital », « Votre contribution : mettre l’accent sur les bonnes habitudes ». Qui ne serait d’accord avec ces objectifs? Il sont tout à fait louables, mais cachent aussi une véritable agression publicitaire de la part de Danone.
Voyons en détail ce qui se trouve dans le document proposé aux enseignants.
Le logo de Danone est repris en première et en dernière page avec l’adresse du site de Danone et son numéro vert. «… Nous vous proposons , sous l’égide de la Société belge de pédiatrie , des recommandations simples autant que des conseils pratiques …» Ce qui donne un crédit scientifique à l’opération en question.
«…le calcium, véritable ciment des os. Sa source première est bien sûr le lait et tous les produits laitiers… Si l’enfant n’aime pas le lait, les eaux enrichies en calcium peuvent constituer une alternative intéressante.»
Devinette: quelle est la multinationale qui commercialise les eaux enrichies en calcium?
«Le goûter idéal» «… pour l’accompagner, rien ne vaut un verre de lait ou tout autre produit laitier.»
Evidemment!
«Le lait. Souriez-lui. Il n’y a pas mieux pour vous offrir des dents blanches et des os solides. Mais il ne faut pas en boire plus de 2 grands verres par jour.»
Pourquoi cette réserve si c’est si bon pour la santé?
Parmi les trois règles d’or données dans cette brochure on retrouve: « Pas question de faire l’impasse sur les produits laitiers . Apprenons à consommer avec raison de ces véritables mines de calcium , sans lesquelles , on se sent tout petit , petit .»
Mines de calcium et aussi mines d’or pour Danone! Tant qu’à faire, autant endoctriner les plus jeunes, ce sont les consommateurs de demain.
De la pub, encore de la pub
«Bon appétit la santé!» se devait de nous proposer son site: http://www.bonappetitlasante.be .
Que trouve-t-on sur sa page d’accueil? Le logo de Danone bien sûr. En deux coups de clic, nous atterrissons sur le site officiel de Danone Belgium.
Le logo de la firme se retrouve d’ailleurs dans pratiquement toutes les pages de ce site qui propose des vidéos, les règles d’un concours…
Quant à la Société belge de pédiatrie… Sur le bon d’expédition, il est mentionné Société belge de pédiatrie en gras suivi de c/o Eurokids’Team S A, avenue de l’Artisanat 2a, 1420 Braine L’Alleud.
En téléphonant aux renseignements nous avons confirmation que l’expéditeur est bien une société de… publicité bien sûr nommée Eurokids’team.
Une preuve de plus qu’il s’agit bien là d’une action publicitaire déguisée destinée aux écoles. Nous pensons qu’il ne faut pas diffuser ces documents à nos élèves et nous nous insurgeons contre de telles pratiques.
Isabelle Parentani , médiatrice, Aude Joffrin , institutrice primaire, Jorge Rozada chef d’établissement
Adresse des auteurs: Ecole communale n°4 de Saint-Gilles, Place de Bethléem 10, 1060 Bruxelles
(1) Voir notre article ‘L’action éducative ‘Bon appétit, la santé!’ dans les écoles maternelles’ , dans Education Santé n° 187, février 2004.
Sur le site, il est fait état de la participation de 7 écoles sur 10, d’un taux de satisfaction de 94%, du fait que 85% des parents déclarent avoir lu le livre, et que 95% des parents déclarent accorder plus d’importance qu’auparavant à l’alimentation de leurs enfants. Que du positif, donc!
(2) Il s’agit ici d’un programme de la firme Kellogg’s, voir ‘Ecole et marketing alimentaire’ Education Santé n° 198, février 2005.