Le ‘Tableau de bord sur la santé 2013’ des Hainuyers est sorti voici quelques mois. Si l’espérance de vie dans le Hainaut et les indicateurs concernant les maladies cardiovasculaires, les tumeurs et les maladies respiratoires évoluent favorablement, le taux de mortalité dans la province reste nettement supérieur à la moyenne belge.
C’est déjà la 4e édition de cet outil statistique important en matière de santé publique. Un document précieux, aussi, pour aider à prendre des décisions sur le terrain dans le champ de la promotion de la santé. Se basant sur plus de 50 sources de données passées au crible par l’Observatoire de la Santé du Hainaut (OSH), ce travail de 160 pages dresse un état des lieux chiffré autour de cinq thèmes: population, mortalité et causes de décès, état de santé, facteurs de santé, offre et consommation de soins.
Avec le recul, l’OSH a pu ainsi mettre en évidence une diminution extrêmement importante des maladies cardiovasculaires, représentant aujourd’hui 30 % des décès, en baisse de 47 % chez l’homme et de 44 % chez la femme entre 1987 et 2009, ainsi que du cancer du poumon chez l’homme (- 39 % pour la même période). Il reste cependant la première cause de décès dans la population masculine.
D’autres paramètres vont également dans le bon sens, comme la consommation de fruits et de légumes. «Il s’agit de bonnes nouvelles que nous sommes en mesure aujourd’hui de chiffrer de manière significative sur des périodes relativement longues», entame Luc Berghmans, ancien médecin-directeur de l’Observatoire retraité depuis peu. Et d’ajouter: «Le profil de pathologies et de mortalité dans la province reste axé sur les maladies chroniques. Nous allons donc non seulement maintenir, mais renforcer notre ‘Stratégie 0-5-30’ qui couvre un maximum de pathologies – les maladies cardiovasculaires, une partie des cancers et les maladies respiratoires – par le biais de la lutte contre la sédentarité, une alimentation équilibrée et l’arrêt du tabagisme».
En revanche, ce qui est «choquant et inacceptable» aux yeux des responsables de l’Observatoire, c’est que de nombreuses courbes dans ce nouveau Tableau de bord vont, certes, dans le bon sens mais ne se rapprochent toujours pas des moyennes belges. Autrement dit, si une partie de la population bénéficie de cette évolution positive, elle n’atteint cependant pas le niveau moyen attendu, considère le Dr Berghmans. Signe que les inégalités sociales de santé persistent et que l’Observatoire doit intensifier son travail et renforcer son action, y compris transversale, au niveau de la province puisqu’il a la chance de travailler avec les départements des affaires sociales, de la culture et de l’éducation.
«Atteinte au droit de la santé»
Dans le Hainaut, bien plus qu’ailleurs en Belgique, la mortalité reste en effet élevée, malgré une amélioration significative en un quart de siècle. D’où un appel aux autres niveaux de pouvoir, y compris à l’Europe, pour ne pas laisser s’aggraver cette «situation inacceptable au 21e siècle».
Et la différence constatée pour la mortalité prématurée est encore plus importante (+ 39 % par rapport à la moyenne belge). «Face à un tel niveau d’écart, on peut vraiment parler d’atteinte au droit de la santé», lance-t-il. «On parle tout de même de 20 % de différence en termes de mortalité par rapport à la moyenne belge, ce qui se traduit chaque année par 2.300 décès excédentaires pour les deux sexes. C’est considérable et pourtant cela ne fait pas la une des journaux ni dans les partis politiques. C’est comme si cinq avions gros porteurs s’écrasaient au sol, uniquement avec des Hainuyers à bord… Cela ferait la une de tous les journaux pendant quinze jours! Ici cela apparaît normal: plus on est pauvre, plus on meurt… C’est une crise silencieuse. Il faut réveiller les opinions et faire de ce combat une priorité», reprend Luc Berghmans.
L’exemple du tabac
La mortalité par maladies respiratoires, et donc celle liée au tabac, a pratiquement doublé en 20 ans chez la femme. À l’inverse, elle continue de diminuer chez l’homme (-18 % entre 1987 et 2009). mais le tabagisme de jeunes reste mal évalué, faute de données suffisantes dans la province.
«Il est préoccupant de constater que l’on ne parvient pas à éviter de nouvelles générations de fumeurs, et c’est dramatique. La tendance est plutôt à la stabilisation, mais à un niveau de 25 % de fumeurs parmi les jeunes. Et les filles ont aujourd’hui exactement les mêmes comportements pour le tabagisme que les garçons».
Tant pour la consommation d’alcool que de tabac, il n’y a en effet pratiquement plus de différence entre jeunes filles et jeunes garçons. Ce que le Dr Christian Massot, épidémiologiste à l’Observatoire, confirme: «Après une diminution du tabagisme chez les jeunes sur la période 1997-2010, on a observé une petite remontée, sans rejoindre toutefois le niveau de 1997. Nous devrons vérifier s’il s’agit d’une tendance plus marquée indiquant une remontée du tabagisme chez les jeunes dans le Hainaut». Reste à évaluer aussi les conséquences de la cigarette électronique. «Ce sera un des points à explorer, bien qu’à mon avis, la tranche des 10-17 ans est moins attirée par l’e-cigarette que les fumeurs plus âgés», estime-t-il.
Des inégalités persistantes
La persistance, voire l’aggravation des inégalités sociales de santé dans la province est aussi très nette. Mais ce qui marque encore plus, ce sont les différences qui continuent de se creuser entre le Hainaut et d’autres endroits du pays, notamment en termes d’espérance de vie et de mortalité, creusement que les responsables de l’OSH attribuent aux aspects socio-économiques. Les différences entre certaines communes se sont encore accentuées.
Globalement on constate une augmentation de l’espérance de vie de respectivement 3 ans pour les hommes (74 ans) et 2 ans pour les femmes (81 ans) mais celle-ci ne suit pas la courbe nationale, et donc l’écart continue de se creuser avec le reste du pays. «La différence entre hommes et femmes était de 3 ans pour la période 2006-2010 alors qu’elle se situait à 2,3 ans entre 1991 et 2005, soit plus de 6 mois de différentiel supplémentaire entre le Hainaut et la Belgique», analyse l’épidémiologiste.
De même, les progrès observés dans l’incidence et la mortalité liées aux maladies cardiovasculaires restent moins marqués dans les zones moins favorisées, et à nouveau l’écart avec d’autres régions du pays, par exemple entre Charleroi et Gand, ne se réduit pas.
Autre constat, l’obésité qui touche désormais un adulte hainuyer sur six augmente plus que le surpoids chez les jeunes de 10 à 17 ans: on assiste ainsi à un doublement de sa fréquence de 5 à 10 % dans cette tranche d’âge entre 1997 et 2012, alors qu’au niveau de la population adulte les chiffres concernant la fréquence de l’obésité restent relativement stables. Toutefois, un tiers des hommes et près de la moitié des femmes déclarent être sédentaires, soit 50 % de plus que la moyenne belge. Chez les adolescents, l’absence d’activité physique en dehors de l’école concernerait 22 % des garçons et 36 % des filles.
La surconsommation d’alcool (15 verres et plus par semaine chez les femmes et 22 verres et plus chez les hommes) reste également un problème. Selon les déclarations des Hainuyers interrogés lors de l’Enquête nationale de Santé 2008, l’abus d’alcool concernerait 13 % des hommes et 5 % des femmes. Ce comportement a augmenté de fréquence entre 1997 et 2008. Quant à la consommation quotidienne d’alcool, elle concernerait 19 % des hommes et 11 % des femmes.
Point noir sur la carte de la Wallonie
Le Hainaut reste donc un point noir sur la carte de la Wallonie. On peut dire que les facteurs socio-économiques y sont clairement défavorables, considère le Dr Massot. «Il peut y avoir jusqu’à 4 ans de différence d’espérance de vie selon que l’on vit dans les communes les plus riches de l’ouest et du nord de la province, ou dans les communes au revenu médian moindre de l’ancien axe industriel allant du Borinage à Charleroi», observe-t-il. Cela montre en tout cas que les populations défavorisées se trouvent aujourd’hui dans des situations de précarité telles que cela entraîne inévitablement des répercussions négatives sur leur santé.
En ce qui concerne l’éducation pour la santé, les autorités provinciales vont devoir continuer à taper sur le clou. Pour l’épidémiologiste de l’OSH, il est nécessaire d’agir aussi sur les déterminants de santé et sur l’environnement. «Il ne faut pas seulement faire passer dans la population des messages sur l’alimentation ou l’activité physique. Encore faut-il avoir des environnements et infrastructures qui favorisent la pratique du sport et qui proposent une alimentation équilibrée», ajoute Christian Massot.
Pour sa part, l’ancien directeur de l’Observatoire souligne que promotion de la santé et éducation pour la santé sont plus que jamais nécessaires. «La promotion de la santé au sens large, remonter vers les causes des causes, pas seulement les comportements, même si nous croyons qu’il y encore des transferts de connaissances à faire, cela nous semble évident, mais ceux-ci ne trouveront un terreau fertile que si les conditions de vie des gens s’améliorent. Donc il y a un important travail de proximité à faire avec les communes. On n’a pas réellement d’emprise sur le niveau de l’emploi ni sur les grandes orientations socio-économiques, mais notre travail peut alimenter un plaidoyer dans ce sens-là, même s’il faut rester modeste car certains paramètres au niveau local ne sont pas directement ‘modifiables’. Notre rôle est de faire en sorte que notre action de santé n’occulte pas les responsabilités sociétales», conclut le Dr Berghmans.
Le Tableau de bord de la santé 2013 est disponible sur demande à l’Observatoire de la Santé du Hainaut, rue de Saint-Antoine 1 à 7021 Havré. Il peut également être téléchargé sur le site Internet de l’OSH.
Cette campagne ‘0-5-30 Combinaison Santé’ mise en place en 2013, conjointement par l’asbl Question Santé, l’Observatoire de la Santé du Hainaut, l’Association des Provinces Wallonnes (APW) et la Fédération Wallonie-Bruxelles, met l’accent sur trois chiffres à retenir pour sa santé: 0 fumée de tabac dans l’air que nous respirons; 5 portions de fruits et légumes par jour, un élément clé d’une alimentation équilibrée; 30 minutes d’activité physique par jour. Voir l’article de Luc Berghmans ‘0-5-30: trois chiffres à retenir pour votre santé’, Éducation Santé n° 290, juin 2013.