Si dans l’ensemble, les Belges ont un bon accès aux soins de santé, il existe tout de même d’importantes disparités au sein des divers groupes socio-économiques. L’European Social Observatory (OSE) révèle que les écarts entre ces différents groupes se sont même accrus ces dernières décennies. En juillet 2020, les chercheuses pour l’OSE Rita Baeten et Sophie Cès livraient un rapport sur l’accès aux soins de santé en Belgique, pour le compte de l’INAMI.
Les chercheuses se sont focalisées sur la population qui bénéficie en théorie de l’assurance maladie obligatoire pour mieux identifier et comprendre les difficultés d’accès aux soins de santé. Les sous-groupes de population en marge du système, telles que les personnes sans papiers, n’ont pas été incluses dans l’étude.
Retrouvez une synthèse des résultats en français ici
Les principaux résultats de l’étude mettent en évidence que la Belgique n’est pas une aussi bonne élève qu’on pourrait l’imaginer en termes d’égalité d’accès aux soins de santé.
- En Belgique, les 20 % de personnes ayant les revenus les plus faibles sont beaucoup plus à risque d’avoir des besoins en soins médicaux non satisfaits que les personnes ayant des revenus plus élevés, en raison du coût de ces soins.
- Comparativement aux autres pays européens, le système de santé belge est relativement peu performant concernant l’accès aux soins de santé des sous-groupes de population défavorisés.
- La couverture des frais d’hospitalisation par l’assurance maladie obligatoire est faible en Belgique par rapport aux autres pays de l’UE. Certains patients reportent des soins hospitaliers afin de ne pas aggraver leur endettement auprès de l’hôpital.
- Les conséquences financières peuvent s’avérer dramatiques pour les patients en cas d’hospitalisation prolongée. Ce risque financier est aggravé par la pandémie de la COVID-19
Des disparités socio-économiques et géographiques en constante augmentation
L’étude pointe un accès aux soins de santé relativement bon en Belgique puisque seuls 2% des adultes déclarent ne pas avoir pu satisfaire à leurs besoins médicaux par manque de moyens financiers. Néanmoins, Rita Baetens et Sophie Cès soulignent une autre réalité derrière ces chiffres. « Ce sont principalement les personnes les plus vulnérables sur le plan socio-économique qui souffrent de besoins en soins de santé non satisfaits : 6,7% des personnes appartenant à la catégorie des revenus les plus bas connaissent des besoins en soins médicaux non satisfaits en raison du coût. Ce pourcentage est proche de zéro pour plus de la moitié de la population aux revenus les plus élevés ».
Entre 2011 et 2017, les bas revenus ont donc vu leur taux de besoins en soins de santé non satisfaits passer de 4,1% à 6,7%. Une augmentation préoccupante qui touche de manière plus importante les personnes en retard de paiement, qu’il s’agisse d’un arriéré au niveau du loyer ou de factures de services publics.
Au niveau géographique, l’étude met en lumière une disparité entre le nord et le sud du pays. La proportion de personnes ayant des besoins médicaux non satisfaits se trouve être sensiblement plus élevée en Wallonie (3,1 %) et à Bruxelles (4,3 %) qu’en Flandre (1 %).
L’absence de couverture par l’assurance maladie obligatoire
Les travailleurs indépendants sont plus à risque de ne pas bénéficier de la couverture maladie obligatoire en raison de problèmes de paiement des cotisations sociales (méconnaissances du système, aléas financiers, situations de fraude de la part de l’employeur ou de l’indépendant…). Avec les mesures prises pour lutter contre la pandémie de Covid19, une plus grande part des travailleurs indépendants risque de ne plus pouvoir payer ses cotisations de sécurité sociale et donc de perdre la couverture maladie.
En parallèle, les chercheuses avancent trois autres explications principales à l’absence de couverture médicale : la négligence administrative (en raison de problème de santé mentale, d’un manque d’informations…), les difficultés pour une personne étrangère nouvellement résidente en Belgique pour obtenir les documents nécessaires pour faire valoir son droit à la couverture maladie obligatoire, et enfin la radiation du registre de la population. Cette dernière cause est sans doute la plus dramatique pour la personne car la radiation entraîne la perte de tous les droits sociaux. Les exemples fournis lors des entretiens avec les assistants sociaux montrent que les personnes n’avaient pas quitté le territoire. “Ces cas individuels soulèvent des questions sur les mécanismes sous-jacents qui conduisent à la radiation et en particulier sur la responsabilité des services qui prennent de telles décisions», soulignent les chercheuses.
Avancer ses frais de santé, une contrainte majeure pour les Belges
Bien que les soins de santé soient remboursés en plus ou moins grande partie, l’obligation d’avancer le montant de la consultation ou de l’acte chez le professionnel de santé rebute une partie des gens qui en a pourtant besoin. L’étude précise que ce phénomène porte essentiellement sur le secteur ambulatoire et met en évidence les soins les plus souvent sacrifiés. Il s’agit généralement de la dentisterie, de la kinésithérapie, des consultations chez des médecins spécialistes ainsi que les visites à domicile des médecins généralistes.
« L’application généralisée du tiers payant pour les soins dispensés par les médecins généralistes est généralement saluée comme une mesure améliorant considérablement l’accès aux soins primaires. Néanmoins, lorsque le tiers payant n’est pas appliqué automatiquement, les règles sont très complexes et peuvent donc être un obstacle» affirment encore Rita Baeten et Sophie Cès.
« Le fait que, dans certains cas, ce soit le professionnel de la santé qui détermine si le régime du tiers payant s’applique ou non n’est pas conforme à une politique sociale visant à garantir un droit social pour tous », regrettent néanmoins les chercheuses.
Le poids des restes à charge des patients
Le poids global des frais de santé qui restent à la charge du patient a été identifié comme ayant une influence notable sur l’accès aux soins. Les chercheuses soulignent l’importance de ce facteur, tout en précisant que « même s’il est difficile de comparer le niveau global des frais de santé à charge des patients/ménages entre pays, les chiffres disponibles suggèrent que, par rapport aux pays voisins, le niveau global des restes à charge en Belgique est relativement élevé. »
Les lunettes, les appareils auditifs et les prothèses dentaires ont été souvent mentionnés comme étant difficiles à acheter par des personnes en situation précaire. Les équipements cassés ne sont parfois pas remplacés en raison de leur coût. Les médicaments sont également souvent difficiles à payer par les personnes ayant un faible revenu. Les patients n’achètent donc pas tout ou partie des médicaments prescrits, ou diffèrent l’achat de certains d’entre eux en fonction du degré de nécessité du médicament estimée par eux-mêmes.
Les soins de santé ambulatoires post-hospitalisation peuvent être très couteux relativement à la capacité financière des patients, en particulier en cas de faible revenu, que ce soit pour des soins des plaies, la kinésithérapie ou les médicaments. “Des interruptions de soins après la sortie de l’hôpital ont été constatées par les professionnels interrogés. Or, dans certains cas, elles ont entrainé des complications majeures.”
“Des difficultés à payer les frais de transport pour les déplacements récurrents à l’hôpital, afin de bénéficier d’un traitement médical comme la dialyse, la chimiothérapie ou la radiothérapie, ont été signalées, et cela malgré le soutien financier assuré par le système d’assurance maladie (pour les transports publics ou l’usage d’un véhicule personnel).”
Une prise en charge des frais d’hospitalisation particulièrement mauvaise chez nous
La couverture des soins hospitaliers en Belgique s’élève à 77% du montant total, tandis que pour l’UE ces coûts sont pris en charge à hauteur de 93%. Une différence significative qui place notre pays au bas du classement. Seuls la Grèce, Chypre et l’Irlande affichent une couverture des frais d’hospitalisation plus faible que la nôtre.
« Ce sont en particulier les factures pour les séjours de longue durée, notamment dans les services de soins intensifs, qui peuvent être élevées », expliquent les chercheuses. Elles observent d’ailleurs des avances et des restes à charge élevés même pour ceux et celles qui bénéficient de l’intervention majorée.
Dès lors, Rita Baeten et Sophie Cès déplorent des conséquences pour les patients de factures d’hospitalisation impayées qui peuvent se révéler dramatiques : « certains hôpitaux et médecins refusent de traiter les patients en retard de paiement, ou leur prodiguent moins de soins. Et les patients reportent des soins essentiels pour éviter d’accroître leur endettement. »
Enfin, l’étude pointe le rôle crucial joué par les maisons médicales dans l’accès aux soins de santé des personnes défavorisées. « D’une part, les patients ne doivent pas avancer des frais remboursés et le montant du ticket modérateur reste négligeable, voire nul. D’autre part, ils soutiennent leurs patients activement, notamment par la recherche des traitements les moins couteux et des solutions financières alternatives (prêt des dispositifs/équipements médicaux, accords avec une pharmacie…). Ces centres permettent l’accès aux traitements pour les plus précaires ». Sophie Cès et Rita Baeten regrettent que ces centres ne couvrent que 4% de la population belge.
La complexité du système
La complexité de notre système de santé joue un rôle indéniable dans les difficultés d’accès aux soins de santé observées. Les chercheuses précisent que « cette complexité s’applique à tous les niveaux du système : les procédures administratives pour obtenir une couverture et les exemptions de paiement des cotisations sociales, le droit à une réduction du ticket modérateur, le choix d’un prestataire de soins conventionné, le droit au système de tiers payant, la trajectoire des soins, l’accès au soutien financier du CPAS, etc. ». De plus, la tendance à la numérisation progressive des services sociaux, administratifs et de santé, pourrait bien encore accentuer le problème. « Le manque de soutien personnel direct pour résoudre des problèmes parfois complexes représente également, pour les personnes vulnérables, un obstacle important à l’obtention de leurs droits », déclarent les chercheuses.
Bilan : un système encore lacunaire pour garantir l’accès aux soins de santé
“La population vulnérable, qui a le plus besoin de soins de santé, est aussi la plus exposée aux risques de renoncement ou de report des soins de santé et de dégradation de l’état de santé.” Les mesures prises dans le cadre du système d’assurance maladie pour protéger les personnes vulnérables contre les coûts prohibitifs des soins de santé doivent être améliorées. Ces constats sont corroborés par les résultats de l’étude de l’équité du système de santé (rapport du KCE, à retrouver au sommaire de ce numéro).
Le système de santé devrait évoluer afin de garantir l’accès aux soins de santé, en particulier pour les populations vulnérables.
En conclusion de cette étude, Rita Baeten et Sophie Cès invitent « l’ensemble des acteurs du secteur des soins de santé à engager un dialogue approfondi sur la manière d’évoluer vers une meilleure couverture maladie dans notre pays. ».
Sources
Cès, S. and Baeten, R. (2020), Inequalities in access to healthcare in Belgium. Brussels: European Social Observatory, July 2020, 184 p.
Communiqué de presse de l’OSE : Communique_Presse_Rapport_INAMI_30072020.pdf (ose.be)
Rapport de synthèse de R. Baeten et S. Cès : 2020_Ces_Baeten_NIHDI_Inequalities_access_care_Synthese_FR.pdf (ose.be)
Emission de télévision : “On n’est pas des pigeons” (15/10/2020)