Décembre 2005 Par P. MOUYART Locale Wallonie

Faire évoluer les projets locaux vers plus d’intersectorialité et de participation est le souhait émis par le Centre local de promotion de la santé de Charleroi-Thuin au travers de la mise en place de cellules intersectorielles de promotion de la santé. Présentation d’une démarche.

Les origines

Dans le cadre des Conférences locales pour des politiques de promotion de la santé réalisées dans l’arrondissement de Charleroi, une identification des attentes, des besoins et des priorités des citoyens en matière de qualité de vie a été menée (1). A la suite de ce travail, nous avons voulu susciter la mise en place d’actions répondant aux objectifs généraux des Conférences locales – démarche intersectorielle, travail en partenariat et participation – tout en respectant les besoins exprimés par les habitants.
C’est à ce moment qu’est née l’idée de l’organisation de cellules intersectorielles de promotion de la santé (2).
Nous nous sommes, au départ, basés sur l’observation suivante: l’action intersectorielle est fondée sur le constat que les principaux déterminants de la santé de la population relèvent de nombreux secteurs autres que celui de la santé.
Seule une action entre les différents secteurs permet d’agir sur les conditions sociales, économiques et environnementales qui déterminent et favorisent la santé et le bien-être de la population. Or, il y a un manque de structures permettant de développer systématiquement , dans le cadre de projets de promotion de la santé, les démarches intersectorielles, le travail en partenariat et la participation des habitants.
Cette manière d’agir semble en effet se heurter à des habitudes de travail qui poussent les personnes à travailler dans leur secteur et à répondre à leur place aux besoins des habitants. Le travail de promotion de la santé et de santé communautaire remet en question cette manière de faire et bouleverse les rapports entre les individus (partage du pouvoir, gestion du temps de l’action, redéfinition du rôle de chacun…).
Notre motivation est de penser que des structures comme les cellules intersectorielles peuvent faire évoluer les mentalités en permettant aux différents acteurs de se rencontrer, d’échanger et de travailler ensemble. Différentes raisons devraient les pousser dans ce sens: meilleur ancrage des actions, meilleure adhésion des publics concernés par les actions, possibilité accrue de maintenir les actions dans le temps, économies d’échelle grâce à la mutualisation des ressources (humaines, financières, logistiques…), etc.

Les cellules intersectorielles

Nous avons défini les cellules intersectorielles de promotion de la santé comme des lieux de rencontre où les personnes travaillant sur un projet de promotion de la santé peuvent bénéficier d’un regard extérieur sur leurs idées. Ces cellules réunissent un promoteur de projet autour de différents acteurs – élus, professionnels et habitants – dont les activités couvrent différentes thématiques: l’environnement, le social, l’économique et la culture.
Les cellules intersectorielles sont donc des groupes de personnes qui partagent pour un moment leurs connaissances, leurs préoccupations et leurs recherches de solutions.
Pour les membres d’une cellule intersectorielle, la participation aux échanges permet de développer leurs connaissances, par:

  • l’accès à un stock de savoirs alimenté par chaque membre: vision d’un domaine, compréhension d’une problématique, savoir-faire, vocabulaire, logique d’analyse…
  • l’analyse de ces savoirs: en pouvant réfléchir, réagir, contester ou approfondir les connaissances partagées au sein de la cellule;
  • le développement de nouveaux savoirs: en participant, avec d’autres, à la création de nouvelles connaissances, à la mise au point de nouvelles pratiques.

Les objectifs

Les objectifs des cellules intersectorielles sont de 5 ordres:

  • stimuler au sein de projets locaux l’intégration des critères de la promotion de la santé et du développement local tels que le travail en partenariat, la démarche intersectorielle et la participation des habitants;
  • favoriser l’adéquation entre, d’une part, les intentions des promoteurs de projets locaux et, d’autre part, les attentes et besoins exprimés par les habitants;
  • mutualiser les compétences locales issues des expériences de chacun: échanger des avis, confronter des idées pour apprendre en approfondissant des projets ou des éléments de projets, permettre une réflexion plus large en agissant sur les complémentarités de chacun au travers d’une mise en commun d’expériences, d’un partage des points de vue et d’une recherche de cohérence;
  • inscrire les projets locaux dans le contexte local: connaître les ressources locales, les projets existants;
  • enfin permettre de sortir de l’urgence habituelle en offrant un temps d’arrêt et une démarche spécifique pour réfléchir sur son expérience et ses pratiques.

Les sources méthodologiques

Les cellules intersectorielles de promotion de la santé telles que nous les envisageons dans le cadre du processus des Conférences locales, ne semblent pas avoir d’exact équivalent méthodologique mais elles s’inspirent de deux méthodes qui ont fait l’objet d’un travail de conceptualisation: les intervisions (démarche permettant au sein d’un groupe la mise au travail de situations qui posent questions aux professionnels et cela dans la perspective de développer des compétences professionnelles et de construire collectivement des repères pour l’action (3)) et les communautés de pratiques (groupes de professionnels réunis entre eux de façon informelle par les mêmes préoccupations, par la même recherche de solutions et donnant de cette façon corps à un ensemble de connaissances (4)).
Dans notre démarche, nous faisons cependant une distinction entre les cellules intersectorielles d’une part, les intervisions et les communautés de pratiques d’autre part, et ce sur deux points: l’intersectorialité et la durée.L’intersectorialité
Les intervisions et les communautés de pratiques ont pour caractéristique d’être des dispositifs de soutien, d’aide et de partage s’adressant à des professionnels qui pratiquent le même métier ou qui rencontrent des problématiques identiques (au sein de la même institution ou au sein d’institutions différentes). On retrouve cet aspect dans la définition de ces méthodes.
Par contre, la spécificité des cellules intersectorielles est, comme le nom l’indique, de rassembler des acteurs divers (élus, professionnels et habitants) dont les activités couvrent différentes thématiques (environnement, social, économie, culture). Le souhait est donc bien de mettre en relation des personnes dont l’expérience et les connaissances issues d’horizons variés peuvent, en s’additionnant, élargir le champ d’analyse d’une problématique, faciliter sa compréhension et favoriser la mise en place d’actions cohérentes (grâce à cette analyse globale).La durée
Une seconde caractéristique des intervisions et des communautés de pratiques est d’être des processus qui s’installent dans la durée:
– les intervisions réunissent à intervalles réguliers des professionnels qui, au départ d’analyse de différentes situations vécues, réfléchissent à leurs pratiques professionnelles et aux moyens de les améliorer;
– les communautés de pratiques regroupent des professionnels qui interagissent et apprennent ensemble au travers de leurs différentes rencontres formelles ou informelles. Elles s’organisent de manière progressive, en réponse à une problématique commune à l’ensemble de ses membres.
Les cellules intersectorielles se différencient ici en s’organisant autour d’une rencontre ponctuelle, mettant en relation des acteurs ayant à la base des préoccupations parfois différentes. Si lors de cette rencontre, certains des acteurs se découvrent des intérêts communs, on pourra assister à la mise en place de nouvelles collaborations mais cela déborde alors de l’organisation même de la cellule.

Première phase pilote

Lorsque les partenaires de base et le comité de pilotage ont décidé de mettre en place des cellules intersectorielles, le souhait a été formulé de passer au préalable par l’organisation d’une phase pilote afin de vérifier en quoi cette démarche permet bien de répondre aux objectifs fixés.
Cette phase pilote s’est déroulée de janvier à juin 2005, sur base de l’organisation de trois cellules intersectorielles autour des projets portés par Comme Chez Nous (Charleroi), L’Eveil (Ransart), l’Espace Citoyen (Dampremy) et l’asbl Carolo Prévention Santé.

La constitution des cellules intersectorielles

Après avoir identifié les projets et les questions à débattre, il nous a fallu constituer les cellules intersectorielles en respectant notre volonté de réunir des acteurs issus d’horizons divers. Pour réaliser cette étape, nous nous sommes basés:

  • sur un fichier d’institutions constitué par le CLPS, qui permet de réaliser une recherche sur base de différents mots-clés. Dans le cas présent, nous avons ciblé la recherche sur base de critères identifiant les secteurs d’activités (social, culture, environnement et économie) et/ou le territoire d’action des institutions;
  • sur les connaissances de terrain des partenaires de base et des membres du comité de pilotage;
  • sur les connaissances de terrain des promoteurs de projets, qui étaient sollicités pour prendre contact avec des habitants concernés par leurs projets afin de les inviter à participer à la cellule intersectorielle.

Une fois ces personnes identifiées, des contacts individuels ont été pris pour expliquer la démarche et pour les inviter à y participer. Chaque personne qui acceptait, recevait une confirmation écrite à laquelle était joint le document de description du projet faisant l’objet de la rencontre, et le dépliant de présentation des cellules intersectorielles.

Les objectifs pour la phase pilote

Les objectifs de l’évaluation de la phase pilote sont:

  • de vérifier la pertinence de l’organisation de cellules intersectorielles de promotion de la santé par rapport aux objectifs généraux définis;
  • de fournir des indicateurs nous permettant de pouvoir formuler des objectifs plus opérationnels d’une part (précisant les objectifs généraux au travers d’éléments observables et mesurables), et de créer des outils d’analyse (grille d’observation des échanges…) nous permettant de recueillir ces éléments observables et mesurables d’autre part.

Résultats

Les différents éléments recueillis au travers des questionnaires d’évaluation montrent que les cellules intersectorielles ont permis de progresser en direction des objectifs généraux définis initialement.
De manière générale, il semble que les cellules intersectorielles ont généré de nouveaux questionnements sur les projets:

  • au niveau du partenariat: pas de concrétisation directe de partenariats mais beaucoup de déclarations d’intention plus ou moins précises;
  • au niveau de la démarche intersectorielle: mise en avant de la découverte d’autres secteurs (décloisonnement) et des points de convergence possibles entre ceux-ci;
  • au niveau de la participation des habitants: beaucoup de discussions autour de cette question de la participation (points positifs et négatifs, difficultés rencontrées et solutions apportées, impact de la participation sur le projet…).

Différents points positifs ont été relevés. Ils peuvent être regroupés en deux catégories.Au niveau de la méthode
Les points positifs tournent autour de différents mots clés:

  • échange et partage: d’idées, d’expériences, de points de vue;
  • production et stimulation: d’idées, de nouvelles pistes;
  • complémentarité: réflexion commune portée par des personnes issues de différents secteurs, analyse de concepts en fonction des différents points de vue;
  • ambiance: respect des points de vue, écoute, convivialité.

Au niveau de l’impact
Différents éléments semblent ressortir de l’organisation des cellules:

  • en terme de partenariat: ébauche, élargissement du réseau…
  • intersectorialité: découverte d’autres secteurs et des points de convergence entre ceux-ci;
  • en terme de méthode et de perception commune: évolution des opinions, meilleure perception de concepts (participation…).

Différents points négatifs ont également été exprimés et mettent en avant les points faibles auxquels il faudra remédier pour améliorer l’organisation des futures cellules intersectorielles:

  • composition des cellules: garantir une intersectorialité réelle et équilibrée entre les différents secteurs d’activités (social, culture, environnement et économie);
  • membres des cellules: faire en sorte qu’ils aient une expérience ou une capacité à éclairer le projet qui fait l’objet de la cellule (connaissance du public, de la problématique, du territoire…);
  • veiller à bien définir certains concepts propres à certains secteurs et peut-être méconnus par d’autres, afin d’éviter toutes incompréhensions ou malentendus (exemple: définition de la santé).

Perspectives

Au regard des informations issues de l’évaluation, deux éléments paraissent essentiels:L’intérêt soulevé par la démarche : l’organisation des cellules intersectorielles semble répondre aux objectifs généraux définis. Ces cellules ont recueilli un accueil favorable de la part des acteurs de terrain.L’importance d’apporter des éléments d’amélioration:

  • en ce qui concerne la méthode: représentation équilibrée des différents secteurs, recadrage de certains concepts, formulation des objectifs opérationnels précisant les objectifs généraux tels que définis actuellement…
  • en ce qui concerne l’évaluation: création d’outils qui devront permettre d’affiner l’analyse de l’impact des cellules intersectorielles.

En fonction de ces éléments, il paraît maintenant opportun de réaliser une seconde phase pilote qui permettra:

  • de définir des objectifs opérationnels (observables et mesurables);
  • d’évaluer, à moyen terme, l’impact des cellules intersectorielles sur les projets locaux de promotion de la santé;
  • de déterminer en quoi les cellules intersectorielles peuvent renforcer la qualité de ces projets;
  • de renforcer les contacts avec les acteurs du secteur économique;
  • de perfectionner les éléments de méthodologie de l’organisation des cellules intersectorielles.

Philippe Mouyart , chargé de projets au CLPS de Charleroi-Thuin
Adresse de l’auteur: CLPS de Charleroi-Thuin, av. Général-Michel 1B, 6000 Charleroi. Courriel:philippe.mouyart@clpsct.org

Organiser une cellule intersectorielle: une démarche en quatre temps

Temps 1 – Rencontre avec le promoteur de projet
Avant l’organisation d’une cellule intersectorielle de promotion de la santé, il est important de rencontrer le promoteur de projet pour:

  • analyser le projet au travers d’une fiche d’identification. Cette étape permet de mieux situer le projet et les attentes du promoteur;
  • présenter les objectifs et le déroulement des cellules intersectorielles;
  • présenter le rôle de chacun;
  • présenter le cadre et les règles de fonctionnement;
  • présenter les bénéfices que les cellules intersectorielles peuvent apporter.

Temps 2 – Constitution des cellules
Pour constituer les cellules intersectorielles, il est nécessaire de sélectionner les personnes à contacter, de rencontrer chacune de ces personnes et de garder le groupe ouvert.
La sélection des membres potentiels se fait sur base des critères suivants:

  • représentation des 4 thématiques: sociale, culturelle, environnementale et économique;
  • représentation des 4 types d’acteurs: secteur public, secteur privé, secteur associatif et habitants;
  • territoire d’action du projet.

Il est ensuite important d’avoir un contact direct avec chaque membre potentiel, afin de:

  • présenter brièvement le projet au travers de la fiche d’identification;
  • présenter les objectifs et le déroulement des cellules;
  • présenter le rôle de chacun;
  • présenter le cadre et les règles de fonctionnement;
  • présenter les bénéfices que les cellules intersectorielles peuvent apporter.

Ouverture démocratique . Au-delà des personnes contactées en direct, il est intéressant d’élargir les invitations à participer, via le réseau de relations des membres qui vont constituer la cellule. Cette démarche permet d’ouvrir les échanges et d’élargir la cellule en y retrouvant des personnes auxquelles, a priori, on ne pensait pas.Temps 3 – Organisation de la cellule intersectorielle
Aspect pratique:

  • durée: environ 2 heures;
  • lieu: à choisir en fonction de la localisation territoriale du projet.

Déroulement Introduction et présentation du cadre
Présentation du projet (environ 30 minutes). Ce qui doit retenir l’attention c’est la récolte de données pour tenter de percevoir le plus clairement possible les éléments du projet.
Echange d’idées et analyse . Ce moment permet de dégager les différents points de vue, de mettre en commun les informations et les réflexions suscitées par la présentation du projet.
Ce qui sous-tend ici la démarche des cellules intersectorielles, c’est l’idée que l’échange d’informations peut aider les participants à réfléchir et à tirer des enseignements qui dépassent le projet présenté. Ce moment d’analyse permet de mettre en relation les divers éléments des actions et des informations rassemblées, de les mettre en ordre et d’en interpréter les interactions.
Conclusion et synthèse . Ensemble, on examine les facteurs en lien avec le projet et la question analysée, ainsi que les pistes issues des différents échanges.Temps 4 – Evaluation de la cellule intersectorielle
Une évaluation est réalisée au moyen d’un questionnaire:

  • auprès du promoteur de projet;
  • auprès des participants de la cellule.

(1) A ce propos, lire l’article «Conférences locales pour des politiques de promotion de la santé de Charleroi-Thuin: place aux citoyens» dans Education santé, n°192, août 2004, pp 15-17.
(2) Différents acteurs sont à l’origine de la mise en place des cellules intersectorielles: les partenaires de base qui sont à l’origine de la dynamique instaurée dans le cadre du processus des Conférences locales – le CLPS de Charleroi-Thuin, la Maison Pour Associations, le Centre Régional d’Intégration de Charleroi et l’Unité de Développement Territorial et Local de l’IGEAT-ULB, et le comité de pilotage qui regroupe des acteurs locaux qui s’intéressent aux questions touchant à la santé et au bien-être des habitants.
(3) Quand l’échange de savoirs élargit le champ des possibles, dans Travailler le social, Gembloux, 2003, n°34-35, p 112.
(4) PAROT S., TALHI F., MONIN J.-M., SEBAL T., Livre Blanc. Les communautés de pratique. Analyse d’une nouvelle forme d’organisation et panorama des bonnes pratiques, réalisé en partenariat par Knowings et le Pôle Productique Rhône-Alpes, novembre 2004, p 19.