Janvier 2010 Par Martine BANTUELLE Stratégies

Le Conseil supérieur de promotion de la santé remet au Gouvernement de la Communauté française des avis destinés à assister ce dernier dans sa politique de promotion de la santé et de médecine préventive. Il s’agit souvent de recommandations techniques, imposées par la législation, ou d’avis ponctuels sur des programmes d’action et de recherche, sur des campagnes médiatiques, des registres de pathologies, etc.
Le Conseil est aussi amené à répondre à des questions de portée plus générale, et peut aussi prendre l’initiative d’attirer l’attention de la ministre sur une question qu’il juge intéressante ou préoccupante.
Le lecteur consultera utilement le site http://www.sante.cfwb.be , qui contient beaucoup d’informations sur le Conseil, dont une partie de ses avis.
L’avis reproduit ci-dessous a été donné le 19 décembre 2008 en réponse à une demande de Madame Catherine Fonck , à l’époque Ministre de l’Enfance, de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé.

Introduction

Après avoir consulté:
-la Cellule Maltraitance de la Communauté française qui a réfléchi à la question et conçu divers outils susceptibles d’interpeller tant les professionnels que les parents;
-l’O.N.E. qui s’est également penché sur le sujet et met à la disposition des parents des brochures à propos de l’usage de la télévision;
-divers documents tels que les recommandations et délibérations du CSA (français) relatives à la protection des mineurs; l’avis émis par la Direction générale de la Santé française sur l’impact des chaînes télévisées sur le tout petit enfant (0 à 3 ans); la brochure «Les dangers de la télé pour bébé» rédigée par Serge Tisseron dans le cadre du programme Yapaka de la Cellule de coordination de l’aide aux enfants victimes de maltraitance; le document produit par le CIEM (Collectif inter-associatif enfance et média); les argumentaires publicitaires de divers programmes télévisés conçus pour les bébés (Baby TV, Baby First, Baby Einstein); l’échange au Parlement entre Mesdames Corbisier et Laanan relatif aux programmes télévisuels pour enfants de moins de 3 ans;
le CSPS remet l’avis suivant.

Préalable général

Ce texte s’inspire d’un document canadien intitulé les enfants et la télévision issu du site la télé et moi .
La population est souvent exposée à des données soulignant le côté négatif de la télévision. Bien que cette information puisse porter à réfléchir, il est important de se rappeler aussi des bénéfices de la télévision tant pour les enfants (hormis les bébés), que pour les parents et les éducateurs.
Pour les enfants
La télévision peut offrir une façon de soulager le stress et la frustration – deux conditions qui peuvent affliger les enfants d’aujourd’hui face aux attentes et aux demandes de plus en plus exigeantes provenant de toute part.
La télévision offre une richesse d’informations. La télévision permet de «découvrir» le monde, les merveilles du règne animal ou les étapes d’un problème scientifique…
La télévision peut divertir, informer, inspirer et même constituer un moyen de communication.
Le défi demeure de donner à nos enfants les outils nécessaires pour devenir des spectateurs et des citoyens avisés de façon à leur permettre d’accéder adéquatement à un univers de possibilités infinies mais qui peuvent être positives.
Pour les parents
La télévision est pour les adultes une source de divertissement et d’information.
La télévision fournit quelquefois aux gens l’opportunité de discuter de problèmes, de poser des questions, demander des explications, exprimer des opinions…
Une étude de l’Institut canadien du développement de l’enfant (1998-2001) identifie la télévision comme étant le médium le plus efficace pour sensibiliser les gens à un grand nombre de problèmes humains allant de la pollution aux sans-abri. La façon dont les adultes regardent la télévision servira de modèle aux enfants et influencera leurs propres habitudes d’usage de la télévision.

Vie quotidienne contemporaine et usage de la télévision pour les bébés

La télévision , à petite dose , pour soulager des parents qui ont besoin d’un moment de répit .
Certains parents, notamment des mères ou pères seuls avec des enfants en bas âge ont quelquefois légitimement besoin de «souffler», de prendre tranquillement une douche, de préparer paisiblement un repas sans avoir à s’occuper et surveiller en même temps leur tout petit. Dans ces moments-là, la télévision peut se révéler un atout précieux car, à petite dose, elle captive l’attention de l’enfant et offre un répit parfois bien nécessaire aux parents.
Lorsqu’un enfant rentre le soir de la crèche, il est bien souvent épuisé par sa journée bien remplie et retrouve des parents parfois eux aussi très tendus par leur propre journée de travail. Une demi-heure de DVD bien choisi peut aider toute une famille à s’apaiser et à se préparer à vivre le moment du bain, du repas, du jeu, du coucher accompagnés de ses rituels, dans un meilleur climat.
Il convient donc de ne pas condamner la télévision en bloc lorsqu’elle est utilisée, à petite dose, comme «sas de décompression». Le DVD semble néanmoins plus adapté aux besoins des enfants que les programmes continus de télévision.
La télévision comme supposé outil de performance éducative .
Certains parents peuvent être influencés par les arguments publicitaires des chaînes de télévision pour enfants qui vantent les performances que pourraient acquérir les enfants en regardant ces programmes. Certains, sans avoir pris le temps de porter un regard plus averti sur ces arguments, vont avoir tendance à recourir beaucoup à la télévision sans bien prendre la mesure du dommage que ces programmes pourraient causer sur le développement de leurs enfants.
Dans d’autres familles, la télévision est aujourd’hui considérée comme une occupation comme une autre. Pour des raisons parfois diverses, les parents sont heureux de ne pas avoir à gérer des disputes ou demander silence par crainte de gêner des voisins peu conciliants.
C’est à ces parents que des messages de mise en garde devraient être adressés afin que la télévision ne soit pas utilisée comme un outil éducatif auprès de bébés. En effet diverses études montrent que l’effet de ces programmes peut être inverse à celui escompté. Ces messages doivent également inciter ces familles à privilégier d’autres activités plus interactives avec leurs enfants en bas-âge.
Il est recommandé de faire passer ce message via la presse pour jeunes parents mais aussi via les acteurs qui s’occupent déjà des bébés et des jeunes enfants (ONE, crèches, halte garderies, espaces parents-enfants…).

Consultations d’études et constats

Après consultation de différents documents, le Conseil estime que l’avis de la Direction générale de la santé française comporte de nombreux éléments de réflexion et de recommandations utiles. Ceux-ci sont repris ci-dessous (le texte en italique est repris de l’avis de la Direction générale de la santé française):
Aucune étude ne démontre actuellement que les programmes de télévision spécifiquement conçus pour les très jeunes enfants puissent avoir un effet bénéfique sur le développement psychomoteur et affectif de l’enfant . En revanche , les fondements scientifiques sur le développement cognitif et psychique de l’enfant tendent à montrer que c’est inexact . Le concept de programme adapté à l’enfant de moins de 3 ans n’a donc pas de sens .
Les connaissances actuelles basées sur les études disponibles , les modèles théoriques et l’expérience clinique des professionnels de la petite enfance soulignent le risque lié à la consommation d’images télévisuelles sur la naissance et le développement des processus de pensée et de l’imagination , sur l’intégration des émotions et sur le développement psychomoteur . Pour développer ses capacités physiques , psychomotrices , cognitives et affectives , et ses processus de pensée , l’enfant doit utiliser activement ses cinq sens en s’appuyant sur la relation avec un adulte disponible . Les stimulations désincarnées que la télévision suscite ne peuvent en aucun cas remplacer l’interaction émotionnelle et affective avec l’entourage , en particulier les parents . La télévision , même spécifique au bébé , et même en présence du parent , ne favorise pas ce type d’interaction .
Dans une conférence dont la Cellule de coordination de l’aide aux enfants victimes de maltraitance (Yapaka) a tiré un cahier intitulé «Les dangers de la télé pour les bébés», le psychanalyste Serge Tisseron explicite les dangers encourus par les enfants de moins de 3 ans qui regardent des programmes de télévision, y compris ceux conçus pour eux. Ils sont synthétisés ci-dessous.
Si les enfants sont confrontés trop tôt aux programmes de télévision, le monde virtuel risque de prendre le pas sur le réel; «… en détournant le bébé d’activités qui engagent ses cinq sens , la télévision le détourne d’une conscience de son propre corps . Or , lorsque le corps , le toucher et la possibilité de contact s’effacent , l’attitude mentale change et le mécanisme psychique qui s’impose est le déni …».
La télévision pour bébé se révèle être un très puissant excitant mais qui n’est pas mobilisé pour rendre les apprentissages plus performants puisque les enfants qui se trouvent confrontés à ces programmes présentent notamment d’importants retards de langage et ultérieurement des troubles de l’apprentissage; «… le bébé précocement captivé par le rythme rapide des couleurs et des sons y compris dans les soi disant « programmes adaptés » – court le risque d’intérioriser ce rythme dans sa personnalité en formation . Ainsi peut s’installer un cercle vicieux tragique dans lequel les parents placent le bébé devant la télé parce qu’elle semble le calmer , alors qu’il devient infernal dès qu’elle s’éteint …».
La confrontation à l’autre, dans sa différence, devient superflue voire insupportable; «… le bébé installé régulièrement devant un écran risque de constituer celui ci en miroir privilégié par la suite , l’écran de l’ordinateur prend le relais et renforce cet effet ».
La confrontation des bébés aux programmes télévisuels entraîne notamment un appauvrissement considérable de la capacité d’interaction et un important enkystement des identifications; «… la télévision est en train de bouleverser les processus précoces d’identification , avec des conséquences qui sont déjà mesurables à l’école maternelle comme à l’adolescence …».

Conclusions et recommandations

Le Conseil supérieur de la promotion de la santé a décidé de faire siennes les conclusions et recommandations de la Direction générale de la santé française et (les textes en italique sont des citations reprises de l’avis de la Direction générale de la santé française):
émet un avis défavorable à l’encontre des chaînes spécifiques pour les enfants de moins de trois ans ;
déconseille la consommation de la télévision jusqu’à l’âge d’au moins 3 ans , indépendamment du type de programme ;
considère qu’au delà de 3 ans , chez le jeune enfant , l’usage de la télévision doit être particulièrement prudent : les parents doivent être vigilants tant sur le contenu que la durée , les horaires afin de prévenir les troubles du comportement , de l’attention , du sommeil , de l’alimentation et des apprentissages ainsi que les troubles tels que l’anxiété , l’agressivité , la difficulté d’identification à la souffrance de l’autre
Le Conseil supérieur de la promotion de la santé de la Communauté française recommande:
la diffusion d’une large information dans les media sur les risques de la télévision pour les enfants de moins de 3 ans , en direction du grand public et des professionnels de la petite enfance ( émissions thématiques , signalétique sur les écrans , documents distribués à la naissance , mention dans le carnet de santé …);
que les sociétés commercialisant des émissions destinées aux jeunes enfants ne puissent alléguer de bénéfices pour la santé ou le développement de l’enfant non prouvés scientifiquement ;
de poursuivre la recherche des connaissances scientifiques dans ce domaine .
Le Conseil supérieur de la promotion de la santé souligne par ailleurs la qualité du travail déjà réalisé par la Cellule de coordination de l’aide aux enfants victimes de maltraitance dans le cadre de son programme Yapaka. Enfin, le Conseil souligne de manière générale les risques d’addiction aux écrans (télévision, ordinateur, jeux vidéo…).
La Présidente du Conseil, Martine Bantuelle