Octobre 2013 Par Charlotte PEZERIL Initiatives

Malgré les évolutions thérapeutiques et les discours sur la «banalisation du sida», la première enquête quantitative sur les conditions de vie des personnes vivant avec le VIH/sida en Belgique francophone montre que les discriminations et la stigmatisation perdurent. Sous quelles formes et dans quels secteurs sont-elles les plus fréquentes? Comment estimer leur impact sur la qualité de vie des personnes séropositives ?

Présentation de l’enquête

L’idée de cette enquête vient d’un groupe de personnes séropositives, le GRECOS (Groupe de Réflexion et de Communication sur la Séropositivité) animé par la Plate-forme Prévention Sida, qui a constaté le manque criant de données quantitatives concernant leurs conditions de vie en Belgique. C’est pourquoi une enquête participative a été mise en place entre 2009 et 2012, sous la coordination de la Plate-forme Prévention Sida et de l’Observatoire du sida et des sexualités avec l’appui du Centre d’études sociologiques de l’Université Saint-Louis. Les premiers résultats ont été publiés fin 2012 et peuvent être consultés en ligne (1).

Réunissant 18 partenaires (centres de référence sida, hôpitaux et associations de prévention)(2), l’enquête a été proposée aux personnes séropositives majeures se faisant soigner et/ou résidant à Bruxelles ou en Wallonie. Un questionnaire était rempli de manière anonyme avec un enquêteur et s’articulait autour de quatre thèmes: la santé et le milieu médical, la vie sociale et professionnelle, la vie affective et sexuelle et les données générales (situation familiale, économique et administrative). Au final, 343 questionnaires ont été complétés.

Caractéristiques des répondants

L’échantillon est majoritairement constitué d’hommes (près de 52%), de personnes de plus de 40 ans (l’âge moyen est de 44 ans), ayant la nationalité belge (près de 54%) et se déclarant hétérosexuelles (66%). Signalons toutefois que plus de 47% des répondants citent également une nationalité africaine (3) et que plus d’un quart s’affirment homosexuels et 6% bisexuels.

Moins de la moitié d’entre eux (45%) exerce une activité professionnelle et près de 30% déclare des difficultés à assumer les soins de santé qui ne sont pas intégralement remboursés (4). De façon générale, les données font état d’une population certes hétérogène au niveau socio-économique, mais globalement précaire.

Discriminations dans le milieu médical

Premier lieu de maintien des discriminations : le milieu médical. Si cela peut paraître à première vue surprenant, il faut bien prendre en compte le fait que c’est un lieu où le statut sérologique d’une personne est généralement connu. Il faut également contrebalancer les résultats avec le soutien que les répondants disent obtenir de leur médecin principal, dont ils sont très satisfaits en grande majorité.

En fait, plus de 13% des personnes interrogées ont déjà connu un refus de soin en Belgique du fait de leur séropositivité. Les professions ou lieux les plus cités sont les dentistes, les accueils des hôpitaux et particulièrement les urgences, les infirmiers, les gynécologues et les ORL. En outre, 15% des répondants ont entendu des propos désobligeants de la part du personnel médical, plus de 21% ont déjà ressenti de la gêne et presque 13% ont appris que leur statut sérologique avait été révélé à leur insu à des tiers. Enfin, plus de 12% ont déjà subi un dépistage VIH obligatoire (sans en être informés et/ou sans leur accord préalable) en Belgique. Cette pratique concerne près de 23% des personnes sans ou peu diplômées.

Si ces résultats montrent que seule une petite minorité déclare avoir été discriminée ou avoir vu ses droits bafoués, il n’empêche que ces pratiques demeurent contraires à la déontologie médicale, voire sont illégales au regard de la loi anti-discrimination, de la loi sur les droits des patients ou de la loi interdisant le dépistage du VIH dans le cadre des relations de travail (5).

Discriminations dans la vie sociale et professionnelle

Dans le milieu professionnel, 6,5% des répondants ont connu des difficultés dans leur formation ou carrière professionnelle à cause de la révélation de leur séropositivité, sachant que plus de 58% ne l’ont pas révélée sur leur lieu de travail. Par ailleurs, près de 28% d’entre eux ont dû modifier, interrompre ou arrêter leur carrière à cause de leur état de santé.

Les chiffres sont encore plus alarmants concernant l’accès aux biens et services et, particulièrement, les assurances. 15,7% se sont vu refuser ou compliquer l’accès à des biens et services à cause de leur séropositivité, la majorité d’entre eux pour obtenir une assurance et le reste pour obtenir un prêt bancaire. En comptabilisant uniquement les répondants ayant révélé leur séropositivité en faisant leur demande, plus de 72% ont connu un accès refusé ou compliqué à ces assurances et prêts et seuls 27% ont pu y accéder sans encombre. La question délicate de l’accès aux contrats privés d’assurance maladie a fait l’objet d’une mobilisation du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et a donné lieu à des lois provisoires protégeant l’ensemble des personnes atteintes de maladie chronique, lois faisant aujourd’hui l’objet de négociations.

L’un des problèmes majeurs auquel se confronte la lutte contre les discriminations (quel que soit le motif invoqué) est le manque de connaissance de la loi. L’enquête le confirme amplement puisque plus de 85% des répondants ne connaissent pas de loi pouvant les protéger. En outre, parmi ceux ayant été discriminés dans leur vie sociale ou professionnelle du fait de leur séropositivité, 85,7% n’ont rien fait et seuls 14% se sont renseignés sur leurs droits et/ou ont contacté le Centre pour l’égalité des chances.

Impact sur la vie privée et l’estime de soi

Même les personnes n’ayant pas été discriminées ont intériorisé le risque de pouvoir l’être et anticipent donc ce traitement différentiel en se mettant elles-mêmes à l’écart. Ainsi, presque la moitié des répondants a déjà renoncé à quelque chose par peur d’être discriminée du fait de sa séropositivité. Parmi eux, un tiers a renoncé à une relation affective et/ou sexuelle, presque 15% à souscrire à une assurance ou à un prêt et presque 14% à postuler un emploi ou une formation.

Concernant les relations affectives et sexuelles, un quart des répondants dit avoir connu une rupture de relation avec un partenaire à cause de la séropositivité. De plus, presque 30% ont connu une situation où leur statut sérologique a été révélé sans leur accord dans leur milieu social, familial et professionnel en Belgique. Ce taux monte à plus de 67% chez les personnes déclarant d’importantes difficultés financières! Certains préfèrent alors renoncer définitivement à leur vie sexuelle à cause de leur diagnostic : cette situation concerne 18% des répondants et plus d’un quart des femmes…

Enfin, le stigmate ressenti est encore fort puisque presque la moitié des personnes interrogées s’est déjà sentie honteuse d’avoir le VIH et un tiers dit se sentir coupable. Il faut toutefois souligner qu’une partie (certes minoritaire) des répondants échappe à ce poids du stigmate, déclare un excellent moral et réussit à assumer son statut dans son entourage.

Et donc ? Faire respecter les droits !

En conclusion, bien qu’une majorité de répondants dit ne pas avoir été discriminée, les différences de traitement et la stigmatisation perdurent. D’une part, les discriminations semblent prendre des formes indirectes, voilées ou euphémisées : on constate davantage de gêne ressentie que des refus de soins dans le milieu médical, plus de blocages de carrière que de licenciements dans le milieu du travail, plus de propos désobligeants ou maladroits que d’exclusions dans la vie sociale. D’autre part, plusieurs répondants anticipent ces discriminations et cette stigmatisation et mettent en place des stratégies de révélation de leur statut uniquement aux personnes estimées de confiance et/ou des stratégies d’auto-exclusion.

Par ailleurs, l’enquête rend compte d’une très forte corrélation entre la situation socio-économique (diplôme, niveau de revenu, difficultés financières) et son impact sur la vie avec le VIH. Les répondants en situation précaire sont davantage que les autres exposés aux discriminations, déclarent plus un mauvais moral ou encore le sentiment de honte d’être séropositif.

Ainsi, bien que l’histoire de la lutte contre le sida ait mis en avant l’orientation sexuelle et la nationalité des personnes touchées, il ne faudrait surtout pas oublier ou sous-estimer la dimension socio-économique. En ce sens, le VIH ne fait qu’accentuer les inégalités sociales de santé.

Nous conclurons donc en rappelant l’importance du soutien médical et social et de la lutte contre la ‘sérophobie’ et les discriminations pour véritablement arriver à une normalisation de l’infection à VIH. La politique de santé doit ainsi plus que jamais s’ancrer dans une politique respectueuse des droits humains et dans une politique d’égalité face à la santé, à l’emploi et aux droits sociaux.

(1) http://centres.fusl.ac.be/OBSERVATOIRE/document/Nouveau_site/documents/pub/2012-enquete-conditionsdevie.pdf
(2) 4 Centres de référence sida (CHU Saint Pierre, CHU Liège, CHU Érasme, CHU Charleroi), 6 hôpitaux (CHIR Edith Cavell, CHR de Namur, CHU Ambroise Paré de Mons, CH Peltzer – La Tourelle de Verviers, CH Iris Sud – site d’Ixelles, Grands Hôpitaux de Charleroi), 8 associations (Coordination Provinciale Sida Assuétudes de Namur, Service Éducation pour la Santé de Huy-Waremme et Service des Soins de Santé Prisons du SPF-Justice, Topaz, Lhiving, Siréas/Sid’Aids-Migrants, Ex æquo, Nyampinga, Warning-Bruxelles).
(3) Plusieurs nationalités pouvaient être citées.
(4) Seul le traitement antirétroviral est remboursé à 100%. Il arrive cependant que d’autres soins ou médicaments soient nécessaires, notamment pour pallier les effets secondaires des traitements.
(5) Respectivement les lois du 10 mai 2007, du 22 août 2002 et du 28 janvier 2003.