Une étude comparative entre fumeurs, non-fumeurs et ex-fumeurs quantifie les effets du tabagisme sur l’espérance de vie et ses conséquences sur la qualité de la santé au cours des années vécues. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: les fumeurs vivent en moyenne près de huit ans de moins que les non-fumeurs. Les ex-fumeurs limitent la casse, avec un peu plus de deux ans et demi de moins de vie en moyenne.
C’est un fait avéré, fumer tue et constitue un facteur de risque particulièrement aggravant pour la santé. Le fait de ne pas fumer, par contre, est généralement associé par le grand public à une vie plus longue et en meilleure santé. Pourtant, les scientifiques ne sont pas unanimes lorsqu’il s’agit de déterminer si l’arrêt du tabac entraîne une diminution du nombre d’années passées en mauvaise santé.
«Grâce au travail mené par notre Institut et ses partenaires européens, nous disposons désormais de chiffres tangibles. Notre étude évalue les effets du tabagisme sur l’espérance de vie à 30 ans, ainsi que les gains ou pertes d’espérance de vie chez les non-fumeurs, les fumeurs et les ex-fumeurs», précise le Prof. Dr Herman Van Oyen, directeur du département ‘Santé publique et surveillance’ de l’ISP. «Notre étude opère aussi une distinction entre, d’une part, l’espérance de vie sans incapacité – autrement dit, en bonne santé – et, d’autre part, l’espérance de vie avec incapacité et avec incapacité sévère, c’est-à-dire nécessitant l’aide d’une personne extérieure».
Une analyse statistique solide basée sur un échantillon de données unique
Partant du principe que les fumeurs âgés de 30 ans ou plus peuvent être considérés comme des ‘fumeurs à vie’ et que la probabilité de commencer à fumer après 30 ans est très faible, l’étude se concentre sur les personnes âgées de 30 ans ou plus.
Fait remarquable, elle repose sur l’analyse d’un échantillon unique qui couvre à la fois les données sur le tabagisme, sur les problèmes de santé et sur la mortalité. Les données relatives au tabagisme et aux problèmes de santé ont été obtenues grâce aux Enquêtes de Santé 1997 et 2001 qui ont été menées par l’ISP en Belgique. Les chercheurs ont ensuite fait le lien entre ces enquêtes et les données relatives à la mortalité en déterminant précisément le nombre décès survenus chez les répondants au cours des 10 années suivantes (soit jusqu’au 31/12/2007 et 31/12/2010).
Une espérance de vie nettement écourtée
7,87 pour les hommes et 8,17 pour les femmes, c’est en moyenne le nombre d’années d’espérance de vie en moins lié au tabagisme chez le fumeur moyen âgé 30 ans. L’étude montre également que le sevrage du tabac permet d’atténuer cette diminution puisque les ex-fumeurs et ex-fumeuses ne perdent respectivement ‘que’ 2,68 et 2,59 ans en moyenne. Ces derniers chiffres doivent toutefois être interprétés avec précaution. En effet, cette catégorie est relativement plus hétérogène que celle des fumeurs, et les auteurs ne disposent d’aucune information sur la raison ou le moment où ces personnes ont arrêté de fumer. Ceci étant, plus l’abandon du tabac est précoce, plus les avantages en termes de santé sont appréciables.
La qualité de vie à la loupe
Lorsque l’on se penche sur la qualité des années vécues, l’étude nous apprend – et c’est plutôt logique – que les (ex-) fumeurs vivent moins longtemps en bonne santé que les non-fumeurs. En moyenne, les fumeurs doivent ainsi s’attendre à vivre 6,8 ans de moins en bonne santé (c’est-à-dire sans incapacité) que les non-fumeurs. Pour les fumeuses, c’est 6,25 ans de moins. Ce chiffre diminue en moyenne chez les ex-fumeurs à 3,02 ans de moins et à 2,9 ans de moins chez les ex-fumeuses.
Plus étonnant par contre, l’étude nous apprend également que les (ex-)fumeurs vivent au total moins d’années en incapacité que les non-fumeurs. Cette observation a priori paradoxale est pourtant logique. Elle trouve son explication dans l’interaction entre deux forces divergentes: le risque de mortalité et la fréquence des incapacités qui sont tous deux plus importants chez les (ex-)fumeurs. Et ces deux facteurs ont une influence sur l’espérance de vie, sans ou avec incapacités. Lorsque les (ex-)fumeurs sont plus jeunes, les risques de mourir liés au tabagisme sont chez eux relativement faibles, mais ils sont particulièrement touchés par les incapacités liées à leur assuétude. Lorsqu’ils sont plus vieux par contre, le risque de décès prématuré prend l’ascendant. Ceci explique pourquoi les (ex-)fumeurs ont une espérance de vie avec incapacité plus courte que les non-fumeurs. Mais aussi la raison pour laquelle les (ex-)fumeurs âgés entre 30 et 80 ans vivent plus d’années en incapacité que les non-fumeurs.
Une nouvelle étape franchie dans la compréhension des facteurs de risque associés au tabac
Le tabagisme constitue un risque sanitaire majeur et l’étude menée par l’ISP offre aux pouvoirs publics une plus grande visibilité sur le rôle joué par les facteurs ‘mortalité’ et ‘incapacité’ chez les personnes exposées au tabac. Fumer augmente le risque de mortalité et, par conséquent, réduit l’espérance de vie, en bonne santé et en incapacité.
L’étude souligne par ailleurs l’importance de l’impact du tabagisme sur la fréquence des incapacités. Celui-ci entraîne en effet chez les fumeurs une augmentation considérable du nombre d’années passées en incapacité avant l’âge de 80 ans, avec tout ce que cela implique en termes de dépenses de soins de santé.
Le message est donc clair: pour augmenter l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé, il convient, plus que jamais, de mobiliser toutes les forces disponibles. Nous devons tendre vers une société sans tabac en continuant à déployer une politique axée sur une prévention active permettant de limiter le nombre de nouveaux fumeurs. Parallèlement à cela, nous devons également inciter l’ensemble des fumeurs à tourner définitivement le dos au tabac. Pour la santé publique, il ne s’agit pas d’une option politique mais bien d’une nécessité absolue.