Ne pensez pas que cet article est réservé à ceux et celles qui ont fait du Web 2.0 leur réflexe quotidien. Il s’adresse au contraire aux personnes sceptiques, qui se demandent s’il serait opportun de pousser la porte virtuelle des médias sociaux dans leur cadre professionnel. Deux organismes québécois, parmi d’autres, ont choisi d’exploiter les outils de la nouvelle génération d’Internet au service de leurs missions de promotion de la santé.
Quand on évoque les médias sociaux, le Web 2.0 ou encore le Web social, il est question des sites et applications Internet qui permettent à leurs utilisateurs non seulement de s’informer, mais aussi et surtout de créer et d’échanger leurs propres contenus. Les médias sociaux peuvent prendre diverses formes, plus ou moins connues de l’utilisateur «moyen»: les forums, les blogs, les sites de partage d’image ou de vidéos, les sites de réseautage social, etc. D’un certain point de vue, le courriel et la messagerie instantanée (le «chat») font également partie des médias sociaux puisqu’ils répondent à cette définition de partage de contenus. Quand le média social a pour objectif premier de mettre ses utilisateurs en relation, on parle de réseau social: c’est le cas de Facebook ou Twitter par exemple.
Toucher le public, une nécessité
Marc Drolet est le directeur des affaires publiques de la division du Québec de la Société canadienne du cancer (SCC). Invité dans le cadre des Journées annuelles de santé publique qui eurent lieu en mars dernier à Montréal, il a exposé comment la SCC parvient à faire d’Internet un outil de diffusion d’information et de visibilité bien sûr, mais aussi de dialogue avec son public.
La SCC a pour mission d’éradiquer le cancer et d’améliorer la qualité de vie des personnes touchées. Reposant sur la générosité de ses donateurs et le travail de ses bénévoles, la SCC mène sa lutte en s’engageant dans cinq secteurs: la répartition des fonds recueillis pour la recherche; la prévention par la sensibilisation aux saines habitudes de vie et par le changement des environnements; l’information; l’organisation de programmes de soutien; et enfin la défense de l’intérêt public par la mobilisation de la population en faveur de changements sociaux et politiques. On le constate: qu’il s’agisse d’informer, de mobiliser, de recruter des bénévoles ou de susciter des dons, la SCC Québec a besoin d’être connue et reconnue par son public et l’ensemble de la population. Marc Drolet confirme: « Nous voyons dans les médias sociaux , populaires et gratuits – même s’il ne faut pas négliger leur coût en ressources humaines – l’opportunité de faire du recrutement de bénévoles , de créer des mouvements , de rejoindre les jeunes et les moins jeunes ( 1 ) et de rassembler des dons .»
De la diffusion à la mobilisation
Pour la division québécoise de la SCC, l’utilisation des médias sociaux est donc apparue comme un incontournable. Il ne s’agit pas seulement d’un nouveau mode de communication qui s’ajouterait aux méthodes existantes, mais d’un véritable changement de stratégie: de la diffusion d’information par les médias traditionnels, on passe à la mise en réseaux de la population. « Les gens veulent partager leur histoire , indique Marc Drolet. Ces témoignages touchent , rassemblent et incitent à passer à l’action .» En encourageant l’expression de la population, les médias sociaux auraient donc un pouvoir mobilisateur à un degré que l’Internet informatif, émanant principalement de l’organisation elle-même, peine à atteindre.
Réseautage social via Facebook et Twitter
Comme beaucoup d’autres organismes, la SCC Québec s’est créé une page sur Facebook. En un an, 4137 personnes en sont devenues «adeptes», c’est-à-dire qu’elles se sont abonnées pour en recevoir les informations sur leur propre mur Facebook (leur «babillard», en langue de la Belle Province). Des contenus brefs y sont publiés très régulièrement, qui concernent les campagnes en cours, des appels à la mobilisation ou à signer des pétitions, des liens vers divers sites, des sondages, des commentaires de faits d’actualité, des invitations à témoigner… La page offre aussi un onglet «infos», des photos, des vidéos, des forums de discussions thématiques et des articles rédigés. Les participants sont actifs, les échanges sont nombreux et respectueux, les internautes proposent leurs propres sujets ou posent des questions.
Twitter est un site de réseautage social créé en 2007 qui a pour fonction de livrer des informations courtes, fréquentes et instantanées, par Internet mais aussi par messagerie instantanée ou encore par SMS. La SCC l’utilise principalement pour envoyer le signal qu’un nouveau sujet a été publié sur Facebook. Car tout est lié!
Youtube, pour toucher une autre corde
Youtube est un canal gratuit de diffusion de vidéos. Afin d’exploiter le plein potentiel des nouveaux médias, la SCC possède aussi sa propre page sur Youtube ( http://www.youtube.com/sccf), sur laquelle elle publie des spots de sensibilisation, des extraits de discours, des témoignages de personnes touchées par le cancer. On y trouve quelques perles… Il est certain que l’utilisation de la vidéo touche la sensibilité différemment de l’écrit.
Suivre les communiqués de presse grâce à un fil de nouvelles
Un fil de nouvelles, dont le fil «RSS» (Really Simple Syndication) est le format le plus fréquent, est un résumé de contenus Web accompagnés de liens vers les versions intégrales de ces contenus. Les internautes peuvent s’abonner au fil de nouvelles de la Société canadienne du cancer pour recevoir un sommaire des communiqués de presse dès qu’ils sont publiés sur le site http://www.cancer.ca . La SCC propose aussi d’ajouter son fil de nouvelles à iGoogle, une page personnalisée sur laquelle il est possible d’afficher toutes sortes d’informations présélectionnées provenant d’Internet. Pour l’utilisateur, c’est un système pratique qui permet de se créer sa propre page d’accueil, mais qui comporte l’inconvénient de fournir à Google, une firme privée, de nombreuses informations personnelles sur ses intérêts.
Les blogues, ces journaux pas intimes
Parmi les médias sociaux, on compte aussi les blogs (ou blogues, au Québec), des sortes de journaux de bord en ligne proposant des billets fréquents et souvent personnels, auxquels les visiteurs sont invités à réagir. L’Institut Douglas, un institut universitaire situé à Montréal et spécialisé dans la recherche, les soins et l’enseignement concernant la maladie mentale, propose plusieurs blogues organisés en une «blogosphère».
Ils sont alimentés en français ou en anglais par des membres volontaires du personnel de l’Institut qui souhaitent partager leur expertise avec la population en vue de l’éduquer sur les enjeux de santé mentale et de démystifier les maladies mentales, ou avec d’autres intervenants et scientifiques du domaine. Chaque blogueur alimente son propre blogue: les Arts-Santé, le blogue d’Info-Trauma ou encore Soigner entre les lignes…
Voilà une manière originale de donner la parole au personnel et au public parallèlement aux structures traditionnelles de la communication de l’organisation.
Des enjeux à considérer
Il serait possible de rédiger un article, voire un ouvrage – ou un site – entier sur les enjeux liés à l’utilisation des médias sociaux, tant du point de vue des internautes que de celui des organismes qui font le choix de les utiliser. En voici quelques prémices.
Droit d’auteur et confidentialité
Les utilisateurs ne sont pas toujours conscients du fait que leurs écrits peuvent être accessibles au plus grand nombre.
Cet aspect est particulièrement délicat dans le cas de partage de témoignages, quand il est question de santé. Si la règle par défaut est la protection par le droit d’auteur, les conditions acceptées au moment de l’inscription sur un site (généralement sans être lues!) stipulent souvent que le contenu publié devient propriété de la firme. Des options permettant de déterminer les niveaux de confidentialité existent parfois, mais elles ne sont pas connues de tous. La plupart des internautes ignorent aussi que la duplication et diffusion d’un contenu dont ils n’ont pas les droits légaux est (théoriquement) punissable. En pratique, les utilisateurs sont supposés savoir qu’un texte, une vidéo, une photo déposés sur le Web risquent d’être utilisés par les entreprises qui gèrent ces médias ou par d’autres internautes.
Publicité
Notons aussi que de nombreux médias sociaux ne sont pas vierges de publicité commerciale. Sur Facebook notamment, l’organisation n’a pas de pouvoir sur les publicités qui pourraient apparaître en marge de sa page. Les produits vantés peuvent donc aller à l’encontre du message véhiculé par l’organisme, ou pire, en tirer parti.
Contrôle
Ensuite, il faut être conscient que le recours à ces médias participatifs induit l’acceptation d’une certaine perte de contrôle. Les discussions et débats suscités peuvent déraper dans un sens imprévu, voire indésirable. Il est donc nécessaire de prévoir du personnel (et du temps de travail) voué au suivi et à la modération des commentaires des internautes.
Accessibilité
Un dernier enjeu, mais non le moindre, du Web 2.0 comme de l’Internet classique, est son accessibilité. Même si le média se démocratise et intéresse toutes les tranches d’âge, la fracture numérique, c’est-à-dire la différence dans l’accès aux technologies de l’information entre groupes socio-économiques, reste bien réelle. En utilisant ces outils, surtout s’ils remplacent les médias traditionnels, un organisme touche une partie de son public mais en délaisse une autre et prend ainsi le risque important de participer à l’amplification des inégalités entre ces groupes. Un comble pour des organismes qui, visant la promotion de la santé, se doivent d’être engagées dans la réduction des inégalités sociales de santé.
Le pour et le contre, avant le choix
Pour un organisme dont les missions touchent à la promotion de la santé, l’utilisation des médias sociaux est un choix qui ne peut se faire sur un coup de tête.
D’un côté, un intérêt grandissant des publics et des organismes pour ces nouveaux outils, qui ne peut être assimilé à un simple effet de mode, la perspective de rester en contact avec son public et d’en atteindre de nouveaux en quelques clics et un pouvoir mobilisateur fort sont susceptibles de séduire. De l’autre, des enjeux importants comme la confidentialité, le droit d’auteur ou encore les inégalités d’accessibilité ne doivent pas être évacués de la réflexion. Finalement, la question ne porte pas tant sur la manière d’être sur le Web 2.0 – car tout cela s’apprend assez facilement et il existe dans la plupart des organisations des employés familiers de ces nouveaux médias – que sur le choix d’y être.
Pascale Dupuis
Avec l’aimable relecture de Benoît Dassy
(1) Des statistiques d’utilisation de Facebook peuvent notamment être consultées sur le site http://www.checkfacebook.com . Pour la Belgique comme pour le Canada, deux tiers des utilisateurs ont moins de 35 ans.