Si on avait demandé voici vingt ans à un ministre de la santé publique quels étaient ses plans, sa réponse aurait probablement concerné les ‘inputs’. Il aurait parlé de la création de nouveaux lits d’hôpitaux, d’importants investissements dans les soins de santé. Aujourd’hui, l’accent est davantage placé sur les ‘outputs’, à savoir atteindre de meilleurs objectifs de santé avec des moyens limités; tels sont les objectifs prioritaires des actuels décideurs politiques, des managers et chercheurs de toute l’Europe. Le fait de définir des objectifs de santé est fondamental dans ce renversement de situation.
L’Organisation mondiale de la Santé a joué un rôle de pionnier dans ce processus. En 1984, le Bureau Régional OMS de l’Europe fixait 38 objectifs dans le cadre de la stratégie ‘La santé pour tous en l’an 2000’. Ce programme fit l’objet d’une révision en 1991, au terme des réaménagements politiques dans la zone européenne. En 1999, ce document fut à nouveau adapté pour devenir ‘Health 21’, à savoir les 21 objectifs de santé pour le 21ème siècle.
Au cours des années nonante, plus de la moitié des pays européens membres de l’OMS ont adopté leurs propres objectifs de santé. Dans de nombreux cas, cela s’est fait au niveau des régions, des communautés et de grandes villes. L’OMS voit cette évolution d’un bon œil: elle a en effet posé les fondations et les pays membres doivent maintenant veiller à procéder à la concrétisation, en prenant en considération les différents accents qu’ils veulent placer dans leur politique de santé.
Pour Anna Ritsatakis du Centre européen de la politique de santé de l’OMS, ces objectifs de santé sont un ‘mélange de rêves et de réalités scientifiques et politiques’. Les politiques envisagent l’avenir, réfléchissent à ce qu’ils peuvent réaliser tout en paraissant crédibles. Les scientifiques ont quant à eux de hautes aspirations.
Si les objectifs de santé doivent représenter un défi, ils doivent aussi rester réalistes. Ils peuvent représenter pour la population une source d’inspiration, surtout s’ils sont concrets et pertinents.
La santé a de nombreux visages
Il existe de nombreux types d’objectifs de santé. Parfois, le résultat visé porte sur le long terme: l’allongement de l’espérance de vie ou la réduction de la mortalité. Lorsque ces objectifs portent sur des facteurs de risque, ils visent davantage des résultats à moyen terme: améliorer l’état de santé de la population ou traiter des symptômes (par exemple l’hypertension), limiter l’exposition aux risques (par exemple la pollution de l’air), favoriser un comportement plus sain (diminuer le tabagisme, encourager l’activité physique). Les objectifs de santé peuvent porter sur l’input (par exemple la mise à disposition de moyens et de personnel) ou sur l’output (par exemple les services offerts). Les objectifs de processus ou d’action visent la réalisation de la législation ou le lancement d’initiatives dans certains milieux. Enfin, les objectifs de santé peuvent également viser à influencer les causes sociales de problèmes de santé: la réduction de la misère ou du chômage.
Quelques exemples à titre d’illustration:
‘Réduire la mortalité due au cancer chez les personnes de moins de 75 ans d’au minimum un cinquième d’ici 2010 et sauver ainsi 100.000 vies’
Saving Lives: Our healthier nation, Angleterre, 1999.
‘Ramener la partie de la population vivant sous le seuil de pauvreté sous les 7 % (actuellement 8,9 %).
Equity in Health, Suède, 1999.
‘D’ici au plus tard l’an 2000, tous les futurs retraités doivent avoir la possibilité de participer aux programmes qui préparent à la retraite’
Better Health for all in Östergötland, Danemark, 1990.
‘Réduire le nombre de femmes enceintes consommant du tabac de 29% à 23 % entre 1995 et 2005 pour atteindre 20 % en 2010’.
Towards a healthier Scotland, Ecosse, 1999.
‘ D’ici l’an 2002, la consommation d’aliments riches en graisse doit, tant chez les hommes que chez les femmes, être diminuée au profit d’une alimentation moins grasse et plus riche en fibres’ .
Flandre, 1998.
Les critères utilisés dans la plupart des pays pour sélectionner les objectifs de santé sont évidents mais peuvent toutefois fortement varier:
– la gravité d’un problème: un facteur de risque important ou déterminant pour la santé, ou une cause importante de mort prématurée;
– la défense de certaines valeurs, comme le fait de supprimer certaines discriminations (par exemple en Suède);
– les possibilités d’action: le caractère réaliste, l’efficience et le caractère acceptable de l’intervention;
– les considérations sociales: opinions publiques et professionnelles, prix de l’intervention;
– le caractère mesurable: la possibilité de mesurer et de contrôler les progrès.
Un bon objectif de santé doit tout d’abord être SMART: S pécifique, M esurable, A cceptable, R éaliste et T emporel.
Une plus-value?
Il existe de nombreuses raisons qui font que l’on choisit de travailler avec des objectifs de santé:
– ceci suppose que l’on procède à une analyse de la tendance passée et à venir, et ce en se basant sur ‘l’évidence’ scientifique disponible;
– il s’agit d’un apprentissage qui permet de clarifier les objectifs et priorités de la politique de santé;
– les partenaires impliqués dans la formulation des objectifs acquièrent les spécificités du processus, ce qui représente une première étape dans la mise en place;
– les objectifs de santé constituent un puissant instrument de communication pour faire de la santé publique un point d’intérêt général;
– les raisons pour lesquelles certaines actions sont entreprises sont mieux comprises;
– le fait de contrôler les progrès sur la base d’indicateurs adaptés renforce la crédibilité;
– cela permet de disposer d’un point de référence vis-à-vis duquel les activités quotidiennes peuvent être pondérées;
– cela engendre un effet boule de neige; les objectifs de santé sont un moyen pour exercer des pressions.
Quinze ans plus tard
Plus de 15 ans plus tard, il est temps de procéder à une évaluation. De nombreuses publications, des congrès et des journées d’étude se penchent sur le phénomène des ‘Health Targets’, tout comme le Health Forum Gastein. Quelles leçons pouvons-nous tirer? Qu’est-ce qui détermine le succès des objectifs de santé? Constituent-ils un élément utile de la politique de santé?
Un point principal consiste à se demander si les objectifs de santé ont été introduits au niveau politique requis. Certains pays comme la Finlande parviennent à développer des objectifs de santé nationaux, alors que l’on rencontre d’autres exemples ayant autant de succès et développés dans des régions et communautés comme en Rhénanie du Nord, en Flandre ou en Catalogne. Dans chaque cas, il importe de clairement définir qui porte la responsabilité politique.
Toutefois, même s’il existe un accord politique quant à la nécessité d’actions et quant à la voie à suivre, le succès des objectifs de santé dépend dans une importante mesure d’un plan d’implémentation correct.
Il importe tout d’abord d’atteindre un consensus aussi large que possible entre un maximum de parties concernées. Tous les partenaires acquièrent de la sorte un droit de propriété par rapport au processus. En Rhénanie du Nord, un Conseil de la santé intégrant tous les ‘actionnaires’ a ainsi été créé. Celui-ci trouve son écho dans tous les conseils de santé locaux des villes et communes.
Pour pouvoir être traduits dans la pratique, les objectifs de santé doivent de préférence être en nombre limité. Dans ce cadre, l’OMS ne constitue pas un exemple idéal avec ses 38 objectifs de départ, aujourd’hui ramenés à 21. La plupart des programmes régionaux et nationaux se limitent à 5 ou 10 objectifs de santé (également en Flandre).
Par ailleurs, l’implantation doit être basée sur des ‘évidences d’efficience’. Les interventions dans le domaine de la promotion de la santé sont probablement plus efficaces que ce que l’on admet généralement, mais leur évaluation est plus complexe étant donné que les résultats dépendent fortement de facteurs contextuels ou dus au hasard.
Enfin, il convient également de libérer les moyens utiles à la réalisation de ces objectifs ambitieux. Cette leçon ressort clairement de l’évaluation du programme anglais ‘Health for the Nation’.
Outre les éléments stratégiques indiqués ci-dessus, de nombreux défis techniques demandant une connaissance approfondie dans le domaine de la politique de la santé publique doivent également être relevés. Ainsi, le contrôle du progrès demeure-t-il un point controversé. La question centrale consiste à savoir combien de temps il faut laisser s’écouler avant qu’une nouvelle politique atteigne les résultats visés. Pour certains facteurs de risque, les changements que l’on doit apporter aujourd’hui n’auront des effets sur une pathologie que des années plus tard; il suffit de penser au rapport entre le tabagisme et le cancer bronchique. Dans ce cas, des objectifs de santé relatifs aux changements de comportement sont davantage recommandés.
Il ressort d’une étude menée par l’Université de Hanovre que les principaux manquements des objectifs de santé sont dus à une formulation trop générale (ils sont alors trop difficiles à réaliser et à évaluer) et à une stratégie d’implantation incomplète (on compte trop sur la participation volontaire des parties concernées). La plupart du temps, la réflexion ne va pas assez loin: il n’y a ni incitant, ni sanction par rapport à la réalisation des objectifs de santé.
Après avoir étudié les aspects du travail sur la base d’objectifs de santé, Anna Ritsatakis conclut sagement: ‘ce n’est pas une chose que l’on peut régler à la pause café’.
La deuxième génération
Travailler sur la base d’objectifs de santé semble être un processus bien intégré en Europe. A tel point que certains pays ont rectifié leur stratégie et adapté leurs objectifs après avoir tiré les leçons des premières expériences. La principale adaptation dans ces pays concerne le processus démocratique à la base de l’acceptation et donc de l’application du programme.
Il n’y a pas que le ministre de la santé publique qui doit assumer ses responsabilités. Ainsi le programme anglais ‘Our Healthier Nation’ de 1999 a-t-il été co-signé par 12 ministres et implanté dans toutes les régions du pays; les interventions sont dorénavant plus locales que lors du programme précédent.
Dans les pays où on travaille pour la première fois sur la base d’objectifs de santé, les expériences du passé et des autres pays sont également largement prises en considération. En Suède, un véritable processus politique a été mis en place et une commission parlementaire spéciale a été créée pour la préparation de ce programme. Aux Pays-Bas, le public est directement contacté par les médias de masse, comme le programme télévisé ‘Nederland in beweging’.
Le message du secteur de la santé est donc clair: ne travaillez pas seul ! Les autres secteurs comme l’agriculture et l’industrie peuvent également apporter leur pierre à l’édifice et le soutien de la population est indispensable. Car enfin, ne sommes-nous pas tous là pour ça: promouvoir la santé de l’être humain?
Annemie Peeters , VIG, Département Communication
Article paru dans VIGoureus, 8/4, décembre 2000, et reproduit avec l’aimable autorisation du Vlaams Instituut voor Gezondheidspromotie