Les consommations problématiques ou abusives de substances licites (tabac, alcool, médicaments) ou illicites (cannabis, cocaïne…) et les dépendances diverses (Internet, jeux…) posent de véritables questions de santé publique et de société. Le gouvernement de la Communauté française a prévu, dans sa Déclaration de politique communautaire 2009-2014, une gestion et une prévention renforcées des assuétudes.
Cette Déclaration de politique communautaire mentionne notamment l’organisation, en partenariat avec les gouvernements wallon et bruxellois, d’une table ronde sur les assuétudes réunissant tous les niveaux de pouvoir concernés.
Temps 1
La première rencontre s’est déroulée le 21 mai 2010 au Parlement de la Communauté française. Elle a recueilli un franc succès auprès des travailleurs actifs dans le secteur, et les organisateurs ont d’ailleurs dû refuser du monde, malgré le petit nombre de parlementaires présents.
Cinq ateliers ont été proposés aux participants: les deux premiers étaient consacrés à la prévention et à la réduction des risques, et les trois suivants au tabac, à l’alcool et aux ‘drogues’. D’aucuns ont relevé que ce découpage ‘classique’ par produits était quelque peu contradictoire par rapport à l’approche globale et intégrée que les professionnels recommandent…
Chaque atelier, placé sous la présidence d’un parlementaire, débutait par une mise en contexte de la situation en Communauté française par quelques intervenants. Une façon comme une autre de mettre en valeur des réalisations pertinentes, mais qui eut l’inconvénient de réduire fortement les échanges avec le public, ce qui était pourtant l’objectif.
Ainsi, dans l’atelier prévention, animé par Alain Onkelinx , Philippe Bastin (Infor-Drogues) put à peine esquisser une véritable mise en perspective de la problématique, devant céder le micro à des présentations sans doute intéressantes, mais par trop anecdotiques pour nourrir un débat (1). Il put néanmoins rappeler utilement que la prévention devrait reposer sur un travail éducatif de qualité et sur la promotion de milieux de vie le moins ‘toxicomanogènes’ possible…
Dans l’atelier ‘réduction des risques’, modéré par Sophie Pécriaux , le débat fut également très court. On en retiendra surtout que, malgré l’intérêt des pouvoirs locaux pour la question, les opérateurs en réduction des risques sont en manque de reconnaissance. Ils souhaitent bénéficier d’un cadre légal qui se justifie pleinement à leurs yeux. Le public est en effet très demandeur d’actions du type ‘comptoir d’échange de seringues’ ou ‘testing de substances dans les festivals’, etc.
Après la pause, place aux ‘thématiques’ donc.
L’atelier’ Alcool’, dirigé par André du Bus nous offrit l’occasion d’entendre un remarquable plaidoyer de Pascale Anceaux (Infor-Drogues elle aussi) pour ‘ramener un peu de plaisir dans le discours éducatif’, après une introduction ironique sur le ‘binge drinking’ socialement correct des adultes… Elle souligna aussi avec des mots choisis la fascination exercée par la sensorialité et la sensualité des publicités en faveur des boissons alcooliques, et le paradoxe du produit, objet à la fois d’une forte valorisation sociale et d’une non moins forte dévalorisation de l’individu alcoolique.
Pour sa part Martin de Duve (Univers santé), chevalier blanc de la régulation du secteur de l’alcool par les pouvoirs publics, rappelait qu’il est ‘hallucinant’ (c’est le mot exact qu’il a employé) d’observer que dans notre pays, le code de bonne conduite (en état d’ivresse?) du secteur a quasi force de loi. La Belgique n’est pas le pays de la bière pour rien !
Dans l’atelier ‘tabac’, qui mobilisa un faible nombre de participants, Caroline Rasson (FARES) planta le décor de la prévention du tabagisme aux niveaux européen, régional et associatif. Elle s’étendit ensuite sur l’aide et l’accompagnement spécifique du public jeune, avec des pistes concrètes d’intervention.
Valérie Hubens (Fédération des maisons médicales) souligna l’intérêt que revêt la première ligne et ses équipes pluridisciplinaires pour effectuer un travail tant curatif que préventif.
Catherine Dungelhoeff (Centre Alfa) souleva la problématique de la lourdeur administrative et du financement par projets, inadapté à une approche globale et pérenne des assuétudes. Point de vue largement partagé !
L’après-midi, sous la présidence de Chantal Leva , la Présidente du Conseil supérieur de promotion de la santé, fut consacrée aux synthèses des ateliers de la matinée, suivies de brèves mises au point des ministres Fadila Laanan et Evelyne Huytebroeck et de représentants de certains de leurs collègues wallons, bruxellois et communautaire.
La Ministre de la Santé de la Communauté put ainsi rassurer les travailleurs des ‘points d’appui assuétudes’ logés dans les CLPS en leur annonçant le renouvellement prochain de leur financement.
Les autres équipes soutenues par la Communauté entendirent avec envie la représentante de Benoît Cerexhe dire que les agréments bruxellois sont maintenant à durée indéterminée (avec toutefois une légitime exigence d’évaluation régulière), et celle d’ Eliane Tillieux annoncer qu’il en sera prochainement de même en Région wallonne. Intéressant !
Chantal Leva résuma avec à propos les points d’attention de la journée: concertation – partenariat – ‘contrat de confiance sur le long terme entre le politique et les opérateurs’ – ‘créativité des équipes pour dépasser une certaine précarité et des financements limités’ – communication avec le monde politique.
Ce dernier élément venait à son heure après le discours d’ Olivier Saint-Amand (2e vice-président du Parlement) sur ‘les assuétudes (qui) gagnent du terrain’, quelque peu en porte-à-faux par rapport aux échanges de la journée. Une approche convenue, trouveront certains, mais néanmoins intéressante en ce sens qu’elle exprimait un point de vue sans doute majoritaire dans l’opinion publique…Cette première table ronde visait, à partir d’un état des lieux et de l’analyse des points forts et des points faibles du dispositif de prévention en Communauté française, à repérer les besoins non couverts par les structures actuelles, à recueillir les propositions d’amélioration ainsi qu’à identifier des perspectives et des priorités pour le futur. L’avenir dira si cet objectif a été rencontré. Ce qui est évident en tout cas, c’est que le secteur abrite bien des talents, qui auront eu pour une fois l’occasion de se mettre en évidence. Rien que pour cela, la journée aura été utile !
Temps 2
Deuxième volet de la démarche des Ministres Tillieux et Laanan, la Table ronde du 28 mai s’inscrivait dans le champ de l’accompagnement et des soins.
Il y eut quelques parlementaires de plus dans la salle, mais cette fois, on nous avait prévenu que tel n’était pas l’objectif… Les échanges furent moins frustrants. Meilleure organisation réfléchie avec le terrain ou résignation des participants?
D’emblée le champ de la réflexion fut d’une part celui du décret relatif au Plan de cohésion sociale dans les villes et communes de Wallonie et, d’autre part, des recommandations du Collège d’experts (2005).
Le Plan de cohésion sociale, c’est un peu la promotion de la santé appliquée à la gestion des villes et communes. En effet, il se décline en actions coordonnées autour de quatre axes: l’insertion socioprofessionnelle, l’accès à un logement décent, l’accès à la santé en ce compris le traitement des assuétudes et le retissage des liens sociaux, intergénérationnels et interculturels. Il est donc heureux qu’il ait été identifié dès le départ comme toile de fond de la réflexion. Une idée à porter peut-être: celle d’une vision de la santé solidement ancrée dans le secteur psycho-social, ce qui permettrait de s’éloigner de la prévention pasteurienne et des soins hygiénistes et parasités par le fantasme du risque zéro.
Les recommandations du Collège d’experts, c’est son président, Benoît Declerck , qui les rappela. Il souligna la disparition de la notion de tolérance dans la Note du Gouvernement conjoint, notion bien présente dans le texte initial. Oubli significatif? Il rappela la nécessité d’inscrire la promotion d’un mode de vie non-dépendant dans un continuum, de clarifier les rôles, de reconnaître la légitimité de la stratégie de réduction des risques et de dénoncer les interventions sécuritaires. Il rappella aussi le manque cruel de concertation des acteurs de terrain par le pouvoir fédéral, cette situation semblant ne pas être de mise au niveau wallon où les acteurs se sont félicités d’un dialogue accru avec l’administration.
Quatre ateliers ont favorisé de véritables discussions:
– les réseaux dans tous leurs états: pour quelle complémentarité?
– la famille dans tous ses états: quelle place pour chacun?
– la transversalité dans tous ses états: vers quelle approche?
– la réduction des risques dans tous ses états: pour quelles perspectives?
Les échanges ont permis de relayer certaines attentes et demandes du terrain: stabilisation des équipes en général et particulièrement en Communauté française, augmentation des moyens et allègement des procédures administratives, décloisonnement des politiques menées en matière de drogues, inscription des projets dans la durée, décloisonnement de la prévention.
Autre élément émergeant: l’intérêt de placer la charte associative du 12 février 2009 au centre des réflexions.
Que retenir de cette journée? Certainement la volonté réaffirmée des deux ministres Tillieux et Laanan de réinscrire la problématique des assuétudes comme un des axes prioritaires de leurs politiques ainsi que leur volonté d’entendre le secteur dans son besoin de pérennisation des actions et des équipes. Mais aussi, retenir, ainsi que l’a rappelé Benoît Declerck, que la prévention est un vrai métier, à part entière, qui n’appartient pas au secteur des soins, ni à celui de l’éducation ni au sécuritaire. Nos ministres l’auront-elles entendu?Les journées du 21 et 28 mai s’inscrivent dans une démarche continue. La Communauté française et la Région wallonne prévoient en effet, dès l’automne, l’organisation d’une troisième table ronde regroupant les différents niveaux de pouvoir. Cette concertation permettra d’établir des stratégies de travail pour optimaliser la cohérence de la politique de lutte contre les assuétudes et l’articulation entre les trois piliers (prévention, réduction des risques, traitement), tout en tenant compte de la réalité et de la contribution de chaque niveau de pouvoir eu égard à ses compétences.Christian De Bock , avec l’aide de Carole Feulien (RESO UCL) pour la table ronde de la Communauté française et de Pascale Anceaux (Infor-Drogues) pour celle de la Région wallonne(1) Nous espérons vous proposer prochainement l’intégralité du texte qu’il avait préparé pour l’occasion.