Mars 2016 Par P. THIEBAUT Christian DE BOCK Initiatives

L’EVRAS à l’école

Une équation simple?

Où se déploie l’EVRAS, l’Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle à l’école? Est-ce uniquement en classe, au cours de biologie ou via une animation? Non, évidemment, rétorquent les acteurs concernés! Retour d’une demi-journée d’échanges proposée par la Fédération Laïque de Centres de Planning Familial ( FLCPF) en collaboration avec le Point d’Appui Evras aux écoles secondaires (PAE) du Centre bruxellois de promotion de la santé (CBPS) et les membres de la concertation mise en place par le PAE.Depuis 2012, l’EVRAS se voit généralisée dans toutes les écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles et la circulaire qui la prévoit ne va pas sans poser de questions.Ce petit matin d’octobre 2015, c’est l’effervescence à la FLCPF. Et pour cause, l’invitation est large: tout directeur/trice d’école, professeur, éducateur/trice, agent PSE, membre d’association de parents, animateur/trice de planning, de structure AMO (Aide en Milieu Ouvert) ou autre institution travaillant l’EVRAS prêts à réfléchir aux différents lieux de l’école et à ses abords où peut se décliner l’EVRAS.Le défi de cette matinée est d’amener les participants à réfléchir aux multiples façons de décliner l’EVRAS au quotidien. Exit l’unique représentation de ‘Monsieur et Madame Sexe’, afin de pouvoir mettre en scène l’importance du relationnel, l’incontournable préalable à l’EVRAS. C’est ce ‘relationnel’ qui fera trame, fil conducteur dans les six ateliers.

Mais où se passe l’EVRAS?

Un grand plan d’une école est affiché sur le mur de la salle qui nous accueille: classes de cours, wc, salle de gymnastique, vestiaire, salle des professeurs, cour de récréation, bureau de la direction, du secrétariat mais aussi les abords de l’école. Chaque participant va apposer une gommette sur un lieu précis, celui-là même où, à son avis, l’EVRAS se joue… Un peu partout des points multicolores apparaissent. Étonnant combien sans discours cette production est éloquente pour démontrer que l’EVRAS s’exporte dans tous les lieux, qu’elle est bien une notion complexe touchant les relations de chacun, élèves et élèves, élèves et professeurs (ou autres professionnels) mais aussi professeurs entre eux.Après cette mise en bouche, tambour battant, les participants sont invités à se rendre dans les ateliers. La mise en situation se prolonge; six lieux vont être passés au crible des constats et expériences des professionnels. On choisit deux ateliers qui dureront chacun une petite heure. Et oui, on bouge, on traverse des couloirs, on se mélange, on fait connaissance, après tout, expérimentons aussi le relationnel transversal! Pour ma part, je me dirige vers l’atelier ‘L’EVRAS dans les lieux informels au sein de l’école’.On se présente, l’atelier est intersectoriel; des professeurs (d’anglais, de français, de morale), une directrice de primaire, un directeur du secondaire, une secrétaire, une assistante sociale d’un PMS, une animatrice d’un planning, une psy d’un PMS, et encore d’autres.

Jusqu’où aller?

Très vite, les enseignants présents manifestent leur désarroi. Certains évoquent les systèmes mis en place, parfois connus par la direction mais non formalisés afin que les adolescents puissent se confier. Il peut s’agir d’un local dédié à cet effet sur le temps midi, d’une simple boîte mail… des formules qui correspondent aux besoins des ados.Et les enseignants de se dire désemparés devant la lourdeur de la tâche, de ce qu’il leur faut parfois accompagner. Bien sûr, chacun dans l’atelier est interpelé. Des questions fusent: où sont les personnes relais, les PMS, les plannings, les Services d’Aide à la Jeunesse pour les cas extrêmes? S’il semble que certains de ces relais soient aussi en difficulté (saturation des services ou difficulté de trouver des solutions), la question du champ des compétences des uns et des autres et de leurs limites reste un point sensible. Ainsi, un professeur, s’il est facilitateur pour libérer une parole, où pose-t-il ses limites? N’a-t-il pas un réel inconfort à mélanger l’intime, l’histoire du jeune et les exigences scolaires à son égard? Comment ne pas brouiller les messages? Les questions se bousculent et beaucoup s’accordent pour souligner l’importance de ne pas travailler seul et de poser un cadre clair et reconnu par tous.

Quelle extériorité?

Créer des synergies entre enseignants, éducateurs, directeurs, autres acteurs scolaires ( PMS, PSE, médiateurs, etc.) permet d’enrichir le regard, de construire une réflexion et de mutualiser les ressources. À titre d’exemple, une participante mentionne l’existence d’une cellule EVRAS composée d’acteurs pluridisciplinaires.

Ressources documentaires

Un catalogue d’outils pédagogiques EVRAS réalisé dans le cadre des Points d’appui aux écoles est à la disposition des équipes éducatives des 5e et 6e primaires et des écoles secondaires qui le souhaitent. Il a été établi par les documentalistes des centres locaux de promotion de la santé qui hébergent les points d’appui.Ce catalogue, édité en 2015, recense 63 outils sélectionnés sur base de la thématique, de la date de production et du type de support. Il ne cherche pas à être exhaustif. Les outils sont classés par ordre alphabétique et peuvent être retrouvés au moyen de quatre index: par titre, support, thématique et disponibilité géographique (tous les CLPS ne disposent pas de tous les outils). Les fiches contiennent aussi un avis élaboré par les documentalistes des CLPS.Important à retenir: le catalogue ne remplace pas un conseil personnalisé que les animateurs en EVRAS pourront obtenir de leur CLPS de référence.Une belle réalisation disponible gratuitement dans les 9 CLPS wallons et au CBPS bruxellois.

Travailler ensemble autour de sujets sensibles et confidentiels de la vie des adolescents touche aussi la question du secret professionnel. Cette question va être largement abordée dans l’atelier suivant où je me rends. Dans celui-ci, la place de l’EVRAS au niveau de la direction d’école va être débattue. C’est vers cette direction que les acteurs viennent en bout de course dans les cas ‘aigus’.Aux participants de l’atelier alors de souligner l’importance de respecter la confiance accordée par l’adolescent à l’adulte, de demander au jeune son autorisation de livrer quelques éléments de son problème: «Est-ce que tu me permets d’en parler au directeur?» Mais insistent certains, ces directeurs sont aussi ceux qui, plus qu’offrir un ‘laisser passer’ aux acteurs extérieurs, peuvent convoquer, organiser la mise en œuvre de l’EVRAS dans l’école.À midi, nous nous retrouvons tous dans la salle où les animateurs tâcheront de synthétiser les différents ateliers. La nécessité de négocier un cadre clair, de prendre en compte l’hétérogénéité des publics, de pouvoir articuler avec plus d’aisance l’extérieur (de l’école) et l’intérieur, de s’autoriser à être ‘expert’ mais en travaillant ensemble reviendra régulièrement.Car il s’agit qu’aucun professionnel ne se retrouve sur le fil, tout comme le jeune en difficulté. Et il sera l’heure d’évaluer la matinée. Pour ma part, elle fut intense et animée!

La cloche a sonné

Deuxième rencontre

Pendant la seconde matinée d’échanges de pratiques en EVRAS du 9 décembre 2015, on se serait cru à la fin de la récréation à l’école: chaque clôture de discussion était ponctuée par un vigoureux signal de Melissa, du CBPS, brandissant une magnifique petite cloche, nous invitant à passer à une autre table de conversation.Bref retour en arrière. L’objectif de cette rencontre, à laquelle une cinquantaine de personnes s’étaient inscrites, était de confronter des acteurs du terrain à quatre questions:Quelles collaborations entre opérateurs EVRAS à Bruxelles?Quelles articulations entre les différentes thématiques présentes dans l’EVRAS?Comment prendre en compte le contexte lors des projets?Quelles collaborations entre acteurs scolaires?

On peut salir la nappe

Plutôt que de speed dating, on parlera de tables de conversation, les participants étant invités à changer de table, de question et de groupe après une demi-heure de débat. Une formule simple et efficace, permettant des échanges fructueux et respectueux entre animateurs de plannings et travailleurs de PMS ou de PSE.Pas bête: les tables étaient recouvertes de nappes en papier blanc que les participants pouvaient remplir de leurs constats, de quoi faciliter la future synthèse des échanges.Assurément, une approche de ce genre génère plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, ce qui n’est pas grave dès l’instant où la confrontation des pratiques éducatives et des stratégies d’approche du milieu scolaire est recherchée.Dans une ville-région comme Bruxelles, les réalités sociologiques sont très variables d’une commune à l’autre, d’un réseau à l’autre, d’une école à l’autre, ce qui apparaît encore plus crûment lorsqu’il s’agit d’aborder avec des enfants ou des ados une problématique aussi intime.

Déplacer une montagne

Telle participante relevait que son souhait de favoriser par son travail l’émancipation et le libre choix des élèves se heurtait parfois à un mur, les jeunes n’en voulant pas. Pire, il faut parfois être capable d’encaisser les opinions très violentes des élèves (rejet radical de l’homosexualité, de l’avortement, mépris – pour rester poli – des jeunes filles d’origine maghrébine voulant être autonomes…) sans pour autant les ‘forcer’ à adhérer aux valeurs des intervenants. Pas simple, pas simple du tout.Il y avait aussi, et c’est tant mieux pour la dynamique de la matinée, une question qui fâche, les préjugés tenaces des uns et des autres quand plannings et PMS/PSE sont invités à travailler ensemble. «Ils ne veulent pas de nous», «On ne veut pas d’eux», «Ils ne connaissent pas le milieu scolaire», «Ils ne sont pas formés suffisamment pour l’EVRAS», «C’est génial de collaborer mais horriblement compliqué», etc.C’est certain, avec l’EVRAS, on ne s‘ennuie jamais, mais c’est parfois si compliqué qu’on parlerait plutôt d’EVEREST!Dans un prochain numéro, Carole Feulien reviendra sur l’université d’hiver des 3 et 4 décembre derniers organisée à Namur par la Fédération Laïque des Centres de Planning Familial (FLCPF). Ces deux journées nous ont proposé de mener une large réflexion sur les mutations sociétales et les réalités vécues par les jeunes sur la toile.