Communiqué par l’Université libre de Bruxelles
Une équipe de chercheurs de l’Université de Princeton, de l’International Livestock Research Institute, de l’Université libre de Bruxelles et du Center for Disease Dynamics, Economics and Policy vient de mener pour la première fois une évaluation globale de la consommation d’antibiotiques dans l’élevage, et prédit une augmentation rapide durant les 15 prochaines années.
La demande globale pour les protéines animales augmente considérablement et les antibiotiques sont utilisés dans l’élevage à des fins préventives, curatives, voire comme promoteurs de croissance. Aux Etats-Unis, on estime que leur utilisation dans l’élevage représente près de 80% de toutes les ventes d’antibiotiques.
De nombreux travaux suggèrent un lien entre l’utilisation d’antibiotiques et l’émergence de bactéries résistantes qui pourraient avoir un impact important en santé humaine. Jusqu’à présent, cependant, aucune estimation quantitative de la consommation globale d’antibiotiques dans le secteur de l’élevage n’était disponible, alors qu’il s’agit d’un élément important pour évaluer les conséquences potentielles de leur usage massif.
L’étude démontre que la consommation globale d’antibiotiques dans l’élevage devrait augmenter de près de 67% entre 2010 et 2030. Cinq pays, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, devraient présenter à eux-seuls une augmentation de près de 99% de la consommation d’antibiotiques, chiffre qui doit être comparé à l’augmentation de leur population sur la même période qui ne devrait être que de 13%, selon les auteurs.
En raison des volumes concernés, cette augmentation soulève des questions fondamentales sur notre capacité à conserver l’efficacité des antibiotiques dans les prochaines décennies.
«L’invention des antibiotiques fut une révolution de la santé publique du 20e siècle» a déclaré l’auteur senior de l’article, Ramanan Laxminarayan, chercheur au Princeton Environmental Institute. «Leur efficacité et la vie de millions de personnes autour du monde sont à présent en danger en raison de l’augmentation globale de la résistance aux antibiotiques, qui est largement influencée par leur consommation».
Deux tiers (66%) de l’augmentation globale de cette consommation sont dus au nombre croissant d’animaux du secteur de l’élevage. Le tiers restant peut être attribué à des changements dans les pratiques d’élevage, avec une proportion accrue d’animaux élevés dans des exploitations intensives.
«L’élevage est essentiel à la survie de près d’un milliard d’éleveurs pauvres» a déclaré Tim Robinson, chercheur à l’International Livestock Research Institute. «Ces personnes élèvent leurs animaux dans des systèmes extensifs et n’utilisent pas d’antibiotiques à des fins préventives ou comme promoteur de croissance, mais parfois simplement pour traiter leurs animaux lorsqu’ils sont malades. Si les antibiotiques sont moins efficaces, plus difficiles à obtenir, ou simplement plus chers, ces éleveurs seront les premiers à en payer le prix».
Cette étude se concentre sur les bovins, les poulets et les porcs, ces deux dernières espèces représentant la plus grande part de la consommation. Une des limites de cette première évaluation globale réside dans l’utilisation de données limitées sur les usages des antibiotiques. En effet, l’étude se base sur un jeu de données limité aux ventes recensées dans seulement 32 pays, principalement dans des économies riches de pays de l’OCDE. «Un facteur limitant de cette première évaluation est le manque de données vétérinaires sur les ventes d’antibiotiques dans de nombreux pays», note le premier auteur de l’étude, Thomas Van Boeckel, chercheur post-doctorant au Department of Ecology and Evolutionary Biology de Princeton.
La disponibilité de données globales fiables est essentielle pour les scientifiques et décideurs politiques pour à la fois mesurer l’étendue du problème, et envisager des solutions. «Parfois, ces données ne sont tout simplement pas collectées en raison de la faiblesse des systèmes de surveillance vétérinaire, mais parfois les obstacles sont plutôt d’ordre politique ou législatif. Avec ce travail, nous espérons déclencher une prise de conscience de l’importance de ces données pour appuyer des politiques globales et concertées de lutte contre la résistance aux antibiotiques» a encore déclaré Thomas Van Boeckel.
«La résistance aux antibiotiques est dangereuse. C’est une menace globale qui ne montre actuellement aucun signe de ralentissement» selon R. Laxminarayan. «Nos résultats permettent de progresser dans la compréhension de leur usage, des effets de cette consommation sur la santé humaine, une étape cruciale pour contrer les problèmes de résistance».
Cette recherche a été financée via le ‘U.S. Department of Homeland Security’, l’OCDE, la ‘Bill & Melinda Gates Foundation’, le programme RAPIDD, le ‘National Institutes of Health Fogarty International Center’ et le ‘Princeton University Grand Challenges Program’.
Etude ‘Global trends in antimicrobial use in food animals’ dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, menée par Thomas Van Boeckel, ancient doctorant de l’ULB, actuellement chercheur post-doctorant à l’université de Princeton, et co-signée par Marius Gilbert -Lutte biologique et Ecologie Spatiale, Ecole Interfacultaire de Bioingénieurs, Faculté des Sciences de l’ULB.