Si l’alimentation est un sujet inépuisable, il est souvent abordé à l’école d’une manière «prescriptive», rarement ludique, sauf en maternelle où la créativité et l’imagination sont souvent des supports d’apprentissage.
Jouer plutôt que prescrire
Dans l’enseignement primaire, plus généralement, l’enseignant ou l’intervenant dissémine des notions de base en matière de nutrition: la pyramide alimentaire, les «bons et les mauvais aliments», la composition du petit déjeuner idéal, la nécessité de manger équilibré et de bouger pour vivre en meilleure santé, etc.
De surcroît, ces impératifs confinent parfois à l’oracle scientifique, sans lien avec un vrai travail d’explication positive (autant que possible ludique, joyeux, accrocheur…) sur le fonctionnement du corps, son utilité et ses besoins. Les savoirs sont servis sur le bureau des élèves avec devoir de les ingurgiter pour ensuite les régurgiter et bien entendu les mettre en application. Dans cette logique qui est encore d’actualité et qui peut être renforcée par des prescrits familiaux transmis parfois de génération en génération, changer ses habitudes alimentaires deviendrait donc un devoir, dérivant de l’information que l’on nous assène (mais qu’on ne s’est pas forcément appropriée). Il suffit d’une minute d’introspection pour se rendre compte du nombre d’actes accomplis allant quotidiennement à l’encontre de ces prescrits de santé.
Ce mode vertical de transmission est depuis longtemps remis en question aussi bien par les pédagogues et les éducateurs que par les spécialistes en promotion de la santé: les diktats ont peu d’échos dans les changements de comportement que ce soit en matière d’alimentation et plus généralement en matière de santé.
Et cependant, les enfants s’en souviennent: c’est ce qui ressort des courriers que des classes maternelles et primaires transmettent à la Coordination Éducation & Santé asbl, condition nécessaire pour qu’elles reçoivent en retour le kit pédagogique «En rang d’oignons» (1).
Les deux questions auxquelles les élèves répondent dans ces lettres sont: «Des fruits et des légumes, j’en mange ou j’en mange pas? » et «Pourquoi?». Dans les réponses, on retrouve bien souvent des messages entendus et rabâchés sans doute mille fois, que ce soit avec des intentions éducatives de la part des parents, des éducateurs, des professionnels de santé ou encore avec des finalités commerciales aux apparences informatives, par les médias ou les publicités. La santé ou le «politiquement correct» du moment est utilisé comme allégation pour vendre davantage certains produits alimentaires industrialisés.
Recomposés de manière parfois chaotique comme dans les cadavres exquis, les prescrits ressortent: «les fruits contiennent des vitamines qui font grandir», «les légumes donnent de la force», «les fruits et les légumes, j’en mange parce que c’est bon pour la santé».
La mémorisation de ces messages prescripteurs par les élèves souligne les défis actuels d’une éducation nutritionnelle qui porterait ses fruits à court, moyen et long termes. La Coordination Éducation & Santé s’attache à repenser de manière créative les moyens permettant d’influer le cours des choses. Elle mise notamment sur la curiosité et le plaisir d’apprendre ensemble et d’expérimenter avec la classe à partir des réalités toutes proches mais aussi sur l’intégration des efforts pour promouvoir la santé dans les apprentissages et la vie de la classe.
Développer des compétences «santé» se rapproche donc d’autres objectifs proches des missions de l’enseignement comme apprendre à s’exprimer, exercer la citoyenneté, s’éveiller aux enjeux de la société et aux défis du futur: développement durable et solidarité en particulier, en visant un développement harmonieux de chacun et de tous.
Dans le cadre des programmes de promotion de la santé subventionnés par la Communauté française, l’asbl Cordes – de son petit nom – a élaboré des outils: le kit pédagogique «En rang d’oignons» diffusé depuis septembre 2008 et l’outil «Set de table» avec sa brochure d’accompagnement diffusé fin janvier 2010.
Ces deux outils sont construits sur quelques exigences méthodologiques qui nous paraissent fondamentales:
-la première est d’impliquer résolument les élèves dès le départ du projet ou de la préparation d’une action visant la santé et le mieux vivre;
-la deuxième est de les faire participer dans les activités autour de l’alimentation en suscitant leur envie d’apprendre, de découvrir, de cuisiner, de goûter, de commenter et en encourageant les rapprochements entre l’école, la famille, le quartier, le voisinage et des acteurs parfois sous-estimés au sein de l’école.
Les deux outils sont assez colorés pour attirer l’attention des enseignants comme des élèves (voir l’analyse des outils sur le site de http://www.pipsa.org ). La difficulté est d’arriver jusqu’à eux car les envois systématiques mettent parfois du temps pour circuler dans l’école et tous n’ont pas l’occasion de voir l’outil qui est proposé!
Fruits et légumes à l’agenda scolaire: l’outil «En rang d’oignons»
En ce qui concerne, le kit «En rang d’oignons», les enseignants ont fort bien accueilli la petite procédure pour obtenir l’outil en faisant répondre la classe aux deux questions suggérées sur les fruits et les légumes. C’est donc une manière d’introduire le sujet dans la classe. L’échange de correspondance avec la classe est un atout car il permet aux enseignants d’intégrer l’exercice d’écriture ou d’illustration en fonction de leurs objectifs d’apprentissage pour la classe. Nous avons par exemple reçu d’une classe 25 lettres individuelles dans une grande enveloppe où chaque élève avait visiblement fait l’exercice de la composition et l’adressage d’un courrier en argumentant ses réponses aux deux questions.
Du côté des classes maternelles, l’envoi d’une lettre à la coordination avec les dessins et les phrases des enfants écrites par l’enseignante est souvent un prétexte pour mener déjà des activités culinaires ou de dégustation de fruits et légumes avec les élèves, selon l’inspiration de la «meneuse de jeu».
La diversité des réalisations et des illustrations que les classes nous transmettent montre combien le sujet des fruits et des légumes est source de créativité. Il est vrai que l’outil en lui-même dans sa facture artistique libère les imaginations: toutes les écoles ont reçu en septembre 2009 l’affiche qui fait partie du kit avec une nouvelle invitation à se lancer dans la procédure pour obtenir le kit «En rang d’oignons» pour la classe. Depuis la rentrée de septembre, ce ne sont pas moins de 296 classes qui ont entamé une correspondance avec Cordes (contre 194 l’année précédente). Autant d’enseignants se proposant d’exploiter le thème des fruits et des légumes en l’ajustant avec leurs objectifs pour leur classe que ce soit de maternelle ou de primaire.
De surcroît, le thème des fruits et des légumes est à l’honneur avec la proposition faite conjointement par la Région wallonne, la Région de Bruxelles-Capitale et la Communauté française (2) de donner aux écoles les moyens d’offrir pendant l’année des fruits et légumes une fois par semaine à des classes du fondamental grâce aux apports de chaque entité fédérée mais aussi grâce aux subsides de l’Union européenne (voir programme «Fruits et légumes à l’école» sur le site de la Région wallonne – portail de l’agriculture wallonne – et sur le site de la Région de Bruxelles-Capitale).
La Communauté française prend en charge les mesures d’accompagnement et, dans ce cadre, propose aux écoles participantes le kit «En rang d’oignons» édité par la Coordination Éducation & Santé – Cordes asbl et le livre «Petite bibliothèque gourmande» édité par le Service général des Lettres et du Livre de la Communauté française. Ainsi 146 classes correspondant à 79 écoles participant au programme «Fruits et légumes» à l’école ont écrit pour recevoir le kit «En rang d’oignons».
De la sorte, ces écoles peuvent joindre le geste à la parole en accordant la consommation de fruits et de légumes avec les activités pédagogiques sur le sujet.
Depuis son lancement récent dans les deux régions, un total de 728 implantations (3) (682 en Wallonie et 46 en région bruxelloise) se sont déjà inscrites dans ce programme de distribution de fruits et de légumes. Le choix du producteur est laissé à l’école qui – selon sa sensibilité au développement durable – peut opter pour un mode de production bio plutôt que conventionnelle ou encore privilégier les producteurs locaux pour diminuer le coût énergétique.
Voilà bien une démonstration de l’intersectorialité à encourager dans les différentes actions de promotion de la santé.
Ce premier pas peut sans doute lancer une réflexion plus approfondie sur les conditions déterminantes de la consommation et non consommation de ces denrées dans les différents milieux sociaux. La distribution de fruits et légumes en milieu scolaire peut aussi permettre de sensibiliser les élèves aux conditions de production favorisant le développement durable ou encore d’aborder avec les plus grands la question des choix de consommation alimentaire respectueux de la santé et de l’environnement.
Les programmes d’éducation aux médias et à la citoyenneté peuvent s’y articuler également et favoriser ainsi pour l’élève plus de cohérence et de sens dans ses apprentissages.
Jeu, set et match: l’outil «Set de table»
Autre outil, même démarche participative que dans l’outil « En rang d’oignons». À part que, cette fois, c’est une lettre des enseignants qui est attendue avant de leur remettre l’outil pour mener des activités dans leur classe. Distribué fin janvier 2010 à toutes les implantations scolaires du fondamental et du secondaire, en incluant l’enseignement spécialisé, les organismes de jeunesse et les écoles de devoirs, l’outil set de table connaît déjà un franc succès (4).
Près de 450 demandes sont arrivées à la Coordination en l’espace de trois à quatre semaines: 33 000 sets de table ont été distribués dans des classes, des groupes. Le formulaire à remplir demandait de préciser les projets en cours et le contexte d’utilisation prévu. Les demandes reçues indiquent que le sujet de l’alimentation, du manger, du bouger, de la santé et de l’équilibre alimentaire est plus que jamais à l’ordre du jour que ce soit dans un projet de classe ou dans le cadre d’un cours de science ou encore dans le cadre d’une action avec les parents et les élèves.
La brochure, qui contient certaines informations nutritionnelles de base à destination de l’enseignant, de l’éducateur, offre de nombreuses pistes d’exploitation de cet outil dont les objectifs en termes de santé sont de:
-permettre à l’élève de prendre conscience de ses habitudes alimentaires en rapport avec les différents groupes alimentaires et la santé;
-donner des occasions d’échanges entre élèves sur la nourriture et les pratiques de repas de chacun.
Comme pour le kit «En rang d’oignons», les propositions pédagogiques allient à la fois l’apprentissage, l’exercice de compétences et la promotion de la santé tout en suscitant les questionnements sur ce qui détermine les consommations alimentaires et les comportements de santé.
À ce stade, il n’est pas encore possible d’évaluer l’impact de la diffusion de cet outil, mais quelques constats peuvent déjà être faits:
– il est arrivé fréquemment que l’outil soit demandé en nombre par le directeur de l’école, laissant entendre que la démarche sera menée par tous les enseignants de l’école, ce que l’on peut espérer vu qu’ils reçoivent la brochure leur permettant d’utiliser le set de table dans un contexte pédagogique. Néanmoins cela reflète une fois de plus la diversité des modes de fonctionnement et de délégation qui peuvent exister au sein des écoles. À chacune son mode de communication, de prise de décision, de partage de responsabilités, d’autonomie des enseignants…
– la question du formulaire à l’enseignant visant à faire réfléchir sur la correspondance entre la demande de sets de table et les besoins spécifiques en matière d’alimentation de la classe n’est visiblement pas toujours comprise par tous mais elle a le mérite d’être posée et de ce fait, on peut espérer qu’elle fera du chemin: trop souvent encore, l’alimentation équilibrée est vue comme une matière incontournable à différents moments du cursus scolaire (du maternel au secondaire) sans que les besoins des élèves en matière de santé soient identifiés au préalable.
Ceci illustre la nécessité de poursuivre les efforts au sein des services PSE, de rassembler et encoder des données utiles qui permettront d’affiner les actions de promotion de la santé établies au sein des écoles en fonction des besoins et des demandes des élèves.
Le rôle attendu des Services PSE, des Centres PMS et des CLPS est bien de faire connaître l’outil en le montrant aux enseignants intéressés et en les encourageant à remplir le formulaire pour recevoir le nombre de sets nécessaire pour leur classe avec la brochure d’accompagnement. Cela peut déboucher sur des partenariats avec les enseignants pour mener des actions dans les classes selon les disponibilités et les envies de chacun.
Que ce soit pour le kit «En rang d’oignons» ou pour l’outil «Set de table», la Coordination Éducation & Santé asbl a mis en place des procédures participatives pour que les classes obtiennent des outils en support de leur projet. Il s’agit donc bien de mobiliser les enseignants et les élèves pour les intéresser à l’outil et à son utilisation dans le cadre de la vie de la classe et des apprentissages.
Les échanges de courrier sont un élément auquel nous tenons particulièrement pour établir un lien direct et motivant avec les uns et les autres. Tout au long du projet, nous poursuivrons ces échanges, que ce soit pour re-motiver les classes à poursuivre la dynamique sur le thème des fruits et légumes ou que ce soit pour évaluer avec les enseignants et les élèves l’intérêt des outils et démarches proposées pour avancer vers des plus en santé et des écoles plus «en santé».
Cristine Deliens , coordinatrice Coordination Éducation & Santé asbl (Cordes asbl), av. Maréchal Joffre 75, 1190 Bruxelles. Courriel: c.deliens@cordes-asbl.be (1) Cet outil a été présenté dans le n° 237 d’Éducation Santé, septembre 2008. ‘Voyagez toute l’année… sur le thème des fruits et légumes!’ , par Cristine Deliens.
(2) Ce programme est aussi développé en Communauté flamande.
(3) Chiffres arrêtés le 9/3/2010
(4) Les enseignants et les élèves ne sont pas les seuls à apprécier les initiatives de l’asbl Cordes. Les deux outils présentés ici ont obtenu le label de qualité du Plan national nutrition et santé belge (ndlr).