Novembre 2006 Par Véronique JANZYK Initiatives

Le projet pilote de médiateurs interculturels en milieu hospitalier est aujourd’hui en extension. Le CHU Brugmann a consacré une matinée de réflexion au sujet. Assez logique, selon son Directeur, le Dr Daniel Désir , que la matinée de réflexion sur l’interculturalité en milieu hospitalier se déroule au CHU Brugmann. « Il faut rappeler , explique t il que Brugmann était le banquier de Léopold II . A la fin de sa vie , il n’était pas particulièrement fier de la manière dont il avait fait fortune . Il a donc légué de l’argent et l’hôpital qui porte son nom a pu se développer . Hors la tradition de coopération avec l’Afrique Centrale et du Nord qui y existe , il est intéressant de cerner à travers quelques chiffres la réalité de la diversité culturelle sur ses deux sites . Jusqu’à 30 % des patients sont depuis moins d’une génération en Belgique . Personnellement , je me souviens très bien du caractère pédagogique , quant aux différences culturelles de mon expérience à l’Hôpital Ambroise Paré , à Mons , dans mon propre pays . Je me suis rendu compte que le nombre de jours de congé y était plus important qu’ailleurs . J’ai donc annoncé au personnel , comme il fallait redresser la situation , que les jours associés à la fameuse fête du Doudou seraient supprimés . J’entends encore le silence qui a envahi la salle . Il disait vraiment ce gars vient de Bruxelles il ne va pas tarder à y retourner . »

Devinette

Une devinette interpellante est évoquée par Philippe Woitchik , ethnopsychiatre à l’Hôpital Brugmann. Une devinette dont personne n’aurait jamais trouvé la réponse.
«On a demandé au monde entier S’il vous plaît , quelle est votre opinion sur le manque d’aliments dans le reste du monde ? Et savez-vous pourquoi personne n’a pu répondre? Personne n’a compris la question. En effet, les uns ignorent ce que veut dire le manque, les autres ne connaissent pas le sens du mot opinion (à l’Est), les troisièmes le sens du terme aliment (en Afrique), pour les quatrièmes l’expression s’il vous plaît est du charabia et les derniers, les Américains, ne savent pas ce qu’est le reste du monde

Un autre exemple donné par le Dr Désir concerne son travail sur le diabète sucré. « Nous avons , explique t il , rencontré des femmes d’origine marocaine qui ne rapportaient pas un apport calorique important à la diététicienne . Intrigant . Nous avons creusé la chose , pour réaliser que ces femmes consommaient chaque matin un verre d’huile , persuadées que le produit avait le pouvoir de réduire le taux de sucre dans le sang . Ce verre n’était pas comptabilisé dans l’alimentation , puisqu’il était considéré comme un traitement

Du structurel

L’idée de médiation interculturelle est née dans les années 70. Il s’agissait d’abord d’un projet de formation d’interprètes en milieu médico-social. Il faudra attendre les années 90 pour qu’un projet pilote se développe. « Si l’argent était disponible pour les formations , commente le Dr Aldo Perissino , à l’origine du projet pilote au Ministère de la Santé Publique, il n’était pas prévu d’enveloppe pour engager , ce qui est un fameux paradoxe ! On est heureusement loin de ces contradictions . Une vingtaine d’hôpitaux ont été impliqués sur base volontaire dans le projet pilote , aujourd’hui étendu . On peut dire que la médiation interculturelle en hôpital est maintenant structurelle , même si la demande risque de croître et que les budgets ne sont pas extensibles

Etat des lieux

Pour 2005, environ 66.000 interventions ont eu lieu (dans un hôpital sur deux en fait). Les bénéficiaires en sont des personnes de tout âge, particulièrement marocaines et turques. La médiation concerne davantage les femmes que les hommes. L’initiative de la médiation est prise à 22 % par les médecins, à 20 % par les infirmières, à 20 % par les patients, à 13 % par les médiateurs, à 10 % par les travailleurs sociaux. Au fil du temps, les demandes émanant de médecins croissent.
L’occasion de la médiation? Un peu plus d’une fois sur deux lors d’une hospitalisation, lors d’une consultation (36%), d’une hospitalisation de jour (5%) et dans le service des urgences (3%).
Le contenu de ces interventions est essentiellement l’interprétariat (40 % des médiations). Arrivent ensuite le soutien, des messages à faire passer de soignant à patient et de patient à soignant, la négociation sur le traitement, une information sur le fonctionnement de l’hôpital ou encore une information donnée à la famille. Plus de la moitié des médiations se réalisent en triade (pour un tiers seulement en début de projet). Un indice que la médiation s’implante en milieu hospitalier.

Les Belges aussi

« La nationalité n’est pas un critère d’évaluation de la demande , nuance le Dr Perissino. Des personnes qui ont gardé la nationalité d’origine peuvent être acculturées , et d’autres , naturalisées , être très proches de leur culture d’origine . Certaines personnes d’origine étrangère , et résidant en Belgique depuis longtemps , retournent en vieillissant vers leur langue d’origine . On remarque , par exemple , une demande de médiation pour des personnes d’origine italienne ancrées depuis longtemps en Limbourg . Il faut aussi ajouter que la moitié des interventions se déroulent en français ou en néerlandais . Les autochtones aussi ont donc besoin de s’adresser à quelqu’un qui fasse tiers . C’est un élément qui montre que la question de la qualité de la communication dans les hôpitaux devrait être explorée . La médiation ne règle pas tout . Je pense d’ailleurs que la différence culturelle , et de culture sanitaire , marque toute relation thérapeutique . J’ajouterai que la médiation ne doit pas conduire , ce serait un comble , à ce que les autres professionnels se sentent déchargés de la responsabilité d’être le plus à l’écoute possible d’autrui
Véronique Janzyk