Pris entre la culture de leurs parents et les valeurs de l’école, les enfants de migrants ont souvent du mal à se structurer. Un mal-être auquel une clinique de psychopathologie transculturelle de la région parisienne tente de remédier.
A priori, c’est une clinique française comme les autres: la propreté de ses sols, le calme de ses couloirs décorés sobrement, une famille qui attend patiemment que l’on s’occupe d’elle, quelques livres, des contes pour enfants afin que le temps paraisse moins long aux plus petits…
Ici, les patients affluent de toute la région parisienne, voire de province, pour venir consulter dans la clinique transculturelle, spécialisée dans l’enfance et l’adolescence, située dans une annexe de l’hôpital Avicenne, à Bobigny dans la banlieue de Paris. Avicenne constitue un peu le dernier recours pour ces familles de migrants quand les démarches antérieures, auprès de médecins, psychothérapeutes ou assistantes sociales se sont révélées vaines. Ou quand elles éprouvent le besoin de parler des ‘choses du pays’, comme l’intercession des ancêtres. Et la liste d’attente est longue. Vingt-cinq nouvelles familles se présentent chaque semaine. Il n’est pas rare de devoir attendre une année avant d’obtenir un rendez-vous.
Les enfants de migrants sont doublement vulnérables: ‘ S’il n’y a pas de souffrance spécifique à ces enfants , ils ont en revanche deux fois plus de travail à faire que les autres pour se structurer’, explique la directrice du service, Marie Rose Moro . Car les parents, déjà plus touchés que la moyenne par les difficultés sociales, ne disposent pas toujours des outils nécessaires pour préparer leur progéniture à entrer dans un monde, à commencer par l’école, qu’eux-mêmes comprennent parfois mal, voire qu’ils ressentent comme hostile ou effrayant.
La migration génère non seulement des malentendus mais, surtout, elle malmène brutalement la transmission des savoirs entre les générations. Toutefois, ‘ le plus délicat , pour les enfants , n’est pas de se structurer dans un monde et dans l’autre mais de passer d’un monde à l’autre , d’apprendre à faire le lien’, souligne le Dr Moro.
Bilinguisme à deux vitesses
Une aventure périlleuse qui peut devenir angoissante et hasardeuse sans l’aide des ‘ passeurs culturels ‘, que constitue l’équipe des 70 thérapeutes d’Avicenne, venus de tous horizons, et des traducteurs (pour les patients qui préfèrent s’exprimer dans leur langue maternelle). Sans cette médiation, l’enfant risque de souffrir d’une perte de repères et de développer des troubles du comportement, des accès de violence ou même un repli identitaire qui, face à un sentiment de rejet, le conduit à vouloir ‘ imposer sa propre identité , quitte à la caricaturer ‘. Autant de souffrances qui mènent tout droit à l’échec scolaire. Un véritable ‘ gâchis ‘ aux yeux du Dr Moro.
Mamadou (8 ans), lui, s’est réfugié dans le mutisme. À l’école, il ne parlait que très peu, bien que la maîtresse attende de lui qu’il se montre curieux et pose des questions. Mais son père, imprégné des traditions bambara du Mali, son pays d’origine, jugeait qu’un enfant ne doit pas questionner mais attendre d’être mûr pour comprendre. Alors, pris entre ces deux logiques contradictoires, face à un dilemme visiblement insoluble, le petit Mamadou a préféré se taire en classe plutôt que d’avoir à choisir entre les deux mondes. Avec l’aide des thérapeutes, il a progressivement appris à faire co-exister en lui ces deux mondes, familial et scolaire, si différents, et à aller et venir entre les deux, sans avoir l’impression de renier son père ou de tourner le dos à son identité d’origine. Ce qui, peu à peu, lui a permis de s’ouvrir et de progresser en classe. En général, il suffit de trois mois pour débloquer ces problèmes de mutisme.
Autre exemple: le bilinguisme. ‘ Il est valorisé quand il s’agit du japonais , de l’anglais ou de l’allemand mais vu comme une difficulté , un obstacle , dès que l’enfant parle le soussou ou le wolof ‘, poursuit le Dr Moro. Des études ont pourtant montré que le bilinguisme, quel qu’il soit, améliore les capacités langagières. Mais face aux préjugés extérieurs, qui leur renvoient une image dévalorisante d’eux-mêmes, ‘ moins de 10 % des enfants de migrants sont bilingues , parlent un français approximatif et s’appauvrissent ‘, déplore la psychiatre.
Un défi pour l’école française
Et selon cette dernière, loin de concerner quelques individus déboussolés en mal de reconnaissance, ces questions constituent un véritable ‘défi’ pour l’école française dans son ensemble. La thérapeute invite le pays à repenser, sans le mettre en cause, son principe fondateur qu’est l’universalité républicaine, trop abstrait pour que l’égalité de principe puisse s’opérer dans les faits. Car selon les chiffres officiels, en France, plus de 4 millions des 58,7 millions d’habitants sont d’origine étrangère, dont 1,7 million viennent d’Afrique, avec un solde migratoire qui voit en moyenne 50.000 nouveaux venus chaque année. C’est relativement peu mais assez, en ces temps de mondialisation, pour rendre le métissage inéluctable.
Le Dr Moro invite donc l’école à intégrer ces réalités, à être plus ‘ à l’écoute ‘ des différentes cultures qui la peuplent et à faire preuve de ‘ créativité ‘ afin de s’enrichir de cette altérité, au lieu d’en faire une source de conflit. Parmi ses propositions concrètes: des ateliers de langues ou d’histoire censés ouvrir (tous) les enfants sur le monde… Mais, pour l’instant, il est peu probable que le système scolaire s’attelle à de telles innovations alors qu’il est déjà en crise avec la suppression annoncée de plusieurs milliers de postes d’enseignants et d’aides éducateurs dans les deux années à venir.
Chrystelle Carroy , InfoSud – Syfia
Pour en savoir plus: Enfants d’ici venus d’ailleurs , Marie Rose Moro (Hachette Littératures, 2002)