Un « nouveau » réseau sur les mutilations génitales féminines à Bruxelles
La Coordination bruxelloise des Stratégies concertées de lutte contre les mutilations génitales féminines (CB SC-MGF) est l’un des 4 « nouveaux » réseaux financés par le gouvernement francophone bruxellois dans le cadre du nouveau Plan de promotion de la santé. Le projet permettra de créer une branche spécifiquement bruxelloise au sein du réseau des Stratégies Concertées de lutte contre les MGF.
Les Stratégies concertées de lutte contre les mutilations génitales féminines (SC-MGF), réseau d’activistes et d’acteurs travaillant auprès de communautés concernées par les MGF, ont été mises en place dès 2008, en régions wallonne et bruxelloise. Ce réseau avait alors été lancé à l’initiative du GAMS Belgique – une asbl qui œuvre depuis 1996 dans la prévention des mutilations génitales féminines et la prise en charge des femmes, filles et familles concernées. Les SC-MGF, dont le GAMS assure la coordination, rassemblent des acteurs de tous les secteurs dans le but d’améliorer la coordination et la qualité des interventions et de mener un travail de plaidoyer auprès des instances politiques et administratives. Le site internet des SC-MGF constitue aujourd’hui un centre de ressources sur les MGF inédit en Belgique.Cette nouvelle démarche vise ainsi de renforcer l’ancrage des SC-MGF à Bruxelles par une branche spécifique de coordination bruxelloise et de mettre en place des actions répondant à la situation spécifique de la région.
Les mutilations génitales féminines – une préoccupation en région bruxelloise ?
Les mutilations génitales féminines (MGF) sont pratiquées dans une trentaine de pays et concernent 200 millions de femmes et filles dans le monde. Il s’agit d’interventions pratiquées sur l’organe génital externe des femmes sans raison médicale, incluant la clitoridectomie (ablation du capuchon et/ou du gland du clitoris), l’excision (ablation partielle ou totale des petites et/ou des grandes lèvres), l’infibulation (rétrécissement de l’orifice vaginale par la suture des petites ou grandes lèvres) ou d’autres interventions telles que le « pricking » (percement du gland du clitoris). Ces pratiques sont reconnues comme des violations des droits humains des femmes et peuvent avoir des conséquences néfastes sur la santé physique, mentale et sexuelle de celles-ci.Les MGF sont criminalisées en Belgique, comme dans la plupart des pays européens. L’article 409 du Code Pénal belge sanctionne non seulement toute personne ayant pratiqué une forme de mutilation des organes génitaux féminins, mais également tout individu ayant facilité ou permis cette pratique. En cas de risque de MGF, toute personne qui est confrontée à cette situation a l’obligation de lui venir en aide (art. 422bis du CP). Aussi, le Code Pénal belge prévoit la possibilité, mais pas l’obligation, de lever le secret professionnel lorsqu’une fille ou une femme vulnérable a subi des MGF (art. 458 bis du CP). De plus, les MGF sont reconnues par la Belgique comme une forme de persécution basée sur le genre, pouvant donner lieu à une reconnaissance du statut de réfugié.e.Selon la dernière étude de prévalence menée en Belgique, près de 26.000 filles et femmes vivant dans le pays seraient concernées par ces pratiques (chiffres pour la fin de l’année 2016). L’étude estimait qu’environ 2/3 avait déjà subi une MGF (17 273) et que le tiers restant était à risque (8644). La région de Bruxelles-Capitale, la province d’Anvers et la province de Liège accueillent le plus de filles et femmes concernées. Pour Bruxelles, environ 8000 filles et femmes sont concernées.Les femmes et filles ayant déjà subi une mutilation génitale féminine ont besoin de pouvoir bénéficier d’une prise en charge adéquate, que ce soit au niveau des soins de santé, d’un suivi thérapeutique, de consultations sexologiques, d’aide sociale ou juridique. Les mesures de prévention sont toujours et encore nécessaires pour éviter que d’autres filles ou jeunes femmes subissent cette violence. Les Stratégies Concertées de lutte contre les MGF sont nées du constat qu’une meilleure collaboration et concertation intersectorielle, incluant acteurs publics et non-gouvernementaux, sont primordiales pour assurer cette prévention et prise en charge.
Un réseau en co-coordination
La création d’une Coordination bruxelloise des SC-MGF (CB SC-MGF) (que nous appellerons « réseau MGF bruxellois » pour plus de facilité) a été soutenue dans le cadre de l’appel à projet de la COCOF et s’inscrit dans le travail déjà mené par le réseau des Stratégies concertées de lutte contre les MGF (SC-MGF) depuis maintenant 10 ans.Le réseau bruxellois va permettre une prise en charge des spécificités du territoire bruxellois et une meilleure concertation entre les acteurs œuvrant auprès des communautés concernées par les MGF sur ce territoire. La finalité de la coordination bruxelloise des SC-MGF est ainsi de favoriser le travail communautaire, intersectoriel et pluridisciplinaire, afin de prévenir les mutilations génitales féminines, d’améliorer la prise en charge globale et de promouvoir la santé et le bien-être des personnes concernées par ces pratiques.
Une particularité du réseau MGF bruxellois est le fait qu’il s’inscrit non seulement dans le Plan Promotion de la Santé de la COCOF, mais également dans la politique d’Action sociale menée par la Ministre Frémault. En parallèle avec le subside attribué au GAMS pour ce projet, un autre subside a été attribué à l’asbl INTACT (association spécialisée dans les questions juridiques liées aux MGF) pour la coordination d’un « volet social » de ce réseau bruxellois. Les deux associations spécialisées se sont unies pour la co-coordination de ce réseau bruxellois : Stéphanie Florquin (GAMS Belgique), coordinatrice depuis 3 ans du réseau élargi des SC-MGF, pour le « volet Promotion de la Santé », et Charlotte Campo (INTACT), pour le « volet Action-sociale ». Les deux co-coordinatrices travailleront en collaboration étroite. Si chaque « volet » a ses responsabilités et activités, c’est bien ensemble que nous avons fixé l’objectif général de la Coordination bruxelloise des SC-MGF, à savoir de « favoriser le travail communautaire, intersectoriel et pluridisciplinaire, afin de prévenir les MGF, d’améliorer la prise en charge globale et de promouvoir la santé et le bien-être des personnes concernées par ces pratiques ». Deux objectifs spécifiques ont été définis pour le premier cycle du projet (3 ans) : 1) promouvoir les droits et la santé (sexuelle) des filles et des femmes concernées par les MGF vivant à Bruxelles-Capitale, et 2) favoriser la concertation et l’action intersectorielle sur la région.Actuellement, une vingtaine d’associations et d’institutions bruxelloises sont engagées, soit dans le cadre des Stratégies concertées de lutte contre les MGF, ou depuis la mise en place d’une coordination spécifique bruxelloise. Toutes structures en lien avec des communautés concernées par les MGF, ou intéressées par la santé sexuelle des femmes migrantes et les violences de genre, sont les bienvenues pour rejoindre le réseau. Pour ce faire, il suffit de remplir une simple feuille d’adhésion, disponible sur le site des Stratégies concertées MGF.Les activités du réseau SC-MGF ont toujours été ouvertes à tou.te.s et le réseau dépasse largement ses membres officiels. Ainsi, de nombreuses structures partenaires ou professionnel.le.s participent aux ateliers et aux rencontres, telles que l’Assemblée annuelle qui a lieu chaque début d’année depuis maintenant 3 ans. En 2018, c’est plus de 70 personnes, venues de Bruxelles et de Wallonie (et même de Flandre) qui se sont rassemblées pour échanger des informations en plénière et participer à des ateliers afin de discuter de thèmes spécifiques tels que : les idées reçues autour des MGF, comment aborder la question des MGF avec une femme pour la première fois, et le développement psycho-sexuel des enfants. Bien que la Concertation bruxelloise mettra en place des activités spécifiques pour les membres et partenaires de la région, nous continuerons à organiser les assemblées annuelles du réseau global SC-MGF, afin de permettre la rencontre entre les acteurs bruxellois et wallons de tous secteurs.
Les actions du « réseau MGF bruxellois»
La première action qui sera mise en place dans le cadre du projet en Promotion de la Santé sera un diagnostic communautaire dont le but est de (mieux) connaitre les besoins et attentes en matière de santé sexuelle des communautés concernées par les MGF vivant en région bruxelloise. Ce diagnostic sera mené en concertation avec les membres et partenaires du réseau et nous veillerons à intégrer les communautés concernées dans toutes les étapes, de la conception de l’étude à la validation des résultats, en passant par le recueil des données. Le diagnostic communautaire servira à formuler des propositions de mesures en vue d’améliorer la santé sexuelle des communautés concernées.Afin d’assurer l’appropriation du réseau par tous les membres et partenaires, des rencontres bilatérales seront organisées cette année, suivies par des réunions de concertation trois fois par an, permettant aux membres de se rencontrer et d’échanger sur leurs pratiques dans un cadre intersectoriel. Un rôle important du réseau sera également de soutenir les membres et partenaires dans leurs actions auprès du groupe cible (les communautés migrantes concernées par les MGF), à travers la création d’outils, l’organisation d’ateliers thématiques, de formations… En 2018, l’un des thèmes explorés lors de l’assemblée annuelle, en février dernier, était le développement psycho-sexuel des enfants et comment répondre aux questions de parents qui ont protégé leur(s) fille(s) de l’excision. Les professionnel.le.s peuvent être confronté.e.s à des idées de la part des parents et ne savent pas toujours comment y répondre : « Si on ne coupe pas le clitoris, ça va grandir, c’est sale… », « Pourquoi ma fille met la main dans sa culotte, peut-être que j’aurais dû l’exciser… ». Un atelier d’une journée avec l’asbl le Céré (Centre d’expertise et de ressources pour l’enfance), organisé à Bruxelles le 14 juin prochain, devra ainsi permettre aux professionnel.le.s de savoir comment aider les parents à déconstruire ces idées reçues autour du développement psycho-sexuel de leurs enfants.Le lancement officiel du réseau CB SC-MGF (volets « action-sociale » et « promotion de la santé ») est prévu le mardi 12 juin de 9h à 12h dans les bureaux de l’asbl INTACT. Toute personne intéressée par le travail de prévention des MGF, de prise en charge des femmes/filles concernées, ou travaillant auprès de communautés potentiellement concernées, sont vivement invitées à cette première rencontre. (Inscription par mail : scmgf.be@gmail.com)Crédits photos : Bea UhartPhoto1 : Khadia Diallo, fondatrice et présidente du GAMS Belgique (au centre), lors de l’Assemblée annuelle des SC-MGF en 2017.Photo 2 : Ibrahima Alpha Diallo, relais communautaire du GAMS Belgique, et Cendrine Vanderhoeven, sexologue au centre CeMAViE (*centre de prise en charge des complications des MGF) lors d’une conférence sur le thème « Excision et Sexualité -Déconstruire les idées reçues » organisée par les SC-MGF en septembre 2016.
UNICEF, 2016, “Female Genital Mutilation/Cutting: A global concern. New York : United Nations Children’s Fund.
Dubourg, Dominique et Richard, Fabienne, 2018, « Estimation de la prévalence des filles et femmes excisées ayant subi ou à risque de subir une mutilation génitale féminine vivant en Belgique, 2018 – Mise à jour au 31 décembre 2016 », IEFH et SPF Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement