Août 2005 Par C. MAILLARD Initiatives

L’Organisation mondiale de la santé elle-même le déclarait il y a peu: l’obésité est une maladie qui doit être traitée. Message reçu de la part de professionnels de la santé qui ont organisé une prise en charge pluridisciplinaire basée sur les aspects médical, diététique, « sportif » et psychologique. Car l’obésité intègre ces ingrédients à des niveaux divers, selon les personnes concernées.
On ne le rappellera jamais assez: l’obésité est source de problèmes de santé importants, ou peut encore favoriser leur émergence en présence d’autres facteurs de risque. On pense aux maladies cardio-vasculaires, infarctus du myocarde en tête; au diabète et à toutes ses complications possibles; à l’hypertension qui est aussi appelée le tueur silencieux; au cholestérol qui peut mener aux infarctus du myocarde également; à certains cancers qui sont plus fréquents chez les obèses (côlon, prostate, estomac, œsophage, foie, vessie, pancréas, sein, utérus, col de l’utérus, ovaires…) (1); à la formation de calculs (pierres) à la vésicule biliaire, à l’arthrose…
Si le but n’est pas d’avoir un discours alarmiste, il est tout de même utile d’énoncer clairement les risques pour sensibiliser les personnes concernées. Dans l’espoir qu’elles décideront de prendre les mesures nécessaires pour améliorer leur santé: une réduction de poids de 10% a déjà des conséquences très positives, tant en termes cardio-vasculaires, que de diabète ou de cholestérolémie! Et pour ceux et celles qui ne se sentent pas d’attaque à se lancer dans un régime ou qui ne savent pas comment s’y prendre, des centres proposent une prise en charge ayant une dimension pluridisciplinaire.
Depuis 2 à 3 ans, les initiatives de prises en charge plus adaptées aux réalités des obèses sont au cœur de l’actualité, et d’autres ont vu le jour. Elles se basent sur un constat: l’obésité est une maladie qui mérite une attention médicale, elle est le résultat d’une alimentation inadéquate, d’où l’apport de diététiciens, d’un manque d’exercice physique (ce qui implique des kinésithérapeutes) et, bien souvent, est le résultat ou la cause de troubles psychologiques, donc nécessite d’intégrer une dimension psy.

Un nom qui sonne!

Parmi ces centres, une initiative a bénéficié d’une grande médiatisation au moment de son lancement en 2002, probablement par son nom très évocateur: les Cliniques du Juste Poids (CJP), coordonnées par la Fondation Hodie Vivere pour l’étude et la prévention des maladies de civilisation. Son approche pluridisciplinaire, bien que n’étant pas neuve (d’autres praticiens, notamment hospitaliers, l’organisaient depuis déjà plusieurs années pour certains) a cependant eu le mérite de la structurer au sein d’une même association centralisatrice, et de la médiatiser. « Les CJP s’adressent à ceux de plus en plus nombreux qui ont perdu l’insouciance du manger heureux’ et qui , pour un problème de poids , font de la nourriture une difficulté , une culpabilité , voire un combat répété . Elles sont constituées en un réseau de Centres de diagnostic , de suivi thérapeutique et d’information pour tous ceux qui souffrent d’un problème de poids . Leur approche globale de l’excès pondéral se base à la fois sur le comportement alimentaire et des explications détaillées quant au bon usage des médicaments . Le but ne se limite pas au résultat sur la balance , mais vise une modification d’habitudes alimentaires et la connaissance des clés de base qui éviteront la rechute », expliquent ses responsables.
Pratiquement, il s’agit de participer à une séance d’information sur la philosophie et l’organisation de la prise en charge, ensuite de réaliser un bilan de santé à la fois avec le médecin, le nutritionniste et le psychologue, afin de déterminer l’historique de la personne qui souhaite perdre du poids. Les causes de l’excès pondéral (la fréquentation régulière des restaurants pour des raisons professionnelles, le choc émotionnel qui a pour résultat que celui qui l’a subi se réfugie dans la nourriture, le manque de connaissance des aliments et de leurs ‘richesses’, etc.) seront déterminées ainsi que ses effets déjà visibles sur la santé (pré-diabète, diabète, cholestérol…); un bilan sera réalisé et un objectif raisonnable à atteindre sera fixé par des mesures personnalisées. Ce premier topo est à la charge des patients: 75 euros. Le patient sera alors dirigé vers la voie qui lui convient le mieux: suivi médical, psychologique ou diététique. Ce coût se prolonge au cours des consultations, puisque le patient doit au minimum payer le ticket modérateur. Cette charge financière constitue trop souvent un frein à la poursuite de la prise en charge. Car on sait que les consultations diététiques et les suivis psychologiques ne sont pas remboursés et que l’«obésitologie» n’étant pas reconnue, les tarifs sont libres. « C’est la raison pour laquelle la Fondation Hodie Vivere reste en contact avec les autorités pour négocier une intervention par l’Inami , les mutuelles ou les assurances . Certaines catégories d’âge sont couvertes par des assurances complémentaires de mutuelles , et nous avons notamment des contacts avec des mutualités pour étendre cette couverture à un maximum de gens », poursuit le Dr B. Buntinx , porte-parole des CJP.
Depuis sa création, les CJP ont regroupé 10 centres en Wallonie et 3 à Bruxelles, et visent à étendre leur réseau. « Nous envisageons de lancer des séances d’information auprès de jeunes médecins généralistes , sortis des études dans les cinq dernières années , et d’étendre ainsi ce réseau ». Mais les initiatives ne sont pas toujours faciles à mener, d’autant que les changements de majorité aux niveaux fédérés ont suspendu les dotations de la Fondation depuis près d’un an, pour ce qui concerne les aspects de la prise en charge de l’obésité (2).

18 mois après…

Les CJP ont effectué un bilan de leur travail après 18 mois de fonctionnement: le parcours de 573 personnes a ainsi été observé, dont 80% de femmes. L’âge le plus représenté chez les femmes était les 43-52 ans, et chez les hommes les 33-42 ans, surtout des personnes en couple avec enfants (pour moitié), des employés (53% des femmes et 40% des hommes) et n’ayant pas d’activité physique (70% et 60% respectivement). « On constate également , dans le profil , que les femmes ont une motivation plus esthétique , alors que les hommes visent davantage à améliorer leur santé par la perte de poids , ce qui peut expliquer que les femmes ont davantage pris une initiative personnelle , alors que les hommes ont davantage été conseillés par leur médecin », explique le rapport.
Parmi ceux qui ont cité une raison expliquant leur trouble de l’alimentation et leur manque d’activité physique, notons que la majorité des femmes évoque un événement psychologique et les hommes un changement de mode de vie, mais aussi l’arrêt de la pratique d’un sport et l’arrêt du tabac.
Par ailleurs, les chiffres fournis par les CJP indiquent que les hommes ont consulté plus tardivement, lorsqu’ils souffraient d’obésité de grades I et II, alors que les femmes étaient majoritairement en excès pondéral et obésité de grade I (3). Les hommes s’inquièteraient-ils plus tardivement de leur obésité et ne prendraient-ils l’initiative que lorsqu’ils présentent des signes cliniques, donc consultent sur base des conseils de leur médecin? C’est en tout cas ce qui peut être déduit de l’âge des personnes qui ont consulté en comparaison avec leur BMI au moment de la première consultation.
Les troubles psychologiques accompagnent très souvent les troubles alimentaires: reste à savoir lequel engendre l’autre… On retrouve dans l’ordre le grignotage (59%), l’anxiété (38%), les compulsions (32%), la dépression (24%), le manque d’estime de soi (22%), l’hyperphagie (21%), le chaos horaire (20%)…
Mais ce qui est frappant, c’est la différence qui existe entre les hommes et les femmes: « Celles ci semblent plus touchées par la dépression , les problèmes d’estime de soi , les compulsions , les situations de post trauma et , avec des écarts moins marqués , par le grignotage et l’anxiété . Les hommes semblent plus nombreux à souffrir de problèmes d’assuétudes et de chaos horaire et dans une moindre mesure , d’hyperphagie ou de chaos du contenu alimentaire », souligne le rapport. Et cet aspect psychologique a poussé les CJP à prévoir une prise en charge plus ciblée: « Le traitement psychologique d’une patiente ménopausée , dépressive et présentant des problèmes d’estime de soi sera différent de celui d’une patiente victime d’un choc post traumatique accompagné d’anxiété et d’insomnie

Des résultats en demi-teinte, néanmoins positifs

« Les patients qui comptent 4 visites ou plus représentent 41 % du total , ce qui pourrait refléter le taux de compliance . Le taux d’abandon est de 32 %, légèrement inférieur chez les hommes . Ces chiffres élevés sont ceux constatés dans la pratique générale . Chez ceux qui ont consulté plus d’une fois , les traitements de moins de 6 mois restent majoritaires ( 73 %); 27 % ont continué plus de 6 mois et 8 % plus d’un an . Même si on peut les considérer comme faibles , ces derniers résultats sont encourageants car il est difficile de maintenir un suivi thérapeutique à moyen et long terme dans les cas de surcharge pondérale . Il faut par ailleurs rappeler que notre évaluation porte sur une démarche volontaire et libre », poursuit le Dr Buntinx.
Et en termes de poids perdu, les résultats se précisent. Ce sont les plus obèses qui ont enregistré les meilleurs résultats. Ceux qui avaient une obésité de grade III à leur entrée ont perdu en moyenne 8,9% de leur poids initial, ceux de grade II en ont perdu 8,5%, ceux de grade I 6,5% et ceux qui présentaient un excès pondéral ont perdu 7,2% de leur poids initial. Et même ceux qui avaient un poids dans la normale ont perdu du poids: en moyenne 4,9%… Ces personnes ont perdu en moyenne 1,79 kg par mois (1,66 pour les femmes, 2,26 pour les hommes). « La perte de poids n’est pas innocente . Le tissu graisseux est en effet chargé de toxines qui , remises en circulation lors de la lipolyse , doivent être prises en charge’ par les processus de détoxication hépatique avec production de radicaux libres . Une perte de poids excédant 5 kg par mois ne paraît pas physiologiquement acceptable », explique le Dr Jacques Médart , médecin nutritionniste des CJP.
Le succès n’est pas nécessairement en rapport avec la durée du traitement: « Si l’efficacité des traitements courts est claire , les résultats à plus long terme semblent moins encourageants , ce qui s’explique sans doute par la modification de l’objectif à long terme qui passe de la perte de poids au maintien du poids perdu .» Globalement, les femmes ont en moyenne perdu 2,32 unités de BMI et les hommes 2,77. Ce meilleur résultat chez les hommes s’explique sans doute du fait qu’ils partaient d’un BMI plus élevé…
Résultat encourageant, les rangs des personnes ayant un poids dans la moyenne s’est agrandi, alors que ceux des personnes avec une obésité de grade II et III a largement rétréci.

Un forum

Une autre initiative est le regroupement de médecins spécialistes de différentes universités du pays qui s’investissent depuis plusieurs années dans la prise en charge pluridisciplinaire de l’obésité. Ensemble, ils ont mis sur pied la BASO, Belgian Association for the Study of Obesity (Association Belge d’Etude de l’Obésité). Les initiatives menées portent bien entendu sur la prise en charge concertée par des médecins, des diététiciens, des psychologues et des kinésithérapeutes pour réapprendre à manger et bouger, mais pas seulement. « Pour ma part , voilà plus de 20 ans que je collecte les données des patients que je vois , ainsi que celles recueillies par les autres intervenants comme le psychologue et le diététicien , et l’évolution de poids des patients . Auparavant ce recensement se faisait manuellement dans un grand cahier , à l’ancienne , et depuis plusieurs mois , dans une base de données informatique . Mais le suivi de l’évolution des patients n’est possible que pour ceux avec qui le contact est gardé . Que deviennent les autres ? Il faudrait pouvoir les contacter par lettre ou téléphone . Cela pose problème , indépendamment de l’aspect déontologique : une infirmière sociale pourrait couvrir cet aspect du suivi . Mais comment la rémunérer , rien n’étant prévu ?», explique le Dr Maximilien Kutnowski , interniste au CHU Brugmann (ULB) à Bruxelles, et actuel président de la BASO.

Lobbying désintéressé?

Le 9 mai dernier, le Forum Obésité adressait au Ministre de la Santé une lettre concernant la prévention et l’approche de la surcharge pondérale et de l’obésité en Belgique. Après avoir souligné l’importance du défi que représente l’épidémie d’obésité pour notre pays, ce document met en évidence deux priorités:
– la nécessité de prendre des mesures visant à optimiser le traitement et l’accompagnement des patients obèses;
– le besoin d’une réglementation radicale concernant le contrôle plus strict de la publication d’informations sur les substances amaigrissantes en vente libre dans le commerce.
Pourquoi ces deux thèmes-là et pas d’autres? Lorsqu’un problème de santé publique vient à l’avant-plan, c’est rarement dû au hasard. D’aucuns n’hésitent pas à voir derrière cette initiative apparemment digne d’être appuyée une simple opération de relations publiques d’entreprises pharmaceutiques soucieuses de valoriser indirectement leurs produits et de jeter par la même occasion le discrédit sur d’autres produits n’étant pas enregistrés comme médicaments.
CDB

Ce qui n’empêche pas l’association d’être particulièrement active. Récemment, elle a édité un ouvrage de consensus sur la prise en charge de l’obésité destinée aux professionnels de la santé. Se basant sur ce «Consensus du BASO», le Forum Obésité a publié un guide pratique. « Ce guide concret et abordable par le grand public donne les clefs pour évaluer clairement sa situation personnelle et explique les actions qui peuvent être prises , en fonction des résultats obtenus , par le petit questionnaire d’évaluation . Il insiste également sur le fait que les kilos seuls ne suffisent pas à cette évaluation : il faut également calculer son BMI pour estimer la masse de graisse présente dans le corps , mesurer son tour de taille pour savoir si cette graisse est située essentiellement dans la région abdominale ( qui concourt à un risque accru de maladies cardiovasculaires ), et enfin , il faut évaluer la présence de facteurs de risques supplémentaires ( familiaux , tabac , lipides sanguins et autres ) ou des maladies déjà installées ( hypertension , diabète )», poursuit le Dr Kutnowski.
Ce guide donne également des conseils pour, et c’est fondamental, conserver son poids après une perte: alimentation moins calorique, plus d’exercice physique et surtout, une bonne compréhension de son comportement alimentaire. Tous ces efforts sont soutenus de façon interactive sur le site www.kilowatch.be, où l’on retrouve ces précieux conseils pratiques, mais où aussi, après avoir introduit ses données personnelles sur le poids, la taille, le tour de taille, etc., on peut recevoir chaque semaine non seulement un soutien à la démarche pour maigrir, mais aussi des astuces, comme des recettes de cuisine pour des plats légers et savoureux, des brochures pratiques notamment sur l’activité physique, les régimes à suivre ou ne pas suivre, etc. Un bon coup de pouce aux personnes plus solitaires qui n’osent pas se lancer dans une aventure plus médicalisée de la perte de poids…
Enfin, la BASO est à l’initiative d’une grande campagne pour sensibiliser particulièrement les personnes en surpoids (les personnes obèses sont généralement bien conscientes de leur problème de poids) à calculer leur BMI: c’est la semaine de l’IMC (Indice de masse corporelle, traduction de BMI). Et ce afin qu’elles prennent au plus tôt les mesures qui s’imposent…

Revers de la médaille

Néanmoins, ce tapage médiatique sur le problème de poids ne doit pas induire d’autres troubles alimentaires, comme l’anorexie ou la boulimie. Le vrai message qui doit prévaloir n’est pas «il faut maigrir», mais «il faut manger équilibré et bouger». Un message plus difficile à faire passer que de donner des méthodes simplistes et à court terme qui font perdre quelques kilos rapidement, kilos qui reviennent en double dès l’arrêt du régime, un mot à remplacer par celui d’apprentissage au bien manger.
Carine Maillard

Plan nutrition et santé

Ces deux initiatives s’inscrivent dans la nécessité de lutter le plus efficacement possible contre l’obésité dans notre pays. Nécessité également soulignée par le ministre fédéral de la Santé, Rudy Demotte , qui a lancé l’année dernière l’élaboration d’un PNNS (Plan national nutrition et santé) version belge. Il est en phase de rédaction et sa mise en œuvre est prévue pour la mi-2006. Son but est tout d’abord de centraliser et coordonner les différentes mesures prises par les autorités fédérées et éviter les redondances, tout en faisant appliquer au niveau fédéral ce qui marche au niveau régional. Il va élaborer des lignes directrices de nutrition et de politique nutritionnelle pour assurer dans tous les domaines (écoles, hôpitaux, collectivités…) une alimentation optimale, dresser un état des lieux coordonné avec différents experts de secteurs concernés et déterminer à la fois des recommandations et des objectifs à atteindre.
Ce qui ne sera pas fait sans mal: il est question de faire preuve d’une plus grande exigence quant à l’étiquetage des produits alimentaires mais aussi des allégations santé lors des campagnes publicitaires, ce qui risque de heurter certains acteurs du secteur agro-alimentaire. Par ailleurs, le ministre envisage de favoriser l’accès à l’alimentation saine aux personnes les plus défavorisées, celles-là même qui sont le plus touchées par l’obésité.
Une première application concrète dans la foulée de ce plan a fait grand bruit récemment, par la suppression des distributeurs de sucreries et de sodas dans les écoles. Ce premier pas, pourtant critiqué, a néanmoins eu le mérite de limiter l’accès à des aliments et boissons caloriques par les plus jeunes et a lancé le débat de l’alimentation saine à l’école, également dans les cantines. Si cette interdiction est accompagnée d’explications sur ses raisons, elle devrait contribuer à donner aux jeunes une éducation à une alimentation saine et optimale. Un concept qui veut que nous suivions tous la pyramide alimentaire, ce qui nous éviterait l’excès de poids, donc les régimes! Affaire à suivre, comme on dit.
CM

(1) Etude publiée dans le New England Journal of Medicine 2004; 348: 1625-1638.
(2) La COCOF a cependant récemment débloqué un budget de 25.000 € dédié au développement du réseau bruxellois des Cliniques du Juste Poids.
(3) Pour rappel, un BMI compris entre 18.5 et 24.9 équivaut à un poids normal, entre 25 et 29.9 il s’agit d’un excès pondéral, entre 30 et 34.9, à une obésité de grade I, de 35 à 39.9 une obésité de grade II, et plus de 40 à une obésité de grade III.