Mai 2013 Par Colette BARBIER Initiatives

Le portail de la prévention du suicide de la Fédération Wallonie-Bruxelles, que vous pouvez désormais découvrir sur le site web http://www.preventionsuicide.info, a été réalisé par l’asbl Éduca Santé, en collaboration avec le Centre de Prévention du Suicide et Un Pass dans l’Impasse. Il est le fruit de longues années de réflexion et a pu être conçu après un combat difficile mené pour faire mieux connaître la problématique du suicide afin de mieux le prévenir.

Martine Bantuelle, directrice d’Éduca Santé, retrace pour nous ces années de gestation… Tout est parti d’un rapport de recherche réalisé en 2006 par Éduca Santé et l’École de Santé Publique de l’ULB (1). Ce document reprenait la partie conceptuelle liée au suicide, les initiatives qui existaient au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) et les programmes qui avaient été développés ailleurs.

«Dans ce rapport, nous avions mis en évidence le fait que le phénomène du suicide ne peut pas être réduit à l’acte suicidaire, mais qu’il s’agit d’un ‘processus suicidaire’ qui peut parfois être rapide ou au contraire très lent», raconte Martine Bantuelle. «En effet, pour qu’un individu, qui se trouve dans un état de relatif bien-être, en arrive à envisager le suicide comme une solution possible, c’est qu’il a franchi plusieurs étapes qui s’enchaînent dans ce que l’on appelle le ‘processus suicidaire’. Ainsi, la plupart des personnes qui entrent dans un état de mal-être parce qu’elles sont confrontées à une situation stressante, ont la capacité d’y faire face grâce à des mécanismes d’adaptation (le ‘coping’), ce qui leur permet de retrouver un état de relatif bien-être. Mais il arrive que des individus ne parviennent pas à surmonter certaines difficultés de la vie car ils ne possèdent pas ces mécanismes d’adaptation dans leurs ressources personnelles ou parce que ces mécanismes ne sont pas assez développés. Cette incapacité à faire face met l’individu dans une situation de faiblesse au cours de laquelle il développe un sentiment d’inutilité et d’échec. L’image qu’il a de lui-même est mauvaise et son estime de soi se dégrade. Surviennent alors de l’anxiété, des tensions internes qui vont provoquer, à leur tour, des comportements violents et agressifs. C’est à ce moment-là que l’on peut voir apparaître, dans un premier temps, des comportements suicidaires indirects et inconscients (il s’agit de conduites à risque excessives et répétées) et/ou des idéations suicidaires.

Lorsqu’une personne en est au stade des idéations suicidaires, le suicide est réellement entrevu comme une solution possible pour s’en sortir. Ces idéations se transforment, ensuite, petit à petit, en intentions suicidaires au cours desquelles l’individu commence à élaborer un plan destiné à mettre un terme à sa vie. Le processus se poursuit jusqu’à l’acte suicidaire fatal (décès de la personne) ou non fatal (tentative de suicide). Ce processus peut prendre 20 ans d’une vie, comme il peut ne prendre que quelques semaines.»

Travailler en amont du processus suicidaire

Agir en promotion de la santé, c’est agir en amont du processus suicidaire sur les facteurs qui l’influencent, par le renforcement des facteurs de protection. En Fédération Wallonie-Bruxelles, des acteurs comme, par exemple, les centres PMS, l’ONE et les centres PSE agissent à ce niveau et mènent des actions visant les déterminants de la santé. «Cependant la plupart des interventions de prévention du suicide se situent au niveau de la détection des signes, de la prise en charge des personnes qui ont des idéations et des tentations suicidaires, ou qui ont des conduites à risque, ou encore qui ont fait une tentative de suicide.»

Par ailleurs, force a été de constater que les concepts traditionnels de prévention primaire, secondaire et tertiaire ne s’appliquaient pas à la problématique du suicide. «Il est effectivement difficile de préciser quand le problème s’installe : lorsque la personne est dans le mal-être ? Quand elle en est au stade de l’idéation ? Lorsqu’elle a pris la décision de se suicider ? Ou encore après son passage à l’acte ? D’autre part, dans le cadre du concept de prévention primaire, secondaire et tertiaire, on a pu mettre en évidence un décalage entre l’approche de santé publique et l’approche médicale. Ainsi, dans une perspective de santé publique, la prévention primaire commence déjà lorsque l’individu est encore en situation de bien-être, puisqu’elle vise à renforcer les facteurs protecteurs. Dans une perspective médicale, la prévention primaire s’intéresse aux individus à risque, préférentiellement ceux qui souffrent d’une pathologie mentale.»

Prévention universelle, sélective et indiquée

Le modèle traditionnel fait place à un concept mieux adapté qui est celui de ‘prévention universelle, sélective et indiquée’ car il se réfère aux groupes sur lesquels on peut agir plutôt que sur l’événement à prévenir.

La prévention universelle vise la population générale ou certains groupes (une communauté, les écoles) sans tenir compte des risques individuels. Son but premier est de fournir à tous les individus d’une population de l’information et des compétences pour réduire l’importance du problème visé. Le programme ‘Les Amis de Zippy’ est un bel exemple puisqu’il s’agit d’un programme de promotion de la santé mentale destiné à tous les jeunes enfants âgés de 6 à 7 ans dans les classes de 1ère et 2ème primaire, qui est centré sur l’élargissement de leur répertoire de mécanismes d’adaptation (voir le site http://www.zippy.uqam.ca/ ).

La prévention sélective – ou prévention choisie – vise les individus que l’on considère comme les plus exposés au problème visé, c’est-à-dire qui présentent un ou plusieurs des facteurs de risque connus. On parle alors de groupes à risque identifiés sur base des facteurs de risque biologiques, psychologiques, sociaux ou environnementaux connus comme étant associés au problème visé. Les groupes à risque cibles sont, par exemple, les adolescents étant donné les caractéristiques liées à cette période de la vie, ou encore les consommateurs de drogues car des études indiquent que la prise de drogue est un facteur qui favorise la survenue du suicide.

Enfin, la prévention indiquée vise les personnes ayant déjà manifesté un ou des comportements associés au suicide. Dans ce cas, l’intervention se situe au niveau de l’individu et s’intéresse donc à ses propres facteurs de risque. Ce travail se fait, entre autres, par les centres PMS, les centres de prévention du suicide, les centres de santé mentale.

Un combat au niveau politique

En 2006, une conférence de presse fut organisée par les auteurs du rapport de recherche en vue d’en faire connaître le contenu et d’interpeller le politique sur la question. «Nous constations qu’il n’y avait pas d’articulation entre les différents programmes de prévention existants. Nous voulions, dans une vraie politique de prévention du suicide qui s’inscrit dans une approche de promotion de la santé, couvrir l’ensemble du processus. Nous demandions qu’une politique globale de prévention soit intégrée dans les différentes compétences. Une rencontre a ensuite eu lieu entre la Région de Bruxelles-Capitale, la Région Wallonne et la Fédération Wallonie-Bruxelles. À notre grand désespoir, cette rencontre n’a abouti à aucune décision.»

En 2008, le député Marc Elsen mettait la question de la prévention du suicide à l’ordre du jour d’un groupe parlementaire. Dans la foulée, une commission du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, initiée par le même député, réalisait une proposition de résolution visant à optimaliser les mesures de prévention du suicide.

«En consultant les documents existants sur la problématique du suicide, Marc Elsen est ‘tombé’ sur notre rapport de recherche et l’a trouvé magnifique! Il a demandé à Christelle Senterre, chercheur à l’École de Santé Publique de l’ULB et cheville ouvrière de ce travail, et à Christiane Bontemps, directrice de l’Institut Wallon pour la Santé Mentale, de réaliser un document préparatoire au travail du groupe de parlementaires en vue d’élaborer des recommandations politiques sur le suicide

La prévention du suicide devient enfin une priorité gouvernementale

En 2009, il fut décidé de faire de la prévention du suicide une des priorités des accords gouvernementaux, tant au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles que de la Région wallonne et de la Région de Bruxelles-Capitale. C’est ainsi que les ministres concernés ont mis la question du suicide à l’ordre du jour de leurs initiatives et se sont répartis les programmes à mener selon leurs compétences.

En 2010, Fadila Laanan réunissait un groupe d’experts présidé par Martine Bantuelle. Chargé d’affiner les recommandations en matière de prévention du suicide et d’élaborer des propositions de recommandations pour la prévention du suicide chez les jeunes, le groupe d’experts était composé de psychiatres, thérapeutes, psychologues et d’acteurs en promotion de la santé. Y participaient des représentants des deux centres de prévention du suicide, des membres des cabinets de l’Enseignement, de la Jeunesse et de la Santé de la Fédération Wallonie-Bruxelles, des représentants de l’administration de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Fin 2010, le travail du groupe d’experts débouchait sur une table ronde autour de laquelle étaient invités des professionnels qui travaillaient au sein de structures encadrant les jeunes comme les écoles, les AMO, les mouvements de jeunesse, les centres de médecine scolaire…

Le mot de la Ministre Fadila Laanan

«Il existe, jusqu’à présent, deux organismes de première ligne en lien avec la problématique du suicide : le Centre de Prévention du Suicide à Bruxelles et Un Pass dans l’Impasse en Wallonie. Des professionnels y accompagnent directement les personnes en difficulté. À côté de ces deux organismes, il manquait un outil capable d’aider les adultes qui entretiennent des liens privilégiés avec les jeunes, dans quelque contexte que ce soit, à être des soutiens de première ligne aux jeunes en difficulté. Ces adultes sont les enseignants, les éducateurs, les directeurs d’établissements scolaires, les animateurs sportifs, les responsables de centres d’hébergement…

C’est pourquoi la Fédération Wallonie-Bruxelles a décidé de subventionner la mise en place du site Internet http://www.preventionsuicide.info. Le fait que ce site ait été réalisé par des professionnels tels que le Centre de Prévention du Suicide, Un Pass dans l’Impasse et Éduca Santé en fait un outil formidable.

Le but de ce nouveau dispositif est de répondre au questionnement d’un adulte confronté au mal-être d’un jeune, ce dernier ne réalisant parfois pas son état de mal-être. Or, pour pouvoir réagir et être un soutien de première ligne, il faut être en mesure de décrypter les mécanismes psychologiques en œuvre chez une personne en crise. Le portail informe donc sur ce que peut être le comportement d’un adolescent qui se trouve dans une perspective de suicide ou de risque de suicide.

Le site n’a évidemment pas été créé pour faire le travail à la place du Centre de Prévention du Suicide et du Pass dans l’Impasse. Mais rien n’empêche les adultes à qui le site est destiné de prendre éventuellement contact avec un de ces deux organismes en cas de besoin.»

Cette table ronde visait à repréciser les connaissances actuelles sur la problématique du suicide et le processus suicidaire, ainsi que les stratégies de prévention. Elle avait aussi pour but de présenter les recommandations proposées par le groupe d’experts et d’ouvrir un débat autour de celles-ci avec les personnes présentes.

«Le débat a tourné autour d’actions importantes destinées, entre autres, à combattre la méconnaissance persistante du phénomène suicidaire, à outiller, former et informer les adultes confrontés au mal-être des jeunes qu’ils côtoient, à renseigner ces mêmes adultes sur le rôle qu’ils peuvent jouer, avec qui ils peuvent collaborer…

À l’issue des travaux de la table ronde, nous avons remis un rapport à la ministre sur base duquel elle a défini deux priorités en cohérence avec ses compétences: d’une part, travailler auprès des médias pour que les journalistes prennent conscience de l’impact du traitement de l’information sur la survenue des suicides par imitation et d’autre part, sensibiliser, informer et former les adultes proches des jeunes quant à la problématique du suicide. Afin de rencontrer ces deux priorités, il a été demandé à Éduca Santé de réaliser une brochure à l’intention des adultes proches des jeunes. Nous avons très rapidement cerné les limites d’un tel support, c’est pourquoi nous avons choisi le support Internet. Nous avons plus particulièrement opté pour le ‘Portail de la prévention du suicide de la Fédération Wallonie-Bruxelles’ car il a pour vocation d’être une porte ouverte sur de l’information, des actions et des recommandations formulées par des acteurs en Belgique et dans le monde. Le site donne la possibilité de mettre à jour les connaissances et de mettre en évidence les orientations de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ainsi que les actions qu’elle soutient. Cela donne, d’une manière assez synthétique et simple à comprendre, je l’espère, des informations complètes, cohérentes et pertinentes sur la question du suicide

(1) Éduca Santé, l’OMS et l’École de Santé Publique de l’ULB collaborent depuis de nombreuses années sur la problématique de la prévention du suicide.