Juin 2019 Par Colette BARBIER Stratégies

Le 26 février dernier, Similes Wallonie et Psytoyens ont tenu, à Namur, un colloque sur la participation en santé mentale. Tout au long de la journée, le point sur les pratiques participatives et leur évolution a pu être fait devant 150 professionnels et acteurs de la réforme des soins de santé mentale. Il y a lieu de se réjouir devant les progrès réalisés : la participation des usagers et des proches a bien commencé. Des obstacles doivent cependant encore être levés, les plus tenaces semblant venir des professionnels de la santé. Rien d’étonnant à cela si l’on regarde l’évolution des mentalités qu’exige une telle participation…

Participation en santé mentale et Réforme 107 : où en sommes-nous ?

La participation des usagers et des proches en santé mentale est donc bien devenue réalité, même s’il reste du chemin à faire pour qu’elle soit parfaitement intégrée dans les mentalités. Un bref parcours de l’histoire de la folie, guidé par Christiane Bontemps, directrice du Centre de Référenceen Santé Mentale (CRéSaM), montre qu’il n’a pas été évident du tout d’en arriver là où nous sommes aujourd’hui, à savoir considérer le patient et ses proches comme des partenaires de soins.

Ainsi, durant le Moyen-Âge et jusqu’au 15ème siècle, la folie relevait de la pensée philosophique et de pratiques magiques, mais pas de la médecine. En vertu de « l’Edit royal du Grand renfermement », les « fous » furent ensuite mis sur le même pied que les criminels et enfermés dans un même lieu. Les malades mentaux étaient davantage maltraités que les criminels et réduits à des conditions pires que celles des animaux.

Avec la naissance de la psychiatrie au 19ème siècle, qui considérait la folie comme une maladie mentale nécessitant un traitement propre et particularisé, le malade est devenu un sujet social.

L’arrivée des médicaments au milieu du 20ème siècle a radicalement bouleversé l’univers des soins au profit des traitements ambulatoires et de la remise en question de l’asile.

Mai 68 fut marqué par les mouvements antipsychiatriques et par une résistance à l’aspect répressif de la psychiatrie. Cela a donné lieu à une diversification des soins : une place fut ainsi faite aux enfants et à la prévention. Les soins ambulatoires ont fait leur apparition avec la création de centres de santé mentale, de maisons d’habitations protégées, de centres de jours, etc. Des associations d’usagers et de familles ont vu le jour.

La place et la participation des usagers ainsi que de leurs proches est progressivement devenue une réalité au cours du 21ème siècle. Cette belle évolution a demandé la création d’espaces de dialogue et d’écoute réciproque tant au niveau de la relation de soins et des institutions que sur le plan politique.

Citons l’exemple de l’Institut wallon pour la santé mentale – devenu le Centre de Référence en Santé Mentale (CRéSaM) – qui lors d’une réunion de l’ensemble des acteurs de santé mentale de la Région, en 2003, a souhaité faire une place aux usagers et aux familles. Similes, qui représentait les familles, fut invité. Comme rien n’existait encore dans la Région au niveau des usagers, Psytoyens a vu le jour. C’est ainsi que, depuis 15 ans, Psytoyens et Similes sont assis à la table des acteurs wallons de santé mentale.

La participation des usagers et des familles a franchi un nouveau cap lors du dernier renouvellement du conseil d’administration du CréSam en juin 2018, avec, pour la première fois,Similes Wallonie et Psytoyens, représentés non pas par leur coordinatrice mais bien par un usager et un proche.

D’autres associations et services ont également ouvert leurs portes aux associations d’usagers et de familles, même si les initiatives restaient encore très locales et relativement isolées.

La solidarité entre pairs, le soutien procuré au sein des associations et la formation ont permis aux représentants d’usagers et de proches de se faire petit à petit leur place et, avec les autres acteurs, de porter leurs messages à l’attention de la population, des institutions et des organes politiques.

Enfin, au niveau fédéral, en 2007, le SPF déclarait officiellement son soutien au « Projet participation des représentations des usagers et de leurs familles » qui a débuté avec les projets thérapeutiques. L’objectif était d’améliorer la représentation des familles et des usagers à l’organisation des soins de santé mentale et d’accroître cette représentation au niveau politique.

La Réforme 107

A partir de 2010, le « projet participation » s’est poursuivi dans le cadre de la réforme des soins en santé mentale, appelée Réforme 107. En cours depuis 2011, la réforme cible actuellement la prise en charge de la personne malade dans son milieu de vie, quel qu’il soit, et veille à la continuité des soins par un travail en réseau des différents acteurs concernés, y compris le malade et son entourage. La famille est désormais envisagée comme un partenaire de soin indispensable et complémentaire aux soignants.

Quatre associations de proches et d’usagers sont mandatées par le SPF Santé publique pour participer à la Réforme 107 : Similes Wallonie (en concertation avec Similes Bruxelles), Similes Vlaanderen, Psytoyens et UilenSpiegel. Ces quatre associations sont aidées par deux partenaires scientifiques : le Centre de recherche et de consultation en soins de santé (LUCAS, KU Leuven) et l’Agence interrégionale de guidance et de soins (AIGS).

Dans le cadre de ce mandat, les quatre associations de proches et d’usagers donnent chaque année leurs recommandations pour améliorer la prise en charge des usagers et des proches au sein des différents réseaux créés dans la cadre de la Réforme 107.

Même s’il y a encore du pain sur la planche, on le voit, la participation se traduit plus concrètement dans les faits. Il reste aux professionnels à partager davantage sur leur savoir et à communiquer dans un langage accessible à tous.

Similes, du côté des prochesClaire Van Craesbeeck, psychologue et responsable de projet chez Similes Wallonie, le confirme : la réforme des soins en santé mentale est une avancée de taille pour les usagers, les proches et les associations qui les soutiennent. « La reconnaissance de la famille comme partenaire de soins est au cœur de ce que nous défendons chez Similes et que nous essayons de faire essaimer dans les réseaux sous différentes formes. Dans le cadre de la réforme, Similes s’est vu octroyer un mandat pour former des représentants de familles. Ceux-ci sont désormais aux côtés des professionnels pour discuter de l’organisation des soins dans les réseaux. »

Tout n’est pas pour autant facile depuis la réforme. « Entre l’esprit de la réforme, la manière dont elle s’organise et les avancées sur le terrain, certaines choses vont moins bien. Comme la réforme a été instituée en haut et que les progrès doivent prendre forme en redescendant sur le terrain, des changements prennent du temps pour se réaliser. Ainsi, si certaines familles sont associées pleinement aux soins envers leur proche, d’autres souffrent encore parfois de ne pas être suffisamment reconnues comme partenaires de soins, voire d’être exclues du soin ou écartées de leur proche malade. Des familles se disent associées mais de manière maladroite. »

Or, les familles peuvent apporter beaucoup, notamment en termes d’efficacité. Pour cela, elles ont besoin d’être suffisamment informées sur la pathologie, le traitement, l’évolution et les rechutes possibles, les comportements à adopter ou à éviter. Elles apportent également des informationsutiles , notamment sur la situation vécue en famille et sur les effets des médicaments. « Si on ne les associe pas, elles ne pourront pas être efficientes sur le terrain », déplore Claire Van Craesbeeck.

Il semble que les associations d’usagers et de familles ne soient pas toujours sur la même longueur d’onde. « Par exemple, il arrive qu’une association d’usagers revendique le droit des usagers à s’opposer à la participation de leur entourage. Bien sûr, mais il n’est pas pour autant nécessaire de juger ni de bannir la famille. Des explications peuvent être données aux proches, ou relayées vers des associations de familles qui se chargeront de les accompagner dans leurs difficultés. »

Par ailleurs, il n’est pas évident pour Similes de recruter des proches qui deviendront des représentants au sein de la réforme. « Ils vont être amenés à défendre le point de vue de tous les proches et pas leur seule opinion. Par ailleurs, ils sont souvent déjà bien occupés par leur vie professionnelle. Et prendre soin d’une personne malade au sein de la famille est très prenant. Il leur est donc difficile de trouver du temps pour s’investir dans une association comme Similes. »

Psytoyens, du côté des usagers

Même son de cloche du côté de Psytoyens : « La réforme constitue un grand progrès, même si on se rend compte qu’il reste encore beaucoup de travail, explique Angélique Vrancken, coordinatrice et chargée de projet chez Psytoyens. Le fait que les usagers de la santé mentale participent à des réunions aux côtés de professionnels et sont donc davantage entendus qu’auparavant, c’est une grosse évolution. Un changement dans les mentalités s’amorce. Par rapport à une dizaine d’années auparavant, l’amélioration est même assez importante. » Le ressenti des usagers sur le terrain diffère néanmoins selon les régions.

« Des institutions et comités de réseaux sont plus avant-gardistes que d’autres et ont plus facilement donné la place aux usagers de la santé mentale. Mais on ressent encore de la réticence dans certains lieux. »Les blocages quant à la participation des usagers dans les soins semblentdûs à la peur et à la stigmatisation de la maladie mentale. « Des retours de terrain indiquent que certaines pathologies, notamment les psychoses, font peur car il est difficile de comprendre de quoi il s’agit, d’autant plus qu’il n’y a pas vraiment de signes physiques », témoigne encore Angélique Vrancken.

D’autre part, il n’est pas évident pour tous les professionnels d’accepter un tel changement de mentalité. « Le fait de dire aux professionnels que les usagers et proches ont droit à la parole peut être vécu comme une remise en cause de leur pratique médicale. Cela peut donner le sentiment que l’on va venir leur dire comment faire leur travail. L’histoire de la psychiatrie montre combien ce domaine est compliqué, à quel point les stéréotypes sont importants et ont la vie dure. Cela explique pourquoi l’évolution est aussi lente. Un gros travail de sensibilisation reste à faire. Heureusement, des représentants de Psytoyens sont souvent invités dans des écoles pour sensibiliser les futurs assistants sociaux et éducateurs à la participation des usagers dans les soins. On voit bien que ce travail porte ses fruits auprès des jeunes diplômés ces dernières années. Ils montrent moins d’a priori et de craintes. ça facilite l’amorce du changement. »

En route vers la pair-aidance

L’accent est également mis sur la pair-aidance, qui peut constituer un facteur de progrès important, car elle est caractérisée par la participation de tous : usagers, proches et professionnels, cela au profit de tous.Du côté des patients, le principe de la pair-aidance repose sur l’entraide entre personnes en souffrance ou ayant souffert d’une même maladie. Le partage du vécu de la maladie et du parcours de rétablissement constitue les principes fondamentaux de la pair-aidance. Il s’agit d’une valeur sûre du rétablissement dans le domaine de la santé mentale, de la précarité et des addictions.

La pair-aidance entre proches permet également le partage d’expériences et de connaissances, tout comme la sensibilisation des professionnels à la problématique des proches. Elle encourage les pratiques plus collaboratives. La pair-aidance entre proches peut par ailleurs mener à des interpellations au niveau politique.

Enfin, pour les professionnels, la pair-aidance apporte un point de vue complémentaire et relève de la reconnaissance du savoir expérientiel à côté du savoir académique. Dans l’esprit de la Réforme 107, la pair-aidance encourage les professionnels à voir le patient comme un partenaire. Cette pratique devrait donc les aider à faire un pas de plus vers la participation. Un pas très attendu par les usagers et les proches…

Informations supplémentaires : Le compte-rendu du colloque peut être consulté sur le site de Similes, onglet « Participation ».Contacts : Similes WallonieRue Lairesse 154020 LiègeTél. : 04/344 45 45Similes BruxellesRue Malibran 491050 BruxellesTél. : 02/511.06.19Site internet pour Similes Wallonie et Bruxelles : www.similes.orgPsytoyensChaussée des Prés 42-444020 LiègeTél. : 0491/89 17 84Site internet : www.psytoyens.beCRéSamBoulevard de Merckem 75000 NAMURTél. : 081/25 31 40Site internet : www.cresam.beLigue des usagers des services de santé (LUSS)Site internet : www.luss.beLUSS BruxellesRue Victor Oudart 71030 SCHARRBEEKTél. : 02/734 13 30LUSS LiègeRue de la Sation 484032 CHENEETél. : 04/247 30 57

Livre blanc

Georges Legros, membre de Similes Wallonie et représentant de Similes au Réseau 107 de Namur, rappelle qu’en 2004, un livre blanc a été édité par Similes. Consacré au vécu de familles de personnes atteintes de troubles psychiques entre 1982 et 2001, cet ouvrage, qui entendait prôner la participation des proches aux soins, montrait à quel point on était encore loin du compte.Malgré d’heureuses évolutions çà et là, l’accueil, la communication et les rencontres dans le milieu hospitalier s’avéraient insatisfaisants. Les proches ne se sentaient ni reconnus ni soutenus dans leur désarroi et leur souffrance, ainsi que dans leur rôle d’acteur auprès du patient, et donc de partenaire potentiel des soins. Au contraire, la famille, considérée comme toxique, était soupçonnée d’être la source du mal avec une responsabilité particulière attribuée à la mère.Au niveau collectif et institutionnel, où se joue l’élaboration d’une politique des soins, la participation des proches était pratiquement nulle. Aucun lieu n’était prévu à cet effet, que ce soit dans les hôpitaux ou au Ministère de la santé. Si les soignants et les proches visaient le même objectif, celui du rétablissement du patient, de grands obstacles empêchaient la participation des proches : côté soignant, la formation n’accordait pas de place au malade en tant que partenaire, ni à son entourage. Le médecin avait davantage affaire à des maladies qu’à des malades. Ainsi, on parlait de « patients » et non pas d’usagers. Certaines lois et règles déontologiques – comme le secret professionnel, les droits du patient oula protection du colloque singulier – pesaient plus en santé mentale qu’ailleurs. Des obstacles existaient également du côté du patient : la culture générale de la société était plus orientée vers la soumission aux autorités et aux compétences qu’à la revendication d’une participation égalitaire. D’autre part, les familles étaient souvent paralysées par un grand sentiment d’isolement et d’impuissance, voire de culpabilité devant des pathologies mal connues et lourdement stigmatisées. Autres difficultés : certaines spécificités de la maladie mentale qui modifient profondément les liens ordinaires avec l’usager, un déni fréquent de la pathologie et un refus des soins, une vision perturbée du réel, des reproches ou accusations adressés à l’entourage de sorte que le dialogue et la collaboration deviennent difficiles même avec le premier intéressé. Tous ces éléments contribuaient à installer ou à conforter chez beaucoup de proches une tendance à passer le relais aux professionnels compétents.Une évolution favorable a, fort heureusement, pu se faire grâce à deux facteurs. D’une part, la création de certaines associationspour les proches, comme Similesa permis de faire entendre la voix des familles aux soignants et aux responsables politiques. Ces associations ont aussi permis aux familles de sortir de l’isolement, d’échanger entre elles, de recevoir des informations et des formations en psychoéducation. D’autre part, les autorités publiques ont décidé d’associer d’emblée des usagers et des proches à leur Réforme 107 en donnant un mandat explicite à leurs associations représentatives, de sorte que, comme le montrera la suite, c’est paradoxalement par le niveau collectif et institutionnel qu’a commencé à s’inscrire dans les faits un partenariat qui avait été souhaité d’abord dans les pratiques de soins.

L’internement, une mesure inhumaine

Le colloque a été l’occasion de rappeler combien le sort des personnes hospitalisées dans le cadre de la loi de défense sociale donne à penser qu’il relève de pratiques inhumaines. Un usager, Johan, est venu témoigner de son internement qui l’a fortement marqué sur le plan psychologique. Il a pu se reconstruire grâce à la participation. « Je me suis retrouvé interné à Lantin, stabilisé grâce au traitement en annexe psychiatrique, raconte Johan. Quand on y entre, on comprend vite qu’il faut s’en sortir car on n’est plus personne. Le système carcéral gomme toute marque de singularité, de personnalité. J’avais beaucoup de colère en moi. Heureusement, ma famille et mes amis m’ont apporté un grand soutien. Mes proches ont suivi le module de psychoéducation Profamille, qui fournit des outils pour les aider et m’aider également. Cela leur a permis de moins culpabiliser, ils étaient plus armés à vivre cette situation très compliquée. J’ai construit mon projet de sortie avec un avocat spécialisé. Le fait que je sois stabilisé m’a aidé dans mes démarches. J’ai été libéré à l’essai mais pas encore de façon définitive. J’ai encore une épée de Damoclès au-dessus de la tête… J’ai eu la chance de retrouver mon ancien emploi. Je me reconstruis mais la lourdeur administrative est toujours là. Je dois me présenter devant la Commission de défense sociale tous les six mois. Aujourd’hui, si je pouvais effacer mon casier judiciaire, je serais l’homme le plus heureux sur terre. »