Avril 2006 Par Bruno VANKELEGOM Martine BANTUELLE P. MOUYART Réflexions

Participation et pratiques communautaires en santé: où en sommes-nous? L’Institut Renaudot (1) se penche sur la question et souhaite mettre en discussion sa conception de la participation avec celle des acteurs impliqués dans les démarches communautaires en santé pour déconstruire et reconstruire collectivement ce concept.
Les 9 et 10 juin 2006, l’Institut Théophraste Renaudot (ITR), organisera ses 4èmes Rencontres sur le thème de la «participation». Son souhait est de construire ces Rencontres au départ des questions que se posent les acteurs de terrains. Les objectifs fixés au travers de cet événement sont:
-d’observer les réalités et comprendre les enjeux que recouvre le concept de participation en santé;
-de discuter des attentes qu’ont, en matière de participation, les acteurs intéressés ou impliqués par la santé communautaire;
-de repérer les leviers et les freins à la participation;
-de débattre des évolutions attendues en matière de participation dans les actions communautaires;
-de dégager des propositions pour aider à conforter la participation en santé.
Pour la construction de ces Rencontres, l’ITR a souhaité mettre en application le concept de participation en impliquant des acteurs de terrain (Ile de France, Lyon, Mulhouse, Nord-Pas-de-Calais et Belgique), lors des différentes étapes de préparation.
Sur le territoire de la Communauté française de Belgique, l’asbl SACOPAR (Santé, Communauté, Participation), qui collabore depuis plusieurs années aux travaux de l’ITR, a proposé de participer à la préparation de ces Rencontres. Elle a ainsi rencontré des acteurs de terrain, synthétisé et transmis leurs réflexions, et participe maintenant activement au comité scientifique, chargé de l’organisation de l’événement.
Cet article a pour objectif de présenter une synthèse des rencontres organisées en Communauté française (quelles sont les questions que se posent les acteurs de terrain sur le concept de «participation»?) et la manière dont les acteurs continuent d’être impliqués dans l’organisation de ces Rencontres.

Méthode de consultation

Les éléments qui suivent ont été recueillis sur base de deux groupes focalisés qui ont réuni 7 et 3 personnes et sur base de questionnaires remplis par 10 personnes. Le guide d’entretien (pour les groupes focalisés) et un questionnaire type, élaborés par l’ITR, ont été utilisés sur l’ensemble des territoires couverts, afin de garantir une certaine cohérence et de faciliter le travail de synthèse des données recueillies.
Les acteurs interrogés (2) étaient issus de différents secteurs: la santé communautaire mais également l’éducation à l’environnement, l’intégration des personnes d’origine étrangère, les organisations de jeunesse, l’éducation permanente… Ce choix a ainsi permis de croiser les questions que pose une même démarche (la participation) auprès d’intervenants de secteurs différents, impliqués dans des processus participatifs.

Résultats

L’ensemble des informations recueillies a permis de regrouper les interrogations des acteurs en trois catégories: l’implantation d’une démarche participative, le sens de celle-ci et ses aspects éthiques.

Questions en lien avec l’implantation d’une démarche participative

En ce qui concerne l’implantation d’une démarche participative, beaucoup de questions se rapportent à la mobilisation , qui doit être comprise comme une implication personnelle s’inscrivant dans la durée:
-comment faire pour mobiliser?
-à partir de quand peut-on réellement parler de participation: définition, concepts…?
-y a-t-il des méthodes différentes en fonction des publics: jeunes, adultes, personnes d’origine étrangère… et en fonction de l’âge de ces publics?
-comment assurer la participation des usagers à la définition des programmes?
-comment évaluer l’impact d’une action participative sur un public donné qui a participé à sa mise en œuvre? Qu’est-ce qui peut permettre d’observer ces effets-là?
-comment maintenir une dynamique participative citoyenne sur une durée moyenne de 3 ans?
D’autres questions concernent la forme que peut prendre la participation:
-la participation doit-elle être formelle ou informelle?
quelle doit être la place de l’aspect ludique dans la démarche?
Beaucoup de questions en lien avec la communication sont également formulées:
-comment restituer à une population la synthèse des données recueillies auprès d’elle?
-comment bien faire circuler l’information? Faut-il des outils adaptés aux publics?
Enfin, d’autres questions, d’ordre méthodologique, concernent la gestion du groupe participatif et de ses demandes:
-comment faire émerger les attentes et besoins d’une population qui n’a pas l’habitude de s’exprimer comme les professionnels l’entendent (habitudes intellectuelles, niveaux de discours différents)?
-que faire ensuite avec les attentes et besoins exprimés?
-comment articuler un diagnostic participatif avec une programmation stratégique (mise en place d’actions permettant de répondre aux attentes exprimées, avec une implication permanente des usagers)?

Questions en lien avec le sens de la démarche

Les acteurs de terrain, au-delà des questions pratiques de mise en place de processus participatif, s’interrogent sur le sens de cette démarche:
-dans le contexte actuel prônant davantage les attitudes individualistes, comment l’action communautaire peut-elle favoriser l’émergence d’actions collectives ayant une certaine continuité?
-comment et pourquoi faire le passage de la participation dans un groupe à une participation plus «politique» visant le changement social?
-si je suis un opérateur privé, quelle place est-ce que je peux occuper, surtout par rapport aux pouvoirs publics? Que dois-je faire pour mobiliser également le monde politique (cogestion de la démarche participative)?
-qu’est-ce qui motive la participation des gens: des questions d’intérêt collectif ou personnel?
-quels sont les enjeux de la participation en fonction du niveau où je me situe: population, élus ou professionnels?

Questions en lien avec les aspects éthiques

La participation pose également des questions éthiques aux acteurs de terrain:
-les gens souhaitent-ils vraiment participer ou est-ce une lubie des professionnels en santé communautaire?
-les professionnels ne peuvent-ils exprimer eux-mêmes les besoins des habitants puisqu’ils entendent ce que ceux-ci disent?
-les démarches participatives ne risquent-elles pas parfois de faire en sorte que les habitants soient «instrumentalisés» par les politiques ou par les chargés de projets? N’existe t-il pas une forme de participation citoyenne spontanée qu’il serait alors utile de renforcer et d’outiller?
-comment gérer le paradoxe de la participation (idéalement spontanée) lorsque celle-ci est suggérée par les pouvoirs subsidiants (à la limite de l’imposition)?

Les Rencontres de l’Institut Renaudot: quels souhaits…

Les acteurs de terrain expriment tout d’abord un besoin d’échanger sur différents sujets:
-découvrir des projets où la participation des personnes est perçue dès le départ (penser le projet et le co-construire);
-découvrir des expériences en termes de projets aboutis, de diagnostics, de restitution d’évaluation… Entendre l’analyse d’expériences réussies et ratées;
-découvrir des outils, des réflexions sur les nouvelles formes de participation;
-échanger sur des méthodologies ou expériences conduisant à l’autonomisation des groupes (notamment dans le cadre d’activités conviviales et festives qui permettent de développer et de maintenir la cohésion du groupe mais qui sont également dévoreuses de temps);
-découvrir des projets qui développent l’estime de soi des individus par des actions collectives;
-découvrir comment créer des espaces de discussion dans lesquels la participation permet de trouver un équilibre entre d’une part la délégation de pouvoir (qui peut donner aux habitants le sentiment de pouvoir se décharger) et d’autre part le poids du discours des experts (qui remplace la parole des gens);
-découvrir quelle est la valeur ajoutée de la participation.

…et quelles attentes pour ces Rencontres?

Repartir avec des recommandations du type «pour avoir une participation effective, il faut….».
Avoir pu identifier les besoins minimum à mettre en place (ex.: quelles personnes mobiliser, quel encadrement mettre en place, quel moment choisir?…).
Trouver un espace de réflexion où les questionnements et problèmes rencontrés par les uns pourront déboucher sur des pistes de solutions voire des solutions au travers de l’expérience, des outils et de la méthodologie des autres, et où il sera possible de confronter les concepts et perceptions de chacun afin de faire évoluer les projets.
Repartir avec des contacts , des possibilités de collaboration, des pistes d’actions futures.

Co-construction des Rencontres

Analyse globale

Après ce travail de recueil de données, une synthèse a été transmise à l’ITR pour être intégrée dans une analyse globale, incluant les attentes et besoins exprimés par les acteurs de terrain des autres territoires couverts. Il est frappant de constater une grande similitude dans les préoccupations de chacun, quel que soit le territoire et le secteur d’activité. Les questions fondamentales que pose le concept de «participation», s’avèrent transversales à l’ensemble des secteurs interrogés.

Comité scientifique

Ensuite, pour continuer le travail de préparation des Rencontres au travers d’un processus participatif, l’ITR a constitué un Comité scientifique qui regroupe des experts des démarches de santé communautaire et des représentants des différents territoires ayant participé au recueil des attentes et besoins des acteurs de terrain.
Ses missions sont:
-aider à élaborer un contenu cohérent avec les attentes des acteurs et la volonté de l’ITR;
-être ressource pour intervenir, rechercher des intervenants et mobiliser les réseaux associatifs et institutionnels;
-aider à élaborer une démarche pédagogique pertinente.
Les membres de ce comité sont également chargés, par des allers-retours, d’alimenter la préparation des Rencontres avec les réactions et suggestions formulées par les acteurs locaux. Sur la Communauté française, un groupe d’une quinzaine d’associations se rencontre ainsi entre chaque réunion du Comité scientifique pour faire des propositions qui sont ensuite présentées lors de la réunion suivante.
Dans un prochain article, nous présenterons la suite de l’organisation des 4èmes Rencontres de l’Institut Renaudot.
Martine Bantuelle (SACOPAR), Bruno Vankelegom (SACOPAR), Philippe Mouyart (CLPS de Charleroi-Thuin)
Pour plus d’information sur cet événement, vous pouvez contacter l’asbl Santé, Communauté, Participation, Boulevard du Midi 25/5, 1000Bruxelles. Tel: 02 514 40 14 ou 071 30 14 48. Fax: 02 514 40 04 ou 071 31 82.11. Courriel: info@sacopar.be
(1) Fondé en 1982, l’Institut Théophraste Renaudot a pour objectif principal de contribuer à la promotion de la santé, notamment au travers des pratiques communautaires. Adresse: 40 rue de Malte, 75011, Paris. Tél/fax: 00 33 (0)1 48 06 67 32. Site internet: http://renaudot.free.fr
(2) Maison Pour Associations (Charleroi), Centre Régional d’Intégration (Charleroi), Boutique Ener’J (Charleroi), Carolo Prévention Santé (Charleroi), Centre Local de Promotion de la Santé (Charleroi), Service de cohésion sociale et accueil extra scolaire de l’administration communale de Forest, Espace environnement (Charleroi), Infor Santé/Mutualité Chrétienne (Anderlues), ULB-IGEAT/Unité de Développement Territorial et Local, Femmes Prévoyantes Socialistes (Charleroi), Mouvement des Jeunes Travailleurs (Charleroi), Espace citoyen du CPAS de Charleroi (Dampremy), Les Pissenlits (Bruxelles), Intergroupe Liégeois des Maisons Médicales, Le Méridien (Bruxelles), Entr’Aide des Marolles (Bruxelles).