Trop peu de mères allaitent en Wallonie, et la majorité n’allaitent pas assez longtemps. Décrire la situation de l’allaitement en abordant différentes dimensions offre une lecture et un éclairage permettant de mieux comprendre les raisons d’une situation épidémiologique parmi les moins favorables des pays à hauts revenus.Afin de pallier le manque de données représentatives de l’allaitement maternel à l’échelle régionale, un module d’une vingtaine de questions sur le sujet a été introduit dans les enquêtes de couverture vaccinale (ECV) ayant lieu en Wallonie et à Bruxelles et qui portent sur les enfants de 18 à 24 mois. Au-delà de quelques données épidémiologiques qui balisent l’article, la réflexion portera essentiellement sur les principales raisons qui pourraient expliquer des taux et durées d’allaitement parmi les plus bas des pays ou régions à hauts revenus. Un bref éclairage historique permettra de constater que l’allaitement a toujours été sous influences multiples. L’hypothèse que celui-ci n’a jamais véritablement été, parmi la population autochtone, un comportement profondément inscrit dans la culture peut clairement être posée. Par ailleurs, les diverses « emprises » que l’allaitement maternel subit, que celles-ci soient médicale, féministe, maritale, politique… ne laissent pas suffisamment la place à une information objective, scientifique et rigoureuse. En 2012 et 2015, ces enquêtes qui portaient sur plus de 520 familles montrent que le sevrage est plus souvent subi que désiré, que celui-ci est souvent dû à des problèmes directement liés à l’allaitement (engorgement, douleurs, perception de manque de lait entre autres), ce qui laisse supposer une prise en charge non adéquate ou non efficace des diverses difficultés rencontrées. Par ailleurs, l’information reçue par les professionnels de santé en la matière est lacunaire.
Moins de 12% des enfants allaités exclusivement pendant 6 mois
Alors que dans certains pays nordiques l’allaitement dépasse 95%, en Wallonie celui-ci est initié par 82% des mères. Une diminution significative est observée entre l’allaitement à la naissance et à la sortie de la maternité puisque celui-ci chute à 77% (et de 74% à 69% pour l’allaitement exclusif). En Wallonie, seuls 12% des enfants sont allaités exclusivement à 6 mois, durée pourtant recommandée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Le pourcentage de mères qui allaitent ainsi que les durées d’allaitement sont en Wallonie, et de façon générale, en Belgique, parmi les plus faibles des pays à hauts revenus (1,2).
Depuis un certain nombre d’années, des efforts sont réalisés dans notre pays, notamment au travers de l’Initiative Hôpital Ami des Bébés (IHAB). Cette stratégie élaborée en 1992 par l’OMS et l’UNICEF en vue d’améliorer les taux d’allaitement maternel partout dans le monde a été initiée en Belgique en 2002. À ce jour, 23% des sites de maternités sont labellisées en Belgique. Dans le sud du pays, ce sont 25% des enfants qui naissent dans l’une de ces maternités.D’après les enquêtes de couverture vaccinale, les caractéristiques des parents qui initient plus fréquemment l’allaitement exclusif sont cohérentes par rapport à la littérature scientifique internationale (3) : notamment, un niveau d’études supérieur des parents, une nationalité étrangère, le fait d’avoir un emploi, un conjoint soutenant, le fait d’être primipare… . Il en est de même pour les paramètres liés à la naissance, comme le fait d’être né par voie basse ou à terme qui sont associés positivement à l’allaitement. En ce qui concerne la durée, le profil des mères qui allaitent plus longtemps est assez proche de celui décrit par ailleurs, par exemple être multipare, être de nationalité étrangère, avoir un congé de maternité prolongé par un congé parental (4), mais aussi ne pas avoir introduit de compléments lactés à la maternité. La littérature regorge d’analyses épidémiologiques à propos de ces différents facteurs ou prédicteurs des différents modes d’allaitement (exclusif, total, complété), les données wallonnes et bruxelloises ont été discutées dans différents articles publiés précédemment (3–5). Connaître ces différents facteurs de risque permet de mieux cerner les sous-groupes de la population plus à même de ne pas adopter le comportement attendu et devrait donc permettre par la même occasion de mieux cibler la population sur laquelle devrait porter les messages de promotion de l’allaitement. Oui, mais … en Belgique, il semblerait que nous n’en soyons pas encore là !
Trop peu d’informations dispensées aux (futures) mamans
Près de 53% des mères déclarent avoir été informées par un prestataire de soins sur les avantages de l’allaitement pour l’enfant à naître et 42% sur les avantages pour elles. Or, la littérature internationale (5) et nos données antérieures (3,5) démontrent que le fait de connaître les avantages mais aussi d’avoir pris tôt la décision d’allaiter, et si possible avant même la grossesse, sont gages de fréquence et de durée d’allaitement plus importantes. De façon générale, les données récoltées en 2012 montrent le trop peu d’informations reçues sur le sujet pendant la période prénatale. L’information est plus fréquente et ceci de façon statistique quand les mères ont été suivies par une sage-femme plutôt que par un gynécologue. En Wallonie, pourtant, le gynécologue est de loin le prestataire de soins le plus consulté pendant la grossesse. Dans le même ordre d’idées, alors que l’OMS recommande d’allaiter 6 mois exclusivement, selon les ECV, seules 20% des mères connaissent cet objectif. Les mères ayant accouché dans une maternité IHAB ne connaissent pas plus souvent cette durée « idéale » que celles ayant accouché dans une maternité non labellisée. Pourtant, les enfants sont allaités plus longtemps (6 mois) quand la mère connaît cette durée que dans le cas contraire (3.5 mois) (4).
Les mères suivies par une sage-femme pendant la grossesse ont une meilleure connaissance des durées idéales de l’allaitement et des avantages de celui-ci.
Manque de formation des prestataires de soins
À ce stade nous pouvons ébaucher plusieurs hypothèses pour expliquer ces données qui démontrent une faible transmission des connaissances sur le sujet entre professionnels et patientes, notamment avant l’accouchement. Les gynécologues pensent-ils qu’il n’est pas toujours de leur ressort de promouvoir l’allaitement, considèrent-ils suffisamment l’importance d’entamer la réflexion le plus tôt possible ? Ne pensent-ils pas trop souvent que la discussion pourra avoir lieu au moment même ou peu après la naissance de l’enfant ? Ceux-ci possèdent-ils suffisamment de temps lors des consultations prénatales pour faire la promotion de l’allaitement ? De façon générale, en Belgique francophone, contrairement à d’autres pays (Australie, Etats-Unis …) (6) ou régions (Québec…) (7), il n’existe pas de lignes directrices inter-professionnelles, ni a fortiori intra-professionnelles, en matière d’allaitement ni de promotion de celui-ci. Par ailleurs, les médecins ne sont pas suffisamment formés. Une étude flamande publiée en 2006 démontre le manque de connaissances des différents types de prestataires de soins qui ont un lien avec la dyade mère/enfant (entre autres : gynécologue, puéricultrice, travailleur médico-social, pédiatre…) (8). Ce même constat a été dressé il y a une quinzaine d’années déjà (9) et plus récemment dans le plan opérationnel du Plan nutrition santé (PNNS-B) (10). Il semble donc que les professionnels ne possèdent pas de connaissances suffisantes pour pouvoir promouvoir correctement l’allaitement, le soutenir et intervenir adéquatement en cas de difficultés, bien plus fréquentes qu’on ne le croit. Or, de façon générale en Belgique, « les mères se montrent en général très influencées par leur médecin » (9), alors qu’elles « sont peu souvent conscientes du fait qu’ils n’ont pas reçu de solide formation en matière d’accompagnement pratique de l’allaitement et qu’ils ont tendance à décourager la poursuite de celui-ci dès qu’il y a des difficultés, tout simplement parce qu’ils ne savent pas comment y remédier (9)».
Il n’existe pas en Belgique francophone de lignes directrices communes intra- ni inter-professionelles au sujet de l’allaitement maternel.
La moitié des mères ont rencontré des difficultés liées à l’allaitement
Avant leur premier accouchement, 47% des mères ont déclaré ne pas avoir eu conscience que l’allaitement est une pratique qui pouvait s’avérer douloureuse et parfois compliquée à mettre en place. Or la littérature montre que les mères qui sont averties de la possibilité de douleurs et difficultés liées à l’allaitement dépasseront plus facilement celles-ci si elles doivent y faire face.En 2012, l’analyse détaillée sur les raisons de sevrage a démontré que :
- les difficultés y compris la perception de manque de lait était responsable de près de 60% de sevrage avant que l’enfant ait atteint l’âge de 3 mois (11).
- la majorité des mères (plus de 60%) ont déclaré avoir eu le désir d’allaiter plus longtemps.
Ce constat ne doit pas être une fatalité puisque l’on sait qu’une prise en charge correcte à la maternité mais aussi à la sortie de celle-ci a un impact considérable sur la durée de l’allaitement. A contrario, sans aide adéquate, la plupart des mères sont amenées à sevrer leur enfant (12). Dans ce sens, une revue systématique de la littérature publiée en 2016 arrive à la conclusion que le soutien communautaire apparaît comme essentiel pour maintenir l’effet de l’IHAB sur la durée de l’allaitement (13). Or, en 2014, le Centre fédéral d’expertise de soins de santé (KCE) dénonçait l’existence d’ « un vide de soins » dans notre pays, malgré la mosaïque de possibilités de prise en charge (en général disparates et peu connues) (14).
Raccourcissement du séjour à la maternité : contrainte supplémentaire ?
Dans le cadre de la réforme du paysage hospitalier et du financement des hôpitaux, sept projets pilotes portant sur le thème « accouchement avec séjour hospitalier écourté » ont cours dans les différents hôpitaux sélectionnés (15). Ces projets pilotes prendront fin en 2018. Au terme de cette période, le gouvernement décidera quels aspects des projets seront introduits à plus grande échelle (16). Il reste à espérer qu’une fois le raccourcissement de séjour effectif, la prise en charge à domicile de la parturiente soit suffisamment efficace afin de réduire le nombre de mères sevrant leur enfant par manque de soutien approprié. En effet, il semble assez évident qu’un séjour hospitalier raccourci ne joue pas en faveur d’un meilleur soutien à l’allaitement maternel. La parturiente plus rapidement livrée à elle-même devrait trouver seule ou avec l’aide de ses proches des solutions en cas de nécessité. Par conséquent, si aucun programme de soutien n’est mis en place, le risque de ne pouvoir dépasser les difficultés liées à la montée de lait (engorgement, crevasses, entre autres), augmentera de façon drastique. Ce moment s’avère pourtant périlleux pour un nombre important de mères. Dans notre échantillon, plus de la moitié de celles-ci ont déclaré avoir rencontré des difficultés les premières semaines de vie de l’enfant.
Quelle culture de l’allaitement dans nos régions?
Un petit détour historique montre l’importance de la mise en nourrice aux 18ème et 19èmesiècles principalement en France (17) où cette pratique est massive et tardive (50% des enfants à Lyon en 1890) (17), et dans une moindre mesure en Belgique (18), ainsi que l’usage répandu du lait d’animaux pour la préparation de biberons. Ces pratiques trouvent notamment leur origine dans le fait que la religion catholique interdisait les relations sexuelles pendant la période de l’allaitement (avec l’effet d’une surfécondité chez les mères non allaitantes qui pouvaient avoir jusqu’à 8, 10 enfants à Lyon au 18 ème siècle). Autrement dit, dès que les moyens financiers le permettaient, l’enfant était placé en nourrice, parfois à plusieurs centaines de kilomètres des parents (17). Ces pratiques liées à la mise en nourrice et à l’usage du lait animal de qualité souvent médiocre (frelaté ou coupé d’eau douteuse (19) à une époque où la pasteurisation n’était pas connue (il a fallu attendre 1865) ont été responsables d’une surmortalité des enfants en bas âge jusqu’à la fin du 19ème siècle (17,18). En France, il a fallu attendre la première guerre mondiale pour voir la pratique de la mise en nourrice disparaître (17). L’usage des wet nurses a été nettement moindre en Angleterre et aux États-Unis où le modèle de la mère au foyer était dominant (17).Les premiers laits en poudre de qualité sont apparus en Europe dès la fin de la seconde guerre mondiale, période où le travail des femmes à l’extérieur du domicile a pris toute son ampleur. Le féminisme égalitariste avec Simone de Beauvoir comme chef de file, aura lui aussi joué un rôle néfaste pour l’allaitement. Celle-ci écrira en 1949 : « l’allaitement ne leur apporte aucune joie, au contraire, elles redoutent d’abîmer leur poitrine ; c’est avec rancune qu’elles sentent leurs seins crevassés, leurs glandes douloureuses, la bouche de leur enfant les blesse : il leur semble qu’il aspire leurs forces, leur vie, leur bonheur. Il leur inflige une dure servitude, et il ne fait plus partie d’elles : il apparaît comme un tyran, elles regardent avec hostilité ce petit individu étranger qui menace leur chair, leur liberté, leur moi tout entier » (20). A contrario, pour les féministes d’Outre-Atlantique, l’allaitement et la maternité, étaient considérés comme une manifestation de libération des femmes.Le nadir des taux d’allaitement du 20ème siècle a été atteint dans les années 1960. Epoque qui correspond à l’extension de la médicalisation de l’accouchement (à la veille de la seconde guerre mondiale 80% des accouchements avaient encore lieu à domicile) (18). Le biberon est alors vu « comme l’instrument de l’alimentation scientifique » (21) puisqu’il permet de mesurer de façon objective la quantité de liquide absorbé. Le paradigme pasteurien, dominant à l’époque, dans cette volonté de tout mesurer, tout quantifier, impose par le biais des médecins aux mères allaitantes la régularité des tétées ou les tétées à heures fixes comme règle absolue, quitte à devoir réveiller ou laisser le nourrisson pleurer, s’il désire des tétées complémentaires (22). Ces conditions qui ont été observées jusque dans les années 1980 (17) ne respectaient pas la physiologie de l’allaitement et nuisaient à la production lactée. Les mères n’arrivaient, par conséquent, pas à poursuivre l’allaitement ou le poursuivre de façon optimale.
Transmission des savoirs : modèle « savant » versus modèle « populaire »
Depuis les années 60, la diffusion des règles d’alimentation s’est principalement faite par les professionnels de santé, majoritairement masculins, dans un premier temps. Ceux-ci étaient détenteurs d’un savoir considéré comme légitime. La transmission des connaissances s’est faite selon un modèle que l’on peut définir de « savant » (21). Le corps médical reste encore à l’heure actuelle la principale source de transmission de connaissances en la matière. En Belgique, en 2003, le rapport de l’asbl Réseau Allaitement Maternel soulignait que « le médecin belge prend une place prédominante (…) pour ce qui concerne la naissance, les soins et l’alimentation des jeunes enfants. (9) » Les parents ne remettent pas en question le savoir médical (9). Le statut de médecin implique automatiquement une légitimation des conseils qu’il donne. En opposition à ce modèle de transmission « savant », le modèle « populaire » est basé sur une transmission familiale et intergénérationnelle (21). Ce mode de transmission est plus fréquent dans les populations allochtones. Dans un tel contexte où les comportements de maternage sont observés, les messages issus du discours savant ont moins d’impact et d’influence, tout particulièrement en matière de puériculture.
La religion : influence positive, influence négative…
Plus largement dans la culture arabo-musulmane, et juive aussi, l’allaitement a toujours été considéré comme un devoir sacré. La durée de l’allaitement est d’ailleurs recommandée, selon le Livre considéré, pour une période de 18 mois, 2 ans, 5 ans (Coran, Haddith, Torah). L’usage d’une nourrice est possible mais uniquement dans des conditions définies (décès ou maladie de la mère, jumeaux…). Dans le droit positif d’un certain nombre de pays arabo-musulmans, des dispositions légales sont consacrées à l’allaitement et à la mise en nourrice (prohibition de mariage entre frères et sœurs de lait y compris sur leur descendance… ) (23).
Un article publié en décembre 2016 démontre qu’au sein des pays occidentaux les plus densément peuplés de catholiques, les taux d’allaitement sont moins élevés (Irlande, France, Pologne, Belgique…). L’inverse est vrai pour les pays à majorité protestante (Suède, Danemark, Islande…) (24).
Ce constat se retrouve à l’intérieur même des pays où les taux d’allaitement sont inférieurs dans les provinces ou régions les plus catholiques (en France, Irlande, Canada) (24). Dans les années 60, à Bruxelles, la propagande pour l’allaitement semblait plus importante dans les maternités laïques que catholiques (25).D’après les différentes étapes historiques brièvement décrites jusqu’ici, on peut se poser la question de l’existence (ou plutôt de l’inexistence) d’un mode de transmission « populaire » dans la population autochtone. Encore aujourd’hui, la plupart des (futures) mères d’origine belges n’ont pas reçu conseils et recommandations de leur propre mère. Ces dernières n’ont pour ainsi dire pas allaité et ne peuvent être en conséquence des référentes en la matière. En France et en Belgique, le résultat se marque par une faible connaissance en matière d’allaitement tant dans la population autochtone que chez les praticiens, probablement parce que cette «culture de l’allaitement» n’a jamais été profondément ancrée dans les mœurs et par conséquent n’est jamais arrivée à contrer les différents « effets de mode » auxquels l’allaitement a dû et doit encore faire face.L’ensemble de ces diverses influences façonnent les normes socio-culturelles. Ces dernières influencent les choix individuels qui à leur tour renforcent les normes et les habitudes. Celles-ci cautionnent des comportements qu’on peut finir par ne plus questionner tellement ceux-ci apparaissent comme « normaux » (ex : le lait en poudre considéré comme la norme).
Trop peu de promotion de l’allaitement en Belgique
Un hiatus existe entre l’évidence scientifique de la supériorité du lait maternel et le manque de volonté de promouvoir l’allaitement. En effet, la promotion de l’allaitement doit encore trouver ses marques dans notre pays. Il existe aujourd’hui un paradoxe entre « la philosophie » de l’IHAB qui promeut l’allaitement à la maternité et le manque de prise en charge à la sortie de celle-ci ainsi que l’inexistence pour ainsi dire de promotion de l’allaitement dans la durée. La promotion de l’allaitement maternel doit devenir une affaire de responsabilité partagée par tous. Or à présent c’est un consensus mou que l’on observe par peur de culpabiliser les mères qui feraient le choix de ne pas allaiter. Par la même occasion, on observe une complaisance par rapport aux préparations pour nourrissons qui est en parfaite contradiction par rapport au Code International de commercialisation des substituts de lait maternel (1981) (28) et son application en Belgique par l’arrêté royal du 18/02/1991 relatif aux denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière.
Les sociétés commerciales de préparations lactées sont plus dynamiques et convaincantes pour imposer une image positive et favorable de leurs produits que ne l’est le secteur public pour promouvoir l’allaitement maternel.
« Dans une culture où le poids des règles imposées par l’alimentation artificielle est si fort » (29), où l’allaitement nocturne n’est pas discuté, où le besoin élevé de tétées est mal compris (et par conséquent mal vécu), où l’autonomie et l’indépendance des tout petits sont valorisées dès les premières semaines (l’enfant « doit » pouvoir faire ses nuits rapidement)…, les conditions nécessaires à une mise en route efficace de l’allaitement sont peu fréquemment réunies.La prévention reste la solution la plus adéquate mais nécessite :
- la prise de conscience de taux et durées inférieurs aux autres pays européens ou de l’OCDE ;
- la formation de tous les types de professionnels de l’enfance (médecins mais aussi puéricultrice, travailleuses médico-sociales…) afin d’éviter les messages contradictoires et contre-productifs dénoncés par les mères.
Trop souvent, comme le dit Gojard, les discours de promotion de l’allaitement (souvent peu cohérents et mal maîtrisés) correspondent à un modèle « savant » de l’allaitement et sont donc voués à l’échec auprès de mères qui ne relèvent pas de ce modèle et ont un effet de stigmatisation pour les mères de milieux supérieurs qui pour une raison ou l’autre ne veulent pas allaiter (21).L’allaitement maternel reste un enjeu majeur de santé publique qui demande et nécessite avant tout un questionnement sur la place qu’on veut lui réserver dans notre pays. Il est temps de définir une stratégie de promotion de l’allaitement qui aille bien au-delà de l’Initiative Hôpital Ami des Bébés car cette dernière seule ne suffit pas à maintenir les bénéfices gagnés par la qualité de la prise en charge de ces maternités.
Vers une vision pluridisciplinaire et multidimensionnelle
A l’heure où les compositions les plus diverses de laits commerciaux s’inventent (hypoallergéniques, anti-reflux, diarrhées chroniques, confort digestif, satiété…) et dans un marché en pleine expansion, la promotion de l’allaitement maternel semble pour certains ne pas nécessiter de déployer attention et soutien spécifiques, alors que pour d’autres l’allaitement maternel semble être à la pédiatrie ce que la vaccination est à la santé publique. Certes, les laits commerciaux sont de qualité suffisante pour assurer une croissance correcte mais c’est trop rapidement oublier ou faire fi de toutes les vertus immunologiques, anti-inflammatoires, anti-infectieuses, trophiques, épigénétiques mais aussi écologiques et économiques du lait maternel. Les approches sociologiques, anthropologiques, historiques, psycho-sociales… sont essentielles pour mieux cerner les représentations de l’allaitement maternel dans la société actuelle et mieux expliquer les raisons des taux et durées si faibles. Ces différentes représentations traduisent plus profondément le rapport mère/enfant particulier la place de la mère dans la société, les pratiques de la puériculture et la pédiatrie dans la sphère du maternage, la perception de la mère par rapport à sa responsabilité en matière de soins maternels…Réduire les études sur des comportements, tel que l’allaitement, à l’analyse des facteurs socio-démographiques ou socio-économiques ne permet en aucun cas d’expliquer les causes et mène trop souvent à un discours simpliste, manichéen dans lequel on fige les patients (en l’occurrence les mères) dans une catégorie dans laquelle il est difficile de s’extraire. Ouvrir la réflexion au contexte plus global (politique, sociétal, religieux…) et moins ciblé sur l’individu permet d’être moins stigmatisant, accusateur et culpabilisant.
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Pour être « labellisable » une maternité doit respecter « les 10 conditions pour favoriser le succès de l’allaitement » énoncées dans « la Déclaration conjointe OMS/UNICEF sur l’allaitement et les services de maternité » ainsi qu’avoir un taux d’allaitement maternel exclusif de minimum 75%.
Ce Code cherche à protéger le consommateur contre les pratiques commerciales susceptibles de décourager l’allaitement maternel comme par exemple la promotion de laits artificiels, la distribution d’échantillon gratuit, la promotion d’aliments pour bébés comme les petits pots, céréales, jus, eau embouteillée afin de ne pas nuire à l’allaitement exclusif…