Une campagne nationale veut sensibiliser les femmes enceintes – ou qui souhaitent l’être, au risque d’exposition aux perturbateurs endocriniens. Des experts du vécu en matière de pauvreté ont adapté les messages.
En Belgique, seulement une personne sur deux a conscience de la nocivité des perturbateurs endocriniens – ces molécules chimiques qui modifient le fonctionnement du système hormonal. Lancée fin mai, une campagne nationale entend sensibiliser les futures mamans aux bons gestes pour les aider à réduire leur exposition.
Invisibles et pourtant omniprésents, dans les produits ménagers, les cosmétiques, les jouets et les aliments, ces polluants chimiques troublent le bon fonctionnement du système hormonal des humains. Lors de la grossesse, ils imprègnent l’organisme de la mère et traversent la barrière placentaire.
Le cumul de ces expositions – leur effet cocktail – a un impact sur la santé du fœtus. Il augmente les risques des malformations génitales et sexuelles, de pubertés précoces, de cancers, de diabète et de certains troubles autistiques.
« Les fœtus, et donc les futures mamans font partie des populations les plus vulnérables. S’adresser aux futures mamans est une priorité pour répondre à cet enjeu de santé publique et environnementale », explique Sandrine Jouan, qui a piloté l’élaboration de la campagne pour le Service Public Fédéral (SPF) Santé Publique dans le cadre du Plan d’action national sur les perturbateurs endocriniens (NAPED) 2022-2026.
Consulter des experts du vécu en pauvreté
L’objectif de cette campagne est de réduire le plus rapidement possible l’exposition des femmes enceintes et de leur enfant à naître dès le stade pré-conceptionnel, et tout au long de la grossesse. Mais comment informer sans effrayer ou décourager ? Et comment conseiller des mesures de protection qui soient accessibles à toutes et tous, et peu coûteuses ?
Car les populations précarisées sont les plus exposées à ces substances chimiques, en raison de leurs conditions de vie (de logement notamment) et des difficultés d’accès à une alimentation de qualité, ou tout simplement à défaut d’être bien informées.
Début 2020, le SPF Santé Publique sollicite le SPP Intégration Sociale pour s’assurer que les messages soient accessibles au plus grand nombre. Celui-ci leur propose de soumettre leur projet de campagne à leur service des Experts du vécu en matière de pauvreté et d’exclusion sociale (EdV). Au sein de ce service méconnu, des personnes, qui ont connu la pauvreté ou l’exclusion sociale, travaillent à améliorer l’accès aux droits et l’accès aux soins (lire notre article).
Sept EdV volontaires se réunissent donc en groupe de travail. Parmi eux, une seule connaît un peu le sujet. Une enfant de son entourage a connu une puberté précoce en raison de son imprégnation à plusieurs toxiques. Les autres découvrent l’ampleur et la complexité du problème.
« A vrai dire les perturbateurs endocriniens, je ne savais pas trop ce que c’était »
concède Cécile Charlet, EdV détachée chez Solidaris à Liège.
Au cours des séances d’information, la quinquagénaire fait le lien avec son quotidien. « Ces pollutions-là sont insidieuses, on ne voit pas les conséquences de suite, alors quand on a des tracas, ça nous passe au-dessus », ajoute-t-elle.
La gestion d’un budget familial très serré oblige à être très concret. Il faut déjà prioriser tel ou tel enfant quand il s’agit d’aller chez le médecin, ou même racheter une paire de baskets. A posteriori, Cécile se dit qu’elle aurait « aimé être informée » sur ces risques invisibles pendant ses trois grossesses. « Maintenant je m’inquiète surtout pour mes petits-enfants » dit-elle.
Outiller sans culpabiliser
Au sein du groupe de travail, les discussions se concentrent sur les formulations pour susciter l’intérêt et l’action. Le travail consiste à supprimer toutes les formules impératives qui ont un effet culpabilisant ou anxiogène. Ainsi le conseil : « changez vos poêles lorsque le revêtement est abîmé » se transforme en « évitez d’utiliser une poêle lorsque le revêtement est abîmé ».
« Une femme enceinte doit déjà faire attention à beaucoup de chose : la listéria, la toxoplasmose, alors les perturbateurs endocriniens, on peut comprendre que cela lui semble hors de portée. Et puis, changer une poêle abimée pour éviter l’ingestion de PFAS, certaines personnes ne pourront pas se le permettre, quand elles n’arrivent déjà pas à boucler les fins de mois »
alerte Amélie Legrand, experte du vécu depuis 2016 qui travaille désormais à la coordination des EdV au sein du SPP IS.
Même précaution pour le fait de réchauffer la nourriture dans des contenants en plastique au micro-ondes. « Pour simplifier le message, on n’entre pas dans le détail, on explique simplement qu’il y a un risque de migration des substances chimiques présentes dans les contenants en plastique vers les aliments » précise Sandrine Jouan. Les conseils proposent de veiller à varier les modes de cuisson en alternant vapeur, four, etc.
Donner des moyens de savoir et d’agir
« La priorité, c’est de trouver des solutions peu coûteuses et faciles à mettre en place » confirme Amélie Legrand. Le groupe de travail des EdV a donc relu les conseils de la campagne et a proposé des modifications. L’idée est de prioriser des actions accessibles financièrement pour redonner à chacun.e du pouvoir d’agir au sein de son habitation.
La campagne de sensibilisation propose près de trente conseils pour chaque espace de la maison : la cuisine, la salle de bain, la buanderie, la future chambre du bébé. « Ça permet aux gens de savoir par quoi commencer » précise Amélie Legrand. Aérer leur logement deux fois par jour limite l’accumulation des polluants dans l’air intérieur. « On rassure sur le fait que ça ne va pas refroidir les murs et qu’il n’y aura pas de problème de perte énergétique », ajoute l’experte.
Pour l’alimentation, les experts conseillent de laver et éplucher les légumes et de privilégier des produits peu transformés. « L’alimentaire, c’est tous les jours dans notre assiette, tout le monde n’a pas la chance d’avoir un potager non traité », dit Cécile Charlet, qui produit une partie des légumes qu’elle consomme.
« Ces trucs et astuces donnent du pouvoir d’action facile, direct et peu coûteux. Même si cela ne révolutionne pas le quotidien, ça donne des moyens de savoir et d’agir ».
dit Amélie Legrand
Les EdV interviennent aussi sur l’utilisation de certains mots ou tournures de phrases perçus comme compliqués ou trop vagues. Les termes « produits cosmétiques », sont ainsi remplacés par « savon, maquillage et shampooing ».
Gommer les maladresses
La collaboration permet aussi d’enrichir les messages et de gommer des maladresses. Les EdV conseillent de supprimer l’expression connotée de « l’hygiène de vie », un terme qui pointe la responsabilité individuelle, « alors qu’en soi les perturbateurs endocriniens, c’est un problème généralisé », ajoute Amélie Legrand.
La campagne s’appuiera sur des visuels et des films d’animation, qui seront diffusés sur les réseaux sociaux. Puis des affiches et des flyers au format carte postale seront distribués dans les organismes en charge de la grossesse et de la petite enfance. Ils contiendront les informations essentielles de la campagne et renverront vers un site internet dédié avec une double page sur les perturbateurs endocriniens et les moyens de les éviter. Sur ces supports, les EdV ont mis en avant la nécessité d’indiquer l’adresse url du site internet, à côté du QR-Code pour tenir compte de la fracture numérique.
Le SPF développe aussi un outil informatique à destination des professionnels de la santé, en particulier les médecins généralistes qui se sentent souvent démunis face aux besoins de leur patientèle sur les perturbateurs endocriniens comme le constate la Société scientifique de médecine générale (SSMG).
La prochaine campagne devrait s’adresser aux enfants et aux adolescents en essayant à nouveau de prendre en compte les besoins des populations défavorisées.
Retrouvez toute cette campagne sur perturbateursendocriniens.be. Elle a été réalisée en collaboration avec Departement Zorg, AVIQ, Departement Leefmilieu, SPW Environnement, Bruxelles Environnement, Office National de l’Enfance (ONE), Agence Opgroeien, SPF Emploi, les mutuelles.