Juin 2012 Par C. ORBAN Initiatives

Le tabac, c’est mauvais pour la santé. On ne vous apprend rien! Mais, sans vouloir créer la psychose générale, certains de ses effets semblent encore largement méconnus du public. Le tabac combiné à la pilule… c’est sur ce mélange sulfureux que nous allons nous pencher. Est-il nocif? Dans quelle mesure? Avec quel(s) type(s) de contraception? À tout âge? Pour répondre à ces questions, nous aborderons la question du tabagisme féminin, celle de la contraception et enfin les risques liés au mélange tabac-pilule. En tant qu’association féministe active dans le domaine de la santé, cette analyse s’inscrit donc pleinement dans nos actions.

Le tabac et les femmes

Historiquement, le tabac s’est diffusé parmi les classes aisées et les hommes avant de s’étendre aux autres catégories de population (Robert (1)). Fumer était alors réservé à l’élite, aux privilégiés. Nous en sommes loin aujourd’hui. Fini la discrimination, la cigarette a pris ses quartiers dans toutes les catégories sociales et sexuelles, pauvres, riches, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes confondus. La tendance se serait même inversée: les classes populaires fumeraient davantage aujourd’hui.
Les femmes ont très vite été la cible de l’industrie du tabac (Gallopel-Morvan (2)). Son message? Une femme émancipée est une femme qui fume. Dans les années 70, la marque Virginia Slim affichait ainsi : « You’ve come a long way , baby » (3). Autre argument souvent invoqué, l’impératif de minceur. La publicité a longtemps surfé sur cette vague, lançant des slogans tels que: « Reach for a Lucky instead of a sweet » (4), mais également en proposant des cigarettes ressemblant à des asperges, très longues et très fines.
Revêtant des significations différentes selon les sexes, le genre semble donc particulièrement pertinent pour appréhender le tabagisme.
La contraception et les femmes

Si la cigarette est un des symboles de l’émancipation des femmes, la pilule contraceptive en est l’emblème par excellence. Avec le contrôle de leur fécondité, les femmes acquièrent un meilleur contrôle de leur corps et donc un meilleur contrôle de leur vie. L’accès aux études et à l’emploi sera ainsi favorisé (Dujardin (5)).
Actuellement, la pilule est le principal moyen de contraception utilisé en Belgique. Selon une étude menée par la mutualité socialiste (6), 38% des 14-19 ans recourent à la pilule contraceptive, 78% des 20-29 ans, 56% des 30-39 ans et 45% des 40-55 ans.
La pilule et le tabac

Si l’idée fait débat, une enquête réalisée par le CREDES (7) en France affirme qu’il existerait « une communauté de typologie entre le fait de prendre la pilule et le fait de fumer » (8): celles qui prennent la pilule fumeraient davantage que les autres. Il s’agirait dans les deux cas, comme souligné précédemment, d’une affirmation de liberté et d’émancipation. Ainsi les fumeuses représentent (en France) 35 % des femmes qui prennent la pilule, alors qu’elles ne représentent que 25 % de la population de la même tranche d’âge et que 20 % de celles qui ont recours à un autre moyen contraceptif.
Les effets nocifs du tabac sont bien connus: risques de cancers des poumons, de la gorge, problèmes respiratoires, maladies cardio-vasculaires. Le tabac entraîne également des risques de coagulation du sang, ce qui provoque phlébites et thromboses. La pilule combinée (9), quant à elle, à cause de l’œstrogène présent, tend à élever la tension et à modifier le profil lipidique du sang : il devient plus «visqueux». L’œstrogène expose donc à la formation de caillots dans les veines. Lorsqu’un de ces caillots obstrue une veine et y reste coincé, on appelle cela une phlébite. Les phlébites les plus fréquentes se forment dans les veines profondes des mollets. Elles provoquent une douleur et un gonflement du mollet, mais ne sont pas vraiment dangereuses en soi. En revanche, si le caillot se déplace, il peut aller obstruer une artère pulmonaire – c’est ce qu’on appelle une embolie pulmonaire.
Il est établi que l’association tabac-pilule accroît la possibilité de thromboses pouvant déboucher sur une phlébite voire une embolie. Notons que ces dangers concernent principalement les femmes fumeuses de plus de 35 ans ou qui fument depuis plus de 15 ans car leurs vaisseaux sanguins ont alors eu le temps d’être abîmés par le vieillissement et la consommation de tabac. D’après Martin Winckler (10), médecin et auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation scientifique, « la consommation de tabac est donc une contre – indication absolue à la prise d’une pilule combinée […] Mais seulement à partir de l’âge de trente – cinq ans !»
Alors que faire? Une recommandation proposée est d’utiliser une autre méthode contraceptive: pilule progestative ou DIU (11) étant donné que les problèmes proviennent de la présence d’œstrogènes. Mais ne nous méprenons pas: si l’association tabac-pilule est dangereuse à partir d’un certain âge, il ne s’agit pas de dire qu’il faille pour autant arrêter la pilule. Elle présente en effet l’énorme avantage de permettre aux femmes de gérer leur sexualité, tandis que le tabac n’en présente aucun!
Tabac-pilule: qu’en savent les jeunes ?

Une enquête menée par Nathalie Lambert (12) a montré que les jeunes filles ignorent les «dangers» liés à cette combinaison. Sur 43 filles interrogées, 32 se disent non-informées soit les trois-quarts d’entre elles. Une visite rapide sur le net suffit à démontrer le manque de connaissances des adolescentes à ce sujet. Sur un forum santé qui reprend les idées reçues à propos de la pilule, nous pouvons notamment lire: « Cigarette et pilule : ce n’est pas aussi dangereux qu’on le dit .»( 13 ) Éloquente démonstration d’une idée fausse largement répandue! Et ce n’est qu’un exemple… Plus globalement, les risques du tabac sont sous-estimés par les jeunes. Comme l’explique Laurie Chitussi (14), « le jeune adolescent présente un processus de décision suboptimal , c’est – à – dire cognitivement orienté vers le présent . Il tient peu compte des conséquences à long terme , mais plutôt des bénéfices immédiats .»
En ce sens, une meilleure information et sensibilisation est nécessaire ! Et pourquoi pas lors de cours d’éducation à la vie sexuelle et affective pour les plus jeunes ? Lors des consultations chez les gynécologues? Ou encore directement sur les paquets de cigarettes?
D’après un texte de Céline Orban , chargée d’études aux Femmes prévoyantes socialistes
(1) Robert Michaël, 2009, ‘Sociologie du tabagisme féminin’, analyse des Femmes Prévoyantes Socialistes.
(2) Gallopel-Morvan Karine, «Les femmes, cibles marketing de l’industrie du tabac».
(3) «Tu en as fait du chemin, chérie.»
(4) «Prenez une Lucky (Strike) plutôt qu’un bonbon.»
(5) Dujardin Pauline, 2010, «La contraception: quelle(s) révolution(s)?», analyse des Femmes prévoyantes socialistes.
(6) http://www.mutsoc.be/NR/rdonlyres/9DA7FA52-9599-4F74-849C-15EBA22D23E7/0/enquetecontraceptionv2low.pdf , site consulté le 09 février 2012.
(7) Le CREDES est le Centre de Recherche, d’Étude et de Documentation en Économie de la Santé
(8) http://www.lesjta.com/article.php?ar_id=847
(9) L’anneau vaginal et le patch sont également concernés dans la mesure où ils contiennent aussi des progestatifs et des œstrogènes.
(10) Voir notamment Winckler Martin, Contraceptions: mode d’emploi , J’ai Lu, 2007 ; Winckler Martin, Choisir sa contraception , Fleurus, 2007. Pour aller plus loin : VIDAL, BURKMAN RT, “Cardiovascular issues with oral contracepted evidenced-base medicine”, Int : fertil womens med 2000 45 : 166-74.
(11) DIU pour dispositif intra-utérin plus communément appelé «stérilet»
(12) Natalie Lambert, «Tabac et pilule: il n’est jamais trop tôt pour s’informer», Mémoire rédigé pour l’obtention du certificat en tabacologie, ULg, 2005-2006.
(13) Sur http://www.doctissimo.fr/html/dossiers/contraception/articles/6005-pilule-contraceptive-idees-recues-02.htm . Petit avertissement: Doctissimo est un forum santé très populaire auprès du grand public, mais ne peut être consulté pour des avis médicaux et/ou scientifiques.
(14) Laurie Chitussi, «Adolescents et tabagisme: mieux comprendre pour mieux intervenir», Mémoire réalisé dans le cadre de la formation continuée en tabacologie coordonnée par le FARES, 2005-2006.