A côté du Programme quinquennal de promotion de la santé, la Communauté française s’est dotée d’un Plan communautaire opérationnel (PCO) (1). Tout en rappelant un ‘fondamental’ de la promotion santé, à savoir l’importance d’une approche globale de la santé, de la prévention, de la médecine préventive, le PCO décline sept problématiques prioritaires. Nous vous proposons de faire le point à leur propos depuis le numéro précédent, au départ de la réflexion du Conseil supérieur de promotion de la santé. Après la politique de vaccination, c’est au tour du cancer, et plus précisément du programme de dépistage du cancer du sein.
Le programme de dépistage du cancer du sein est né du protocole d’accord visant une collaboration entre l’Etat fédéral , les Communautés et les Régions en matière de dépistage de masse du cancer du sein par mammographie , signé en octobre 2000. Il s’inscrit dans le cadre des recommandations des experts du programme «L’Europe contre le cancer» en particulier en matière d’assurance de qualité. Il concerne les femmes âgées de 50 à 69 ans.
Ce programme a pour objectif de réduire, au niveau de la population, la mortalité liée au cancer du sein grâce à la découverte et au traitement de la maladie au début de son évolution. De nombreuses études ont démontré que cet objectif peut être atteint à condition que la mammographie soit réalisée dans le cadre d’un programme d’assurance de qualité (contrôle de qualité des procédures, enregistrement et évaluation) et que la participation des femmes atteigne 70 %.
Objectif qualité
Le programme de dépistage s’adresse à des femmes asymptomatiques c’est-à-dire qui n’ont pas remarqué d’anomalie au niveau de leurs seins. En Communauté française, la mammographie réalisée dans le cadre du programme s’appelle «mammotest».
Le mammotest a pour objectif d’identifier, parmi les femmes de 50 à 69 ans, celles qui présentent une anomalie radiologique. Dans ce cas, des examens complémentaires (examen clinique, échographie, éventuellement prélèvement à l’aiguille) sont nécessaires. Ces examens sont réalisés dans un deuxième temps et ne devraient concerner que 5 à 7 % des femmes (2).
Le protocole du programme de dépistage du cancer du sein précise les objectifs de celui-ci en relation avec les objectifs du Plan communautaire opérationnel. Il décrit le fonctionnement, le rôle des différents acteurs ainsi que les critères d’évaluation de la qualité et de l’efficacité.
Un arrêté de Gouvernement de la Communauté française publié au Moniteur belge du 24 mars 2006 définit les missions et les conditions d’agrément du Centre communautaire de référence, des centres de coordination provinciaux et des unités de mammographie:
– le Centre communautaire de référence assure la coordination générale du programme en Communauté française et en Communauté germanophone, il est chargé de l’évaluation de la qualité et de l’efficacité du programme au niveau de ces communautés, selon des indicateurs définis dans les «European guidelines for quality assurance in mammography screening» de la Commission europénne;
– les centres de coordination provinciaux assurent la gestion du programme au niveau de leur ressort territorial: invitation par courrier personnalisé, organisation de la double lecture des clichés, envoi des résultats au médecin référent et évaluation au niveau provincial. Ils ont aussi un rôle de sensibilisation des femmes et de concertation avec les acteurs locaux;
– les unités de mammographie qui souhaitent participer au Programme doivent obtenir un agrément spécifique. Celui-ci est délivré sur base d’une attestation de conformité des installations de mammographie, de la réussite d’un test d’évaluation de la qualité des clichés et d’un engagement à soumettre toutes les mammographies à une double lecture.
Le contrôle de qualité des installations a pour objectif d’obtenir la meilleure image avec la plus petite dose d’irradiation.
Le contrôle de la qualité des clichés, en particulier d’un positionnement correct du sein, permet de réduire les résultats «faussement négatifs». En effet, près de 40% des cancers ‘ratés’ à la mammographie sont liés à un défaut de positionnement.
La double lecture a pour objectif de réduire au minimum les erreurs d’interprétation, «faux négatifs» et «faux positifs».
Un examen faussement «négatif» rassure à tort et retarde la découverte du cancer. Les données préliminaires du programme de dépistage indiquent que 13 % (3) des cancers ont été identifiés grâce à la double lecture.
Les «faux positifs» entraînent la réalisation d’examens complémentaires non nécessaires et coûteux sur le plan financier et psychologique.
Fonctionnement de la double lecture
Le résultat de la lecture du mammotest (description des anomalies, conclusion et recommandations de suivi) est colligé sur une «fiche de lecture» standardisée.
Les clichés et la fiche de lecture sont transmis au Centre de coordination provincial, où un 2e radiologue réalise une lecture indépendante, c’est-à-dire sans avoir connaissance de l’avis du 1er radiologue. Les données administratives et le résultat des 2 lectures sont introduits dans une base de données. Une fonction permet de comparer les résultats des 2 lectures. En cas de discordance, une 3e lecture est réalisée.
A l’issue de la double lecture, le protocole du mammotest est adressé au médecin «référent». Celui-ci a été désigné par la femme lors de la réalisation du mammotest. Il est chargé de l’avertir du résultat et éventuellement de l’orienter pour les examens complémentaires.
Evaluation du programme
Les résultats des mammotests et des mises au point complémentaires sont enregistrés dans une base de données centralisée (4).
A partir de ces données, une évaluation de la qualité du programme et de ses chances d’efficacité, en terme de réduction de la mortalité liée au cancer du sein peut être réalisée selon les indicateurs définis dans les «European guidelines for quality assurance in mammography screening.»
Evaluation de la qualité
Parmi les indicateurs, notons le taux de participation de la «population-cible» et le taux de rappel pour mise au point complémentaire.
Le taux de participation se situe selon les communes entre 8 et 29,5 %. Il est beaucoup trop bas.
Le taux de rappel pour mise au point complémentaire varie entre 7,5 et 14,4% selon les Provinces. Ce taux devrait se situer entre 5 et 7% (5). Cela s’explique par le fait que les radiologues ont peur de passer à côté d’une anomalie qui pourrait être le signe d’un cancer. Ils privilégient la sensibilité par rapport à la spécificité (6). La formation des radiologues doit être poursuivie.
Evaluation de l’efficacité
Des indicateurs ont été définis afin de prédire l’efficacité du programme en termes de réduction de la mortalité liée au cancer du sein (7). Les résultats préliminaires sont conformes et même supérieurs aux recommandations.
Recommandations européennes | Communauté française | |
Taux de détection | Min. 6 ‰ | 8,8 ‰ |
Cancers invasifs < 10mm | Min. 25% | 37,7% |
Ganglions (-) | Min. 70% | 82% |
Ces résultats permettent de prévoir un effet sur la mortalité.
Des avancées réelles
En conclusion, le programme de dépistage du cancer du sein a mis en œuvre différentes actions qui permettent de rencontrer les objectifs fixés par le PCO:
-le contrôle des installations de mammographie et de la qualité des clichés a permis d’améliorer considérablement la performance des examens mammographiques, y compris de ceux qui sont réalisés en dehors du programme;
-la double lecture des clichés a permis de détecter des cancers qui n’avaient pas été identifiés par le 1er radiologue, diminuant ainsi les résultats «faussement négatifs»;
-les performances en terme de détection de petits cancers sont excellentes. Elles permettent de prévoir un effet sur la mortalité;
-une concertation entre radiologues a permis de développer un outil pour améliorer l’interprétation des clichés, outil qui a été largement diffusé;
-une concertation entre radiologues, gynécologues et anatomo-pathologistes est en cours afin d’arriver à un consensus dans la mise au point des mammotest «positifs»;
-une collaboration s’est développée avec la Fondation du Registre du cancer afin d’évaluer le programme;
-toutes les femmes de la «population éligible» ont été invitées. Le programme a permis de sensibiliser prioritairement les femmes qui n’avaient jamais réalisé de mammographie, les femmes plus âgées et les femmes de milieux socio-économiquement défavorisés (8).
Des progrès à réaliser
L’objectif de participation n’est pas atteint. Cela s’explique en partie par le fait qu’avant le début du programme, 50% des femmes de la «population-cible» bénéficiaient déjà de bilans sénologiques de dépistage. Ces femmes hésitent à entrer dans le programme d’autant qu’elles ne sont généralement pas encouragées à le faire par les médecins, quelle que soit leur spécialité. En effet, ceux-ci ont du mal à accepter qu’une «simple» mammographie réalisée dans le cadre d’un programme d’assurance de qualité donne autant voire plus de sécurité qu’un bilan sénologique dont la qualité n’est pourtant pas contrôlée.
Cette difficulté est due, entre autres, au manque de formation des médecins aux enjeux et aux exigences d’un programme de santé publique. Par ailleurs, la différence d’honoraires perçus pour une mammographie réalisée dans le cadre du programme (55,17 euros cette année) et pour un bilan sénologique (90,95 euros) n’est pas de nature à encourager les radiologues à recommander la mammographie réalisée dans le cadre du programme.
L’analyse complète des données du programme pourra sans doute faire évoluer les habitudes et les convictions des prescripteurs. Ce n’est que lorsqu’ils seront convaincus eux-mêmes qu’ils pourront convaincre les femmes de participer, et appuyer les campagnes de sensibilisation organisées par les autres acteurs du programme.
Le programme de dépistage se trouve actuellement face à un énorme défi, celui de la digitalisation des examens mammographiques entraînant la transmission électronique des images et du résultat de la 1ère lecture en vue de la double lecture ainsi que des résultats aux médecins.
Anne Vandenbroucke , Coordinatrice du programme de dépistage en Communauté française
Adresse de l’auteur: Centre de référence communautaire pour le dépistage du cancer du sein, chée de Louvain 479, 1030 Bruxelles. Tél. : 02 742 21 34. Fax : 02 742 21 35. Courriel : ccref@ccref.org.
(1) Voir BOUCQUIAU A., LONFILS R., TREFOIS P., Le Plan communautaire opérationnel de la Communauté française , Education Santé n° 214, août 2006.
(2) European guidelines for quality assurance in mammography screening, European Commission
(3) Programme en Brabant wallon
(4) Si les femmes ont donné leur consentement écrit lors de la réalisation du mammotest.
(5) European guidelines for quality assurance in mammography screening, European Commission
(6) Par sensibilité , on entend la capacité d’un diagnostic ou d’un test de dépistage à identifier correctement des individus affectés par un problème de santé. La sensibilité d’un test correspond à la probabilité que le test soit positif chez les personnes malades. Par spécificité , on entend la capacité d’un diagnostic ou d’un test de dépistage à identifier correctement les individus non affectés par une maladie, par un problème de santé. La spécificité d’un test correspond à la probabilité que le test sera négatif parmi les personnes non-malades.
(7) European guidelines for quality assurance in mammography screening, European Commission
(8) Rapport de l’Agence intermutualiste, consultable sur le site [L]www.nic-ima.be[/L]