La lutte contre le tabagisme requiert des armes diversifiées et complémentaires. À côté des mesures législatives et des campagnes de sensibilisation, il est essentiel de soutenir dans leur démarche ceux qui veulent arrêter de fumer. Au début des années 2000, le Québec a mis en place une série de services complémentaires destinés à soutenir les fumeurs qui souhaitent se libérer du tabac. Une dizaine d’années plus tard, le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a dressé l’état de situation de l’implantation de ces services.
Le tabagisme est l’une des principales causes de décès, partout dans le monde. «Le tabac tue un fumeur sur deux. Arrêtez de fumer avant qu’il ne soit trop tard», affirme ainsi sur un mode émotif une récente campagne française de l’Inpes et du Ministère de la Santé, diffusée dans le cadre du nouveau Programme national de réduction du tabagisme.
Au Québec, même si le ‘fléau’ a connu une diminution, sa prévalence stagne depuis quelques années autour de 24%. Un million et demi de Québécois fument. Chaque année, environ 10 000 d’entre eux décèdent des suites de leur addiction au tabac, ce qui représente un décès sur cinq. Pourtant, en 2009, 40% des fumeurs indiquaient avoir tenté d’arrêter de fumer au cours de l’année précédente.
Ces statistiques effrayantes justifient pleinement les efforts de lutte contre le tabagisme et en particulier les investissements réalisés pour aider les fumeurs à abandonner la cigarette et les autres produits du tabac.
La docteure Michèle Tremblay, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec, a assisté aux balbutiements du Plan québécois d’abandon du tabagisme, quelques années après que le gouvernement du Québec eût reconnu le tabagisme comme une priorité nationale de santé publique. «À partir de 2002, une série de services gratuits d’aide au renoncement tabagique se sont mis en place partout au Québec, y compris en région éloignée», se remémore le médecin.Membre du comité de suivi du Plan, la docteure Tremblay a étroitement contribué à la rédaction de l’état de situation d’implantation des différentes mesures, une publication d’une quarantaine de pages qui vise à dresser un inventaire des services développés depuis 2002 pour soutenir les fumeurs dans leur démarche de renoncement au tabac et à identifier le nombre et le profil de personnes rejointes.
Les lignes suivantes présentent le rôle que jouent depuis une bonne dizaine d’années dans le combat contre le tabagisme au Québec les centres d’abandon du tabagisme, le counselling par les professionnels de la santé, la ligne téléphonique j’Arrête, le site internet du même nom, le Défi J’arrête, j’y gagne et les aides pharmacologiques.
Les centres d’abandon du tabagisme
Il existe au Québec plus de 150 centres d’abandon du tabagisme, implantés dans divers établissements tels que des centres de santé ou des hôpitaux. Les conseillers de ces centres offrent des interventions individuelles ainsi que du counselling de groupe, organisé en plusieurs rencontres qui se tiennent sur une période de quelques semaines. Au cours de celles-ci, les participants discutent ensemble, avec l’aide d’un intervenant, de leurs motivations et des moyens pour arrêter de fumer dans une approche de résolution de problèmes.
Chaque année, quelque 6.000 fumeurs utilisent les services individuels d’un centre d’abandon du tabagisme et un millier participent aux activités de groupe. Ce sont essentiellement les femmes qui en profitent, d’un âge moyen de 50 ans. Il s’agit le plus souvent de gros fumeurs (ou grosses fumeuses), c’est-à-dire ceux et celles qui fument davantage et sont plus dépendants que la moyenne. Plus de la moitié de ceux qui fréquentent ces centres sont sans emploi, ce qui laisse supposer que ce service parvient à toucher ceux qui en ont le plus besoin.
La question cruciale est bien sûr celle de l’efficacité. Une étude montréalaise révèle que 57% des fumeurs ont cessé de fumer durant leur suivi, et qu’après six mois, 27% étaient toujours abstinents. Donc, quand un fumeur décide de fréquenter un centre d’abandon du tabagisme, il aurait une chance sur quatre de succès. Par ailleurs, l’intervention de groupe serait aussi efficace que le suivi individuel de même intensité.
Le rôle des professionnels de la santé
Avec son collègue André Gervais, Michèle Tremblay a calculé en 2001 que si tous les médecins du Québec abordaient la question du sevrage tabagique avec les patients fumeurs qui les consultent, leurs interventions pourraient mener à plus de 30.000 sevrages. Il est d’ailleurs démontré que plus les échanges entre patient et médecin à ce propos sont longs et répétés, plus grande est leur efficacité. Selon certaines recommandations américaines, les médecins et autres professionnels de première ligne devraient systématiquement déterminer le statut tabagique de leurs patients et leur intention de renoncer au tabac s’ils fument, conseiller à tous les fumeurs d’arrêter de fumer, motiver ceux qui ne souhaitent pas arrêter et offrir un suivi à ceux qui arrêtent. Parmi les différentes approches possibles, l’entretien motivationnel semble particulièrement efficace: il s’agit d’amener le patient à explorer son ambivalence à l’égard du changement de comportement, en identifiant les difficultés qui se présentent à lui et les stratégies à adopter pour les surmonter.
Les médecins ne sont pas leurs seuls professionnels de la santé à pouvoir jouer un rôle. Dans le cadre de l’édition 2012 de la Semaine québécoise pour un avenir sans tabac, sept ordres professionnels ont déclaré conjointement que «tous les acteurs du réseau de la santé se doivent d’inclure la lutte contre le tabagisme dans la pratique clinique et faire en sorte que celle-ci fasse partie intégrante des soins de santé au Québec».
Au cours des dernières années, la docteure Tremblay a été l’une des chevilles ouvrières d’un vaste projet visant à optimiser les pratiques de counselling des membres de cinq ordres professionnels, en collaboration avec ceux-ci: les pharmaciens, les dentistes, les hygiénistes dentaires, les infirmiers et les inhalothérapeutes.
Une analyse préalable avait alors révélé que, bien qu’ils croyaient que cela faisait partie de leur rôle, ces professionnels de la santé se sentaient mal armés pour intervenir auprès de leurs patients fumeurs. À la suite de ce constat, 65 actions ont été mises en place en vue de renforcer leurs compétences et leur sentiment de compétence: des formations en salle et en ligne, la rédaction d’orientations cliniques, de guides et d’articles dans les revues adressées à ces professionnels, des outils d’aide à la pratique…
Une seconde enquête menée après l’implantation de ces activités a indiqué, sans surprise, que les professionnels formés avaient de meilleures pratiques, se sentaient plus compétents, percevaient moins d’obstacles et avaient une meilleure connaissance des autres ressources d’aide que ceux qui n’avaient pas été formés. «Aujourd’hui, le défi est de maintenir l’intérêt de ces ordres professionnels, compte tenu de toutes leurs priorités» souligne Michèle Tremblay.
La ligne d’aide téléphonique j’Arrête
Depuis 2002, les conseillers de la ligne téléphonique j’Arrête répondent à toutes les questions concernant le sevrage tabagique. Jusqu’en 2011, les répondants de la ligne traitaient en moyenne 18 000 demandes d’aide par an, un nombre qui est en augmentation actuellement. Ils ne se contentent pas d’attendre les appels: depuis 2006, ils sont aussi proactifs, c’est-à-dire qu’ils recontactent eux-mêmes les fumeurs pour les encourager dans leur démarche.
Le numéro de la ligne est inscrit sur les emballages de produits du tabac depuis 2012. Cette nouveauté a entraîné une augmentation très importante du volume d’appels, ainsi qu’un changement dans le public appelant: les hommes, les jeunes, les personnes de plus de 60 ans et les fumeurs plus dépendants sont désormais plus nombreux à recourir au service. Enfin, des collaborations avec divers partenaires établies au fil du temps permettent d’offrir du soutien à un public qui y a moins facilement accès, tel que les patients hospitalisés, les militaires, les détenus, etc.
Le site internet j’Arrête
Les études indiquent que, pour être efficaces, les sites web de soutien au sevrage tabagique doivent offrir une information ciblée et personnalisée ainsi que des contacts fréquents. Le site interactif www.jarrete.qc.ca mis en ligne en 2003 et régulièrement mis à jour propose au fumeur une démarche de renoncement au tabac basée sur un modèle de changement de comportement. Il comprend notamment une section clavardage (‘chat’) et vidéoclavardage ainsi qu’un forum de discussion. Il en existe une version pour les adolescents ainsi qu’une déclinaison anglophone. Le nombre de visites du site varie fortement d’une année à l’autre, autour d’une moyenne de 276.700. Les visiteurs passent en moyenne douze minutes sur le site. Les statistiques d’utilisation révèlent que la version pour les adolescents rencontre moins de succès que celle qui s’adresse aux adultes.
Le Défi J’arrête, j’y gagne!
Parce qu’elles permettent de toucher un très large public et de modifier certaines croyances, perceptions et attitudes ou encore de faire connaître les services d’aide disponibles, les campagnes sont des composantes de base de tout programme de contrôle du tabac. Cependant, leur efficacité est très difficile à évaluer. Parmi ces campagnes, le Québec a choisi, à l’instar de l’OMS, d’adopter une approche de concours. En créant une mobilisation collective, ces concours valorisent la décision d’arrêter de fumer.
Chaque année depuis 2000, le Défi J’arrête, j’y gagne! invite à s’abstenir de fumer durant six semaines. Pendant cette période et au cours de l’année qui suit, les participants inscrits peuvent utiliser un dossier de suivi en ligne et recevoir des courriels d’encouragement et des appels téléphoniques.
Un peu plus de 300 000 Québécois ont pris part au défi depuis les années 2000, surtout des femmes (60% des participants) et des jeunes adultes de 18 à 34 ans. Résultats: plus de six participants sur dix cessent complètement de fumer au cours du défi et 19% sont toujours non-fumeurs un an après. C’est donc dire que le défi permet à un participant sur cinq d’atteindre son objectif.
Les aides pharmacologiques
Les traitements pharmacologiques de la dépendance à la nicotine permettent de diminuer les symptômes du sevrage lors d’une tentative d’arrêt tabagique. Ils comprennent plusieurs classes de médicaments qui, au Québec, sont remboursés par le régime public d’assurance médicaments. Ils peuvent bien sûr être combinés à d’autres approches. Le timbre de nicotine représente le choix de 80% des patients qui ont recours à un médicament. Fait à noter: les chômeurs sont proportionnellement plus nombreux que les autres à avoir recours à ce moyen d’arrêter de fumer.
La complémentarité, clé de l’efficacité
Si aucune des méthodes ne peut prétendre atteindre seule un taux de succès impressionnant, les études reconnaissent cependant clairement l’efficacité de certaines actions: l’intervention individuelle, si elle est prolongée et répétée, le counselling téléphonique proactif, l’intervention en groupe et les aides pharmacologiques.
En fait, c’est bien souvent la combinaison de plusieurs méthodes qui permet d’atteindre l’objectif tant convoité, que ce soit sur le plan individuel ou en termes de santé publique. Car «la plupart des fumeurs sont conscients des effets néfastes du tabagisme et veulent arrêter de fumer» assure la docteure. C’est pour cette raison que les services, loin de se faire concurrence, sont organisés de manière intégrée.
Des ententes sont conclues entre les différentes ressources d’aide. Par exemple, un fumeur qui s’adresse à son pharmacien pour obtenir des aides pharmacologiques pourra se voir proposer le soutien téléphonique d’un intervenant. Ou encore, une personne qui appelle la ligne mais semble avoir besoin d’un suivi en face-à-face ou de groupe sera dirigée vers un centre d’abandon du tabagisme. De même, les services téléphoniques sont renforcés lors du Défi J’arrête, j’y gagne! Enfin, la ligne j’Arrête travaille aussi en collaboration avec le site internet du même nom puisque ce sont les conseillers de la ligne qui animent notamment le forum de discussion et assurent le clavardage.
Législation, sensibilisation et dénonciation
L’abandon du tabagisme ne représente que l’un des aspects du contrôle du tabac. En plus des mesures mises en place pour aider les fumeurs à arrêter, une série d’autres stratégies poursuivant des objectifs complémentaires ont été implantées au cours des dernières années au Québec.
Du côté des mesures législatives, l’année 1998 a vu l’adoption de la première loi réglementant l’usage du tabac dans les lieux publics, laquelle a été renforcée en 2005. Cette loi prévoyait notamment la diminution des points de vente, l’interdiction de l’étalage des produits du tabac et une augmentation des lieux où fumer est défendu.
La sensibilisation de la population aux effets nocifs de la cigarette et de la fumée secondaire ainsi qu’à l’importance de l’arrêt est également un des axes importants de la prévention du tabagisme. En plus du Défi J’arrête, j’y gagne!, la Semaine québécoise pour un avenir sans tabac, qui se tient chaque année en janvier, est un moment privilégié de diffusion de ces messages, tout comme la campagne Famille sans fumée. Selon les sondages, ces campagnes répétées atteignent un taux élevé de pénétration.
La dénonciation est une autre des stratégies déployées pour lutter contre le tabac. La Coalition québécoise contre le tabac est un acteur très impliqué sur la scène médiatique, qui n’hésite pas à dénoncer les efforts de l’industrie du tabac pour contrer la loi, recruter de nouveaux fumeurs et faire la promotion de nouveaux produits. D’autres initiatives intéressantes se sont déployées dans la dernière décennie, comme la campagne De Facto du Réseau du sport étudiant du Québec qui vise à révéler la vérité sur l’industrie du tabac et ses produits.
Les défis à relever
L’état de situation après une dizaine d’années d’implantation des mesures révèle que les services existants peinent à rejoindre les jeunes de moins de 18 ans, les femmes enceintes, les toxicomanes et ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale. En effet, les services s’étant surtout développés en suivant un principe d’universalité, l’accent a été peu mis jusqu’à présent sur les populations plus fragilisées et sur la prise en compte des inégalités sociales de santé. Des solutions sont envisagées et ont déjà été expérimentées, notamment le développement de collaborations avec les organismes qui offrent des soins et services à ces publics.
L’avenir de l’aide à l’arrêt tabagique passera également par les nouvelles technologies. Les textos (SMS) ont déjà fait l’objet de projets pilotes et leur utilisation semble prometteuse, surtout combinée à d’autres modes d’intervention comme les contacts téléphoniques, les courriels et le recours aux sites internet.
Finalement, la situation actuelle implique que la diminution du tabagisme et en particulier le soutien au sevrage tabagique restent des enjeux importants. «Il ne faut pas penser que la lutte est gagnée, d’autant que l’industrie a à coeur de continuer son marketing et de cibler de nouvelles clientèles», avertit Michèle Tremblay. Avec persévérance, le comité de suivi du Plan québécois d’abandon du tabagisme se penche aujourd’hui sur les orientations stratégiques des cinq prochaines années et sur de nouveaux indicateurs de résultats. À ces efforts, par contre, il n’est pas question de renoncer.
En Belgique, d’après la toute récente Enquête de santé par interview 2013 pilotée par l’Institut scientifique de santé publique, elle est de 23%.
La superficie totale du Québec équivaut à plus de 50 fois celle de la Belgique, cependant la grande majorité des 8 millions de Québécois se concentrent sur environ 20 % du territoire.
Tremblay, M. & Roy, J.-M. (2013). Plan québécois d’abandon du tabagisme – État de situation après 10 ans d’implantation. Québec: Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.
Tremblay, M. & Gervais, A. (2001). Interventions en matière de cessation tabagique: description, efficacité, impact, coûts estimés pour le Québec. Montréal, Québec: Institut national de santé publique du Québec.
Tremblay, M. & Poirier, H. (2012). Énoncé de position – Le tabagisme, un fléau de santé publique: des professionnels de la santé engagés. Montréal, Québec: Institut national de santé publique du Québec.
Les hygiénistes dentaires travaillent avec les dentistes et ont pour rôle de prodiguer des soins d’hygiène dentaire et d’assurer la sensibilisation des patients, alors que les dentistes se concentrent davantage sur les soins aux dents abîmées.
Les inhalothérapeutes traitent les problèmes qui affectent le système cardiorespiratoire et participent aux anesthésies.
Tremblay, M. & Poirier, H. (2012). Regards sur un partenariat fructueux: cinq ordres professionnels et l’Institut national de santé publique du Québec engagés dans la lutte contre le tabagisme. Montréal, Québec: Institut national de santé publique du Québec.
Voir le site www.defitabac.qc.ca/fr.
L’industrie a par exemple été à l’origine d’une campagne pointant du doigt les produits de contrebande, alors que l’on sait par ailleurs que ce problème est en nette diminution. Une campagne qui visait, sans aucun doute, à valoriser les cigarettes de marque.
Voir à ce sujet l’article de C. De Bock, France, une campagne controversée de communication sur le tabac, Education Santé n°307, janvier 2015.