Le contexte que nous connaissons actuellement autour de la maltraitance est empreint, à juste titre, d’une très forte émotion. Le procès Dutroux a envahi notre quotidien pendant plusieurs mois, et pouvait dans une certaine mesure donner une fausse image de la maltraitance. Très clairement, les données statistiques démontrent que les faits de maltraitance sont commis majoritairement au sein de la famille ou de l’entourage proche de l’enfant.
Un pervers du type «Dutroux» est donc heureusement exceptionnel. Je tenais absolument à donner une autre résonance à ce qui est apparu un peu trop rapidement comme étant le cas représentatif de la maltraitance des enfants. Afin d’étayer cette réflexion, il suffit de se pencher sur les données recueillies par les 14 équipes S.O.S. Enfants. Les pères représentent 18 % des auteurs de maltraitance, les mères 13,5%, le couple parental 26%, un membre de la famille élargie 7%, un ami de la famille ou du voisinage 3,5%… et un inconnu en dehors de la sphère familiale et/ou proche de la victime seulement 4,5%
Il est de la responsabilité du ministre chargé de l’aide aux enfants victimes de maltraitance de mettre en œuvre les politiques qui permettront d’une part de prévenir la maltraitance et d’autre part d’assurer une prise en charge optimale des victimes.
Il m’a donc semblé indispensable de diffuser certains outils et d’élaborer une campagne spécifique à destination des enfants. Mais ces outils ponctuels ne pourraient être utiles et efficaces sans une assise. C’est pourquoi depuis 2000, j’ai tenu à mettre en place une véritable politique de prévention en matière d’aide aux enfants victimes de maltraitance, à l’attention des professionnels mais aussi du grand public.
La campagne Yapaka, vers les adultes
Parce que prévenir la maltraitance, c’est agir sur la parentalité, sur les relations entre parents et enfants, il s’agissait de sensibiliser les parents qui ont une responsabilité éducative à l’importance d’un dialogue, d’une certaine disponibilité envers leurs enfants. Adultes et enfants ne vivent pas les choses de la même façon ni au même rythme, il est sans doute utile de le rappeler sans pour autant culpabiliser. Il me paraît évident que certaines situations de vulnérabilité générées par le quotidien, comme le stress, les difficultés financières, le manque de temps, les conflits de couple… peuvent entraîner des comportements de négligence ou de violence vis-à-vis des enfants.
Destinée au grand public, la campagne «Yapaka» a pour objectif de remettre au cœur des familles la nécessité de parler, de prendre un peu de temps, pour se comprendre et ainsi mieux vivre ensemble. Fondés sur une approche globale et positive du développement de l’enfant, les spots audiovisuels, le magazine «Yapaka» distribués auprès de 750.000 familles et professionnels, et les autocollants qui invitaient les enfants à créer eux-mêmes des messages ont ainsi été élaborés sur base de dialogues de la vie quotidienne entre adultes et enfants.
En avril 2002, une première diffusion de spots, à partir de huit scènes de la vie quotidienne, «mises en bulles», poursuivait l’objectif de sensibiliser les adultes à la différence de rythme, de regard et de perception entre adultes et enfants. Cette mise en perspective de la relation du parent avec son enfant dans un contexte de tous les jours invitait à une prise de recul, un questionnement sur sa façon d’être.
Soutenir des relations parents-enfants harmonieuses favorisant le bon développement de l’enfant prévient des situations ou des évènements de maltraitance qui peuvent survenir dans des contextes à risque ou des situations de fragilité.
En continuité, une seconde série de spots ouvre à la parole cette année. Huit témoignages donnent le ton et illustrent le fait que parler n’est pas dangereux. En parler, demander un coup de main, offrir son aide, solliciter une personne compétente… sont autant d’actes vers la bientraitance. Inviter à la parole, à des conseils extérieurs et faire percevoir que dans certains cas, c’est grâce à l’aide apportée par un ami, un voisin, un professionnel… que l’on a pu se sortir d’une situation compliquée. Demander de l’aide n’a rien de honteux, la compétence parentale et éducative se construit dans le recours aux autres, à l’autre parent, à sa famille, son réseau, ainsi qu’aux professionnels.
Parallèlement, cette campagne véhicule également un autre message: ce sont bien les adultes qui sont responsables du bon développement de l’enfant, de son bien-être. C’est sur ces constats que se fonde une autre approche de la prévention de la maltraitance par la promotion de la bientraitance. Le slogan «Prenons le temps de vivre ensemble» souligne également la confiance en l’adulte et table sur ses potentialités de parent et d’éducateur.
Evoquer la responsabilité des adultes, c’est aussi, en filigrane, évoquer la sécurité des enfants. Certaines anciennes campagnes de prévention visaient à alerter l’enfant, à développer sa vigilance… Bref, à le rendre responsable. L’analyse de ces campagnes a fait prendre conscience du poids trop lourd qui pesait sur les épaules des enfants.
De nombreuses évaluations portant sur des actions de prévention auprès des enfants attestent, non seulement, de leurs difficultés à se protéger en situation de risque mais aussi des effets secondaires négatifs que pouvaient générer ces campagnes. De tels effets négatifs, comme des manifestations d’angoisse, ont ainsi été très clairement identifiés suite à une information que les enfants n’étaient pas capables d’entendre ni de comprendre car il était tout simplement trop tôt, les enfants n’étant pas encore suffisamment développés sur le plan psychologique et affectif.
Avant 2000, et cela durant plus de 15 ans, des actions de prévention ont été développées mais de façon ponctuelle et locale. Ces actions, même si certaines étaient positives, restaient limitées dans leurs effets et dans leurs relais. On évitait, par exemple, de replacer l’action dans son contexte: on parlait ainsi d’abus sexuel sans parler de relation affective et sexuelle. La diversité et la disparité des actions ainsi que le manque de stratégie pédagogique étaient même préoccupantes quant aux conséquences (et inconséquences) des messages et des effets.
Une vie de chien? , pour les enfants
Si l’inefficacité de la grande majorité des actions évaluées a été démontrée, il n’empêche que l’on doit reconnaître à l’enfant une part active et une capacité à développer lui-même une action de protection.
Auprès des jeunes, il convenait donc d’imaginer une action à leur niveau de compétence et d’aptitude. En effet, l’enfant est acteur de son histoire. Il est un interlocuteur indispensable de toute action pensée à son profit… mais dans une démarche ajustée à ses capacités et à ses moyens.
Ces réflexions ont abouti à une œuvre : «Une vie de chien?», qui s’inscrit en toute «simplicité» dans la vie quotidienne de l’enfant.
Distribué à tous les élèves de 4e primaire, ce livre contient l’information quant aux droits de l’enfant et un carnet d’adresses qui permet à chaque enfant de constituer son répertoire de ressources et d’aide. Ce carnet d’adresses invite, en effet, l’enfant à faire le point sur son réseau de relations et d’aide, d’abord à partir de ses ressources familiales et amicales mais aussi à partir d’un réseau de professionnels auxquels il peut faire appel. Cette information a été donnée par les enseignants qui ont été chargés de la distribution du livret dans le courant de l’année scolaire 2003-2004. L’enseignant dispose, par ailleurs, d’une lettre d’information explicative quant à la démarche et ses objectifs ainsi que d’une liste des différents services accessibles à l’enfant.
«Une vie de chien?» propose à l’enfant, mais aussi à l’adulte, de s’inscrire dans la démarche que je viens d’évoquer. En d’autres termes, il importe d’impliquer l’enfant à partir de son questionnement au quotidien, à partir de ses doutes, de ses craintes mais aussi de ses ressources et de celles de son environnement. Ce sont les illustrations qui permettent à l’enfant et à l’adulte d’entrer dans un univers de questions. En partant de sa propre réalité, chacun, enfant et adulte, pourra construire une réflexion.
Ce livre a été offert à 60.000 enfants, autant d’enfants qui ont relayé ce message en famille, entre amis… participant ainsi à l’ouverture de la parole.
C’est l’attention accordée aux enfants, à leurs parents, à la famille dans le respect de leur histoire qui participe à une véritable prévention en terme de bientraitance.
En partenariat avec RTL, Club RTL, Bel RTL, Nostalgie et N.R.J. ainsi que les télévisions communautaires, j’ai tenu à donner un relief supplémentaire à ce livre. C’est ainsi qu’ Une vie de chien ? a donné naissance à huit spots télé et radio avec le même slogan final que celui de la campagne destinée aux adultes, «Prenons le temps de vivre ensemble».
L’idée de la réalisation d’une version radio – télé de l’outil vient des enfants et des adultes, enseignants et parents. Le partage d’un repas, l’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur, le respect de son intimité, le temps accordé pour rêver… autant de réalités qui permettent d’aborder la prévention de la maltraitance de manière globale et non stigmatisante, en parlant du bien-être de l’enfant dans son développement au quotidien. Dans le contexte du procès de Marc Dutroux, cette approche répondait au besoin de rassurer l’enfant, de lui donner un cadre sécurisant. C’est pourquoi nous avons pensé à mettre en images et en mots ce livret.
En effet, l’accueil favorable par l’ensemble des classes l’est aussi par la réaction enthousiaste qu’il a suscitée auprès de tous: des enfants qui retiennent principalement les thèmes des câlins et des disputes jusqu’aux enseignants qui sont touchés par des thématiques telles que la violence et la colère.
Des parents et grands-parents adressent des demandes afin d’en parler avec les frères et sœurs. L’utilisation et le plaisir qui se dégagent autour du livre Une vie de chien ? traduisent l’importance de l’aspect relationnel entre adultes et enfants et de la confiance entre eux. «Prenons le temps de vivre ensemble» prend ici tout son sens.
Avec le nouveau décret relatif à l’aide aux enfants victimes de maltraitance qui renforce les équipes S.O.S. Enfants dans leurs missions de prévention et de prise en charge, avec le livre Procès Dutroux , penser l’émotion , recueil de trente textes qui nous invitent à la réflexion et avec ces campagnes Yapaka et Une vie de chien ?, ma volonté était de travailler à une véritable démarche de prévention au niveau de toute la Communauté française par le biais d’un programme de fond sur lequel s’appuient des actions plus spécifiques et plus ponctuelles lorsque des événements l’imposent.
Nicole Maréchal , ancienne ministre de la santé de la Communauté française
Pour tout renseignement sur les campagnes et les outils: http://www.yapaka.be