Dans notre dernier numéro, nous publiions un article de Danielle Piette1 mettant en question une des stratégies actuelles de l’industrie du tabac, à savoir investir dans des actions de prévention du tabagisme, en particulier à l’égard des adolescents. S’appuyant sur une solide revue de la littérature, son point de vue est de simple bon sens: l’industrie du tabac a intérêt non pas à dissuader les gens de commencer à fumer, mais au contraire à les pousser à expérimenter la cigarette le plus tôt possible, dans l’espoir que la dépendance s’installera rapidement 2.
Devant les innombrables décès prématurés occasionnés par le tabagisme et la perte de clientèle qu’ils représentent, il faut bien renouveler le marché, donc recruter en masse de nouveaux fumeurs dans les jeunes générations.
Ce texte, défendu par d’autres acteurs en promotion de la santé, a aussi été publié dans le quotidien La Libre Belgique et dans l’une ou l’autre publication réservée au corps médical.
L’administrateur délégué de la Fondation Rodin (citée par l’auteur comme financée par Philip Morris), le Dr Luc Joris , a réagi en accusant Danielle Piette de répandre des rumeurs et des demi-vérités. Il précise ainsi que le Ministre des Finances alimentera également un fonds destiné à la prévention du tabagisme, du même montant que la dotation de Philip Morris. Comme si cela changeait quelque chose au caractère contestable de l’initiative du n° 1 mondial du tabac!
Cette polémique aura au moins eu le mérite de mettre à l’agenda une question éthique intéressante: la santé publique et les intérêts commerciaux d’industriels produisant des marchandises dangereuses pour la santé sont-ils compatibles?
En attendant, le secteur du tabac se porte comme un charme en bourse, diversifiant ses activités dans l’agro-alimentaire, et ayant provisionné les dédommagements considérables accordés par les tribunaux aux victimes de la cigarette.
De quoi rassurer pleinement les bénéficiaires de ses largesses dans le domaine de la prévention tabac! Christian De Bock (1) PIETTE D., Pourquoi? Parce que Philip Morris…, Education Santé n° 170, juin 2002, p. 12 et 13.
(2). Un élément de poids à ajouter à la bibliographie: LANDMAN A., LING P.M., GLANTZ S.A., Tobacco industry youth smoking prevention programs: protecting the industry and hurting tobacco control, American Journal of Public Health, june 2002, vol 92, n°6, 917-930. La conclusion des auteurs au terme de l’analyse de documents auparavant tenus secrets de l’industrie du tabac, est que les programmes de prévention de cette dernière destinés aux jeunes font plus de tort que de bien au contrôle du tabagisme, et que l’industrie ne devrait pas été autorisée à mettre en place ou financer ce type de programmes.