Octobre 2009 Par S. BRUNET Réflexions

Voilà sans doute une tâche bien difficile que celle de conclure et de proposer des perspectives au terme d’une journée entière de réflexion et d’échanges aussi riches qu’intenses à propos de questions aussi passionnantes que fondamentales pour la vie concrète d’un nombre malheureusement croissant de nos concitoyens.
Cette tâche est d’autant plus difficile qu’il ne peut aucunement être question de clôturer, de fermer, enfin d’arrêter un processus qui a commencé il y a une dizaine d’années et dont la vocation est de se poursuivre avec le soutien des acteurs de terrain de la promotion de la santé, c’est-à-dire vous.
Aussi, lorsque les portes de la salle académique de l’Université de Liège se refermeront sur cette journée, elles ne se refermeront certainement pas sur la dynamique dont vous êtes porteurs. Dynamique qui vise à une plus grande cohérence dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques dans le domaine de la promotion de la santé. Le processus entamé par le Centre liégeois de promotion de la santé depuis sa création et auquel vous êtes étroitement associés en est une belle illustration.

Deux difficultés majeures

Cependant, et c’est sans doute la raison pour laquelle un politologue vous adresse ces quelques mots, votre mobilisation et vos projets ont nécessairement affaire au monde politique, que cela soit en termes de financement ou d’élaboration du cadre général dans lequel vos actions prennent place. Si dans vos activités professionnelles, vous avez déjà expérimenté directement ou indirectement le monde politique et ses modes de fonctionnement, il est important d’identifier les principales difficultés de l’action politique dans le domaine de la promotion de la santé, et ce afin de permettre un transfert cohérent de connaissances du terrain vers les décideurs publics.
Car, et c’est là le principal problème, les échanges avec le monde politique dans le domaine de la promotion de la santé se caractérisent par deux grandes difficultés que je vous propose d’explorer.
D’une part, et presque par définition, les questions relatives à la promotion de la santé sont aussi des questions qui débordent largement d’un cadre particulier en interpellant bien d’autres dimensions telles que le sport, la culture, l’environnement, la mobilité et la sécurité alimentaire pour ne prendre que les dimensions les plus significatives.
La promotion de la santé devrait donc être un domaine d’action des pouvoirs publics fondamentalement interdisciplinaire, au sens des disciplines scientifiques mobilisées, et transversal d’un point de vue politico-institutionnel.
Premier écueil, première difficulté irréductible… C’est l’ensemble de ces secteurs qui concourent à l’effectivité de politiques publiques cohérentes dans le secteur de la promotion de la santé. Or, ils font l’objet de partages de compétences complexes entre les niveaux fédéral, régional, communautaire, provincial et communal. Et pour chaque niveau de compétence, nous retrouvons encore une myriade d’intervenants potentiels. Vous l’aurez compris, l’intersectorialité, par ailleurs incontournable dans la promotion de la santé, est un principe extrêmement difficile, voire impossible à appliquer au niveau de l’élaboration des politiques publiques.
En outre, conséquence de cette complexité politico-institutionnelle, l’identification des «bons» interlocuteurs est un exercice délicat qui exige la mobilisation d’une véritable expertise institutionnelle. L’approche nécessairement systémique qui doit présider dans le domaine de la promotion de la santé cadre donc mal avec le découpage morcelé et cloisonné qui caractérise l’organisation institutionnelle de nos sociétés modernes.
D’autre part, la seconde difficulté réside dans l’atomisation des acteurs de terrain face au monde politique. En effet, si le secteur de la promotion de la santé se caractérise par de nombreux intervenants aux compétences diverses mais complémentaires qui s’articulent autour de ce que l’on appelle des «poches de précarité», il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit d’interagir avec les autorités politiques. Le secteur, loin de s’exprimer d’une seule voix, n’agit pas de manière concertée quand il s’adresse aux politiques. Il perd donc en cohérence et en capacité de persuasion, chaque intervenant étant ramené à ses propres réalités d’existence en termes de financement, de personnel, de public-cible ou encore d’infrastructure.

Un lieu de convergence ?

Ces deux caractéristiques, rapidement esquissées, sont en réalité les deux faces d’une même pièce. D’un côté, un monde politique complexe, cloisonné et confronté à de nombreuses demandes éparses et quelquefois contradictoires, et de l’autre, un secteur diversifié, intersectoriel mais atomisé dans l’expression de ses demandes. Il convient donc de penser l’organisation du dialogue entre ces deux entités.
Une solution pourrait consister à faire remonter les demandes du terrain vers un lieu de convergence qui pourrait alors jouer le rôle d’amplificateur auprès du monde politique. En rassemblant et en harmonisant les demandes particulières du secteur, ce lieu de convergence pourrait formuler des propositions cohérentes et plus claires dans le cadre de l’élaboration de véritables politiques publiques dans le domaine de la promotion de la santé.
Face à l’expression d’une telle demande d’intersectorialité et d’interdisciplinarité, le monde politique sera peut-être amené à être plus réflexif par rapport à ses propres modes de fonctionnement dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques de promotion de la santé.
Bien entendu, cette nouvelle approche ne sera possible que si les acteurs de terrain s’accordent sur cet intermédiaire entre eux et le politique et si surtout, ils acceptent de rentrer complètement dans cette dynamique en unissant leurs forces. Le chemin de la cohérence ressemble un peu à celui qu’emprunte Sancho dans son périple auprès de Don Quichotte…
Prof. Sébastien Brunet , SPIRAL ULg
Ce texte est extrait des Actes de la Deuxième journée liégeoise de promotion de la santé qui s’est tenue dans la (très belle) Salle académique de l’Université de Liège le 7 octobre 2008. Ces actes sont disponibles au CLPS, Bd de la Constitution 19, 4020 Liège. Tél.: 04 349 51 44. Fax: 04 349 51 30. Courriel: promotion.sante@clps.be. Internet: http://www.clps.be