Dans le contexte de pandémie que nous traversons, le Service Universitaire de Promotion de la Santé UCLouvain/IRSS/RESO s’est penché, à la demande du cabinet du Ministre Alain Maron, sur l’utilisation des médias Web pour promouvoir la santé mentale de la population, fortement impactée par la crise pandémique actuelle.
La crise de la pandémie due à la Covid-19 a engendré une augmentation des problèmes de santé mentale au sein de la population. Les diverses mesures d’isolement social imposées pendant presque deux ans et les conséquences de la crise représentent des causes de stress psychologique pour les individus (Xiong et al., 2020). Ces facteurs de stress, conjugués à des facteurs de vulnérabilité préexistants ou spécifiques au contexte pandémique, ont rendu certaines personnes particulièrement à risque de développer de la détresse psychologique (Hossain et al., 2020 ; Chevance et al., 2020 ; Carmassi et al., 2020 cités dans Conseil Supérieur de la santé, 2021).
Dès lors, il apparait essentiel de mettre en œuvre des actions pour promouvoir la santé mentale des individus. C’est sur base de ce constat que nous avons effectué une revue de la littérature scientifique et grise, belge et internationale, pour tenter d’en extraire des stratégies identifiées comme prometteuses pour promouvoir la santé mentale de la population par la voie des médias Web.
Dans la suite de cet article, nous nous penchons plus particulièrement sur les avantages et limites à l’utilisation des médias Web pour promouvoir la santé et sur quelques recommandations pour le développement de campagnes de promotion de la santé mentale par le biais d’outils numériques
A propos…
« Promouvoir la santé mentale » n’est pas à confondre avec « prévenir les troubles mentaux ». La promotion de la santé mentale vise à renforcer les capacités et ressources individuelles et collectives permettant aux individus de « prendre leur vie en main » pour améliorer leur santé (Clarke et al., 2015 ; Roscoät, 2017). En d’autres mots, promouvoir la santé mentale comprend le développement de la résilience individuelle et collective (Roscoät, 2017 ; Pereira et al., 2021).
La santé mentale est déterminée par une série de facteurs, qui se situent à différents niveaux et sur lesquels l’individu a plus ou moins de pouvoir d’agir. Promouvoir la santé mentale revient à agir sur ces différents déterminants, avec une attention particulière au renforcement des facteurs « salutogènes » ou protecteurs pour la santé mentale des individus et des populations (Lamboy et al., 2011 ; Roscoät, 2017 ; Roberge & Déplanche, 2017 ; Sebbane et al., 2017 ; Pereira et al., 2021).
Dans cette perspective, les objectifs d’une campagne de promotion de la santé mentale axée sur les facteurs salutogènes pourraient cibler (Livingston et al., 2013 ; Balatsoukas et al., 2015 ; Luxton et al., 2012 ; Wright et al., 2006 ; Craig et al., 2014 ; Saha et al., 2019 ; Berry et al., 2017 ; Freeman et al., 2015) :
• l’amélioration de la littératie en matière de santé mentale ;
• la sensibilisation aux problèmes de santé mentale ;
• le renforcement du soutien social et émotionnel ;
• le renforcement des liens communautaires, de la cohésion sociale et de la solidarité ;
• le renforcement des compétences psycho-sociales (par exemple, l’estime de soi, le sentiment d’impuissance, la capacité de rebondir face à des réactions négatives ou stigmatisantes) ;
• une meilleure auto-identification de symptômes psychiques.
Ces objectifs participent, indirectement, à réduire la stigmatisation liée aux troubles de la santé mentale.
De plus, il convient de souligner que la plupart des campagnes de promotion de la santé menées par la voie des médias Web poursuivent des objectifs qui semblent se référer à une approche basée sur les changements de comportements (Scheen et al., 2019). Or, les évaluations de ces interventions révèlent que les conséquences des campagnes sur les déterminants comportementaux sont en général modestes : peu de changements de comportements sont observés après la campagne, par comparaison aux mesures relevées pré-campagne (Balatsoukas et al., 2015 ; Livingston et al., 2013 ; Henderson et al., 2012 ; Randolph et al., 2011). De plus, un risque serait que les interventions axées sur les changements de comportements perpétuent ou accroissent les inégalités sociales de santé. En effet, les personnes plus à même d’adapter leurs comportements vers le changement souhaité sont celles qui vivent dans des environnements favorables à ces changements (Buetti et al., 2021 ; Observatoire du Hainaut, 2020). Plus globalement, mener des campagnes qui ciblent des déterminants se situant à d’autres niveaux – tels que les niveaux interpersonnel, institutionnel, communautaire et politique – en s’appuyant sur le modèle socio-écologique semblerait produire des changements individuels et sociétaux plus durables (Scheen et al., 2019 ; Arwidson, 2014).
Avantages et limites à l’utilisation des médias Web pour promouvoir la santé mentale
A une échelle globale, les médias Web compteraient en 2019 plus de 2,5 milliards d’utilisateurs actifs (Saha et al., 2019). En Belgique, c’est 65% de la population qui utilisait les médias sociaux en 2018 (Scheen et al., 2019). De plus, une enquête de Solidaris (2017) révèle qu’après le médecin généraliste, Internet serait devenu le canal de référence le plus consulté par les Belges en ce qui concerne leur santé (Solidarité, 2017 cité par Scheen et al., 2019).
Les médias Web sont mentionnés dans la littérature comme des outils novateurs et peu coûteux de sensibilisation et de propagation de l’information en santé mentale (Saha et al., 2019, Latha et al., 2020 ; Williams & Swierad, 2019). Ces derniers pourraient favoriser la communication entre les personnes, le soutien émotionnel et le partage de témoignages (Latha et al., 2020 ; Minotte, 2020). Cependant, bien que les médias Web comprennent de nombreux avantages pour promouvoir la santé des individus, ils présentent également certaines limites. Voici quelques exemples des uns et des autres :
Les avantages
• Les médias Web permettraient l’émergence de plateformes communautaires d’échanges (Arwidson, 2014). Ces plateformes favoriseraient le sentiment d’identité et d’appartenance à un groupe (Apuke & Omar, 2021 ; Sihombing, 2017 ; Park et al., 2012).
• Les médias Web permettraient d’atteindre un large public rapidement (Arwidson, 2014).
• La multiplication des canaux de diffusion de l’information et la fragmentation de cette dernière permettrait d’atteindre des publics très spécifiques (Arwidson, 2014).
• Les interventions en ligne seraient un moyen pertinent pour promouvoir la santé de certaines populations défavorisées, par exemple, en rendant les services plus accessibles à ces dernières (Clarke et al., 2015).
Les limites et risques
• Une première limite, qui ne constitue pas un risque, est représentée par le fait que les comportements d’approbation (les « likes ») risqueraient d’être plus courants que les comportements de diffusion de l’information lorsqu’il s’agit d’une campagne en ligne. En effet, les utilisateurs « likent » plus facilement un contenu qu’ils ne le partagent, ce qui représente un degré plutôt faible d’engagement de la part du public envers la campagne (Saha et al., 2019). Des niveaux d’abandon plus élevés seraient, par ailleurs, observés pour les campagnes en ligne par rapport aux campagnes hors-ligne, car elles nécessiteraient peu d’engagement et d’effort pour en faire partie (Clarke et al., 2015).
• De manière plus préoccupante, les défis relatifs au niveau de littératie des publics seraient parfois exacerbés lorsque les informations sont diffusées sur Internet (Scheen et al., 2019 ; Arwidson, 2014).
• Les contenus stigmatisants à l’égard des personnes souffrant de problèmes de santé mentale seraient parfois davantage attractifs et relayés que les contenus visant à combattre la stigmatisation (Saha et al., 2019).
• Alors que certains chercheurs observent des améliorations significatives du fonctionnement social à la suite de l’utilisation des médias Web (Berry et al., 2017), d’autres démontrent un lien entre l’utilisation de médias Web et l’apparition ou l’amplification d’épisodes psychotiques, de troubles de l’humeur, de troubles de la personnalité ou de troubles obsessionnels compulsifs (Berry et al., 2017).
• Une partie non négligeable de la population (notamment plus âgée et vulnérable) ne disposerait que d’un accès limité aux technologies numériques (Lambert et al., 2021; Brotcorne & Mariën, 2020 ; Service de lutte contre la pauvreté, 2017). A titre d’exemple, selon un rapport datant de 2020, 40 % de la population belge serait en effet en “situation de vulnérabilité face à la numérisation croissante de la société” (Brotcorne & Mariën, 2020). Ainsi, l’utilisation exclusive des médias Web, si elle ne s’accompagne pas d’actions visant la littératie numérique de certains publics, risquerait de renforcer la fracture numérique déjà existante.
Pistes de stratégies pour développer une campagne de promotion de la santé mentale par la voie des médias Web
Notre analyse de la littérature a mis en évidence diverses stratégies pour développer une campagne de promotion de la santé mentale par la voie des médias Web. Ces dernières sont résumées sur le schéma ci-après.
Comme pour tout programme de promotion de la santé qui ambitionne par essence d’agir sur de multiples déterminants, il convient d’agir à différents niveaux d’intervention (individuel, interpersonnel, milieux de vie et éventuellement au niveau des systèmes et contextes plus globaux). Cela peut être réalisé en informant et en sensibilisant les individus, en renforçant leurs forces personnelles, en renforçant leur soutien social et émotionnel, en renforçant les liens communautaires, en impliquant des leaders communautaires, en favorisant la mobilisation citoyenne et en faisant du plaidoyer politique (voir différents niveaux sur le schéma).
Multiplier les canaux de diffusion de l’information permet de toucher une large audience et des publics divers. L’identification de ces canaux peut se faire en consultant les partenaires du projet, les publics cibles, des experts en communication en promotion de la santé, en travaillant avec des professionnels relais en contact avec des publics spécifiques et en effectuant un pré-test des messages auprès des publics concernés.
Il est nécessaire d’élaborer des messages stratégiques c’est-à-dire des messages simples, concrets, créatifs, sincères, suscitant la confiance, culturellement pertinents, contenant un appel à l’action et mobilisant divers sens (auditifs, visuels, etc.).
Il convient de prendre en considération les spécificités des groupes à qui est destinée la campagne (jeunes, personnes issues de l’immigration, personnes présentant un faible niveau de littératie, personnes âgées, etc.) en consultant les partenaires du projet et la littérature. Il est intéressant de cibler des groupes spécifiques tout en étant attentif à ne pas stigmatiser.
Il apparait également stratégique de favoriser les partenariats et collaborations avec divers acteurs (collectivités locales, associations, professionnels, leaders communautaires etc.) afin de favoriser la diffusion de l’information dès le départ et tout au long du projet. Plus spécifiquement, impliquer des acteurs clés bénéficiant d’une reconnaissance et forte visibilité sur les médias Web est intéressant.
Il est pertinent de se faire accompagner par des experts de différentes disciplines (promotion de la santé, communication, santé mentale) ainsi que par des experts du vécu. Cela peut être réalisé en créant un comité consultatif composé d’experts de diverses disciplines et de représentants des publics cibles.
De plus, baser ses actions sur des données probantes, issues de la littérature scientifique, de la littérature grise et de l’expérience et conduire une évaluation rigoureuse de la campagne sont des stratégies recommandées pour toute intervention en promotion de la santé mentale.
Enfin, plus globalement, les campagnes de promotion de la santé mentale par la voie des médias Web devraient s’inscrire dans des actions et stratégies plus globales en vue de produire des changements structurels et durables avec l’objectif d’améliorer la santé de toutes et tous. Il convient dès lors de multiplier les stratégies et les niveaux d’intervention, pour agir sur la diversité des déterminants, y compris les déterminants socio-économiques et structurels, qui impactent de manière significative la santé mentale.
Cet article propose un aperçu de la synthèse de connaissances réalisée par le RESO sur le thème de la promotion de la santé mentale par la voie des médias Web :
Lambert H. et Rousseaux R., Le Boulengé O., Aujoulat I., Promouvoir la santé mentale par la voie des médias Web. Leçons et stratégies issues de la littérature scientifique et grise (2021). Woluwé-Saint –Lambert : UCLouvain/IRSS/RESO, 52p.
A retrouver ici : https://uclouvain.be/fr/instituts-recherche/irss/reso/actualites/promouvoir-la-sante-mentale-par-la-voie-des-medias-web-lecons-et-strategies-issues-de-la-litterature-scientifique.htm
Références
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