Avril 2004 Par T. POUCET Christian DE BOCK Lu pour vous

Voici un peu plus de 10 ans, les Mutualités socialistes lançaient la feuille d’information bimestrielle Renouer , dont l’ambition était de favoriser une meilleure compréhension entre un organisme assureur et les professionnels de santé.
Le 22 novembre dernier, l’UNMS organisait une journée d’échanges avec ses lecteurs pour marquer le coup et témoigner concrètement de son souci d’enrichissement mutuel des pratiques par une réflexion commune sur des enjeux de santé publique, réflexion n’excluant nullement la confrontation de points de vue pas nécessairement convergents.
Trois ‘panels’ structuraient les débats:
la question de l’usage adéquat du médicament dans le face à face entre professionnel et patient;
les politiques de renforcement de l’usage adéquat du médicament;
l’amélioration de l’accès à la santé bucco-dentaire.
Ayant été sollicité par Thierry Poucet , rédacteur en chef de Renouer , pour faire partie d’un des trois panels, j’ai pu apprécier le sérieux avec lequel la journée du 22/11 avait été préparée, et la qualité des débats auxquels elle a donné lieu.
Cela m’a donné aussi envie d’en savoir un peu plus sur cette publication. Thierry Poucet a bien voulu éclairer ma lanterne. Education Santé : Pourquoi la Mutualité socialiste a-t-elle choisi voici dix ans d’investir dans un pareil outil d’information du corps médical?
Thierry Poucet : Soulignons tout d’abord – ce n’est pas un cocorico, c’est un simple constat – que l’initiative fut doublement pionnière. D’une part, au sein de l’univers mutualiste en général : seule la Mutualité libre allait un peu plus tard éditer à son tour un périodique pour médecins ( Fax Medica ), mais son destin fut éphémère. D’autre part, au sein des Mutualités socialistes, où les politiques de communication sont en grande partie scindées sur le plan communautaire. C’est en l’occurrence le secrétaire général francophone, dépité par le nombre de malentendus voire de basses polémiques qui émaillaient les relations entre organismes assureurs et corps médical, qui a lancé l’idée d’un périodique pour prestataires francophones. Convaincus eux aussi de l’importance d’une telle communication, nos collègues ont lancé par la suite un trimestriel à destination des médecins du nord du pays. Les deux rédactions sont totalement autonomes, même s’il nous arrive de collaborer ponctuellement. Baptisé InterVisie , ce petit frère de Renouer s’est placé lui aussi, à travers la symbolique du titre, sous l’emblème du dialogue à visée constructive.
Ce qui nous amène droit à la question de la motivation à investir dans un pareil outil d’information. Rappelons que les années ’80 avaient vu s’attiser, notamment à travers des procès, l’animosité entre monde médical et organismes assureurs. En toile de fond, une querelle souvent simplifiée à l’extrême entre tenants de la qualité des soins (souvent réduite à la liberté de prescrire) et tenants de la maîtrise des coûts (souvent réduite à la traque aux surprescripteurs présumés). Renouer ambitionnait d’introduire un axe de rupture avec ces logiques binaires. Avec pour conviction que dans le tandem « professionnels de santé » / « gestionnaires de l’assurance maladie », on a chacun à apprendre de l’autre, sans renoncer à sa spécificité, et à lui apprendre, sans jouer pour autant les donneurs de leçons.
E . S .: Qui sont exactement les lecteurs de la publication? Les médecins reçoivent-ils d’office Renouer , ou doivent-ils prendre un abonnement? Combien de personnes reçoivent la revue? Quels autres professionnels de la santé sont-ils concernés en-dehors des médecins?
T . P .: Le premier numéro (juin 1993) était réservé au corps médical et son rythme était trimestriel. Un an plus tard, on a fait le choix d’accroître la cadence (6 numéros par an au lieu de 4) et l’audience (extension aux dentistes et pharmaciens d’officine). On en est resté là jusqu’ici, même si a parfois été évoquée la possibilité d’étendre un jour à d’autres catégories de prestataires, comme les kinés ou les infirmiers/ères ambulatoires. Mais, outre les problèmes de coûts, cela poserait aussi des problèmes de cohésion rédactionnelle (j’entrevois un risque de dilution des centres d’intérêt).
L’élément essentiel du projet était bien de toucher le praticien « lambda » et pas uniquement les militants et porte-parole des organisations professionnelles de prestataires avec qui les mutuelles négocient déjà régulièrement dans la sphère institutionnelle. C’est pourquoi le choix a été fait d’expédier d’office le périodique à tous, en sachant du reste qu’il faut des années pour créer un lien de familiarité avec un public, surtout s’il est plutôt hostile a priori. Au total, nous imprimons 23.500 exemplaires, dont un bon millier est communiqué à des tiers (journalistes, cadres mutualistes, autorités…).
E . S .: Quels sujets sont-il abordés dans Renouer ? Visez-vous plutôt à faire comprendre les positions de la mutualité au corps médical, ou leur proposez-vous aussi des outils les aidant à s’y retrouver dans le maquis des réglementations aussi complexes que nombreuses de notre système d’assurance-maladie?
T . P .: Dès le départ, nous poursuivions trois objectifs en matière de contenu :
1° transmettre à chacun, par voie directe, nos positions sur les questions d’actualité les plus sensibles ou les plus importantes (dans l’espoir de réduire les caricatures ou les mécompréhensions induites par les « morceaux choisis » et autres citations approximatives). Si nécessaire soit-elle, cette tâche n’occupe pas le plus gros du volume rédactionnel;
2° fournir, via notre service d’études notamment, des éclairages originaux sur certains aspects de notre système de santé et d’assurance maladie (y compris sur certains aspects du travail mutualiste, d’ordre social ou éducatif par exemple, parfois méconnus ou sous-estimés par les praticiens de terrain);
3° ouvrir des débats, inviter nos lecteurs à y réagir. Parmi beaucoup d’illustrations possibles, nous avions organisé fin 1996, bien avant les mouvements de fronde des médecins généralistes, une table-ronde sur « le présent et l’avenir de la médecine générale », qui a donné lieu à un numéro spécial. Citons aussi une série de dossiers sur les facettes multiples de la qualité des soins.
Pour ce qui est des réglementations complexes, nombreuses (et j’ajouterais : affectées trop souvent des syndromes de naissance prématurée et de vieillissement précoce), nous en suivons tant bien que mal les méandres dans nos colonnes.
Pour autant, bien sûr, que cela reste compatible avec notre format délibérément modique (8 pages, un choix de lisibilité). Mais nous avons manifestement fait mouche en adjoignant à chaque livraison de notre périodique, depuis septembre 1997, une « fiche pratique » de plus en plus largement appréciée.
On n’y expose pas seulement en termes condensés et intelligibles le contenu de nouvelles dispositions. On y attire aussi l’attention des professionnels de santé sur des erreurs préjudiciables au patient à éviter dans l’accomplissement de certaines formalités médico-administratives ou sur des ressources existantes du système trop peu sollicitées (il y a parfois de bonnes choses dans les réglementations, que la plupart des intéressés et de ceux qui les soignent ignorent – comme la réadaptation professionnelle, qui permet de payer aux frais de l’INAMI, pour des personnes en incapacité de travail pour raisons spécifiques de santé, des formations à de nouveaux métiers compatibles avec leur affection).
E . S .: Comment les prestataires réagissent-ils aux articles publiés dans Renouer ? Essuyez-vous beaucoup de critiques ou d’encouragements, ou bien y a-t-il plutôt une indifférence à l’égard de votre souci de dialogue?
T . P .: Les réactions directes ne pleuvent pas, du moins sous forme épistolaire. En dix ans, nous avons peut-être reçu une dizaine de messages glaciaux nous invitant à cesser d’envoyer ce périodique en pure perte à son destinataire. Les compliments sont plus allusifs. C’est par exemple à l’occasion d’une commande de document, que certains nous félicitent pour la clarté ou l’esprit d’ouverture de nos écrits en général. Parfois des controverses argumentées naissent à partir de tel ou tel article, qui nous font réfléchir ou nous permettent de lever certains malentendus. Il pourrait y en avoir un peu plus à mon goût.
E . S .: Renouer a-t-elle pu aborder des questions liées à la médecine préventive, à la promotion de la santé? Ce genre de texte suscite-t-il une curiosité particulière chez les lecteurs?
T . P .: Je n’aime pas faire de frontière trop nette entre préventif et curatif. Les bonnes pratiques soignantes sont souvent, me semble-t-il, préventives de plein d’ennuis ultérieurs certes difficilement quantifiables mais sûrement pas imaginaires. L’accessibilité universelle aux soins requis et la lutte contre les inégalités de santé comptent parmi les chevaux de bataille de Renouer , sans pour autant se décliner sous forme de campagnes de sensibilisation préventive. Cela dit, nous présentons systématiquement à nos lecteurs professionnels de santé les actions et publications classiquement préventives que nous réalisons pour le grand public, en leur offrant de nous en commander des exemplaires. C’est par dizaines toujours et parfois par centaines qu’ils répondent à ces offres gracieuses.
E . S .: Quel budget faut-il pour développer un outil comme Renouer ? Question subsidiaire, cet investissement est-il justifié? Avez-vous évalué la perception de votre travail par les lecteurs, leurs attentes? La méfiance bien connue du corps médical à l’égard des organismes assureurs s’est-elle atténuée au fil du temps et des numéros?
T . P .: Outre le salaire d’un permanent (qui ne fait pas – loin de là – que s’occuper de la coordination de ce périodique et de ses produits annexes), le gros des frais est représenté par les factures d’imprimeur et, plus encore, d’affranchissement postal. On s’est posé d’emblée la question de savoir si une mutualité devait dépenser de l’argent pour informer d’autres personnes que ses affiliés. Nous avions l’intuition, et c’est devenu une conviction à l’expérience, que pour faire progresser bien des choses il faut simultanément travailler la cohérence du discours envers tous les partenaires impliqués. On l’a reconnu en haut lieu en organisant des campagnes multi-public de modération antibiotique. C’est pareil quand il faut faire comprendre les règles du maximum à facturer, du dossier médical global, ou quand on veut favoriser l’arrêt tabagique, la bonne gestion du diabète… Lors d’une annonce de parution d’un de nos premiers guides comparatifs sur les prix des médicaments équivalents, nous avons reçu 6.000 commandes de lecteurs en une semaine. C’est notre record et il augure d’un certain taux de lecture. Un coup de sonde plus modeste, portant sur un échantillon trop réduit pour être représentatif, nous a quand même assuré que Renouer est connu au minimum par un médecin sur quatre et que 40% de ceux-là le lisent.
E . S .: Et RenouWWW ? Utilisez-vous les ressources du net pour renforcer votre présence auprès des professionnels de santé?
T . P .: En matière de support électronique, d’autres mutualités communiquent aussi avec les médecins. Le périodique et les fiches sont téléchargeables depuis environ 5 ans. Notre site est en phase de remaniement et j’ignore encore si nous irons plus loin.
Propos recueillis par Christian De Bock
Renouer, périodique bimestriel réservé aux médecins, dentistes et pharmaciens. Adresse: rue St-Jean 32, 1000 Bruxelles. Courriel: renouer@mutsoc.be.