Mars 2006 Par Catherine SPIECE Outils

L’affiche, la brochure, le cédérom, l’animation, le théâtre-forum sont-ils des outils? Des outils de promotion de la santé? Pour répondre à cette question, voyons quelles réalités recouvrent ces concepts.

L’outil

Un outil est un instrument . Comme tout instrument, il sert à effectuer un travail, à produire ou à créer quelque chose de neuf. Etymologiquement, l’outil «sert de…» et «ne sert pas à …». L’outil est donc l’opérateur entre l’individu et le monde. Il relie la part singulière de la personne (ses intentions, ses représentations, ses expériences,…) avec le monde.
Un outil est plus qu’un support . Le support, c’est le média utilisé. Citons pour exemple le papier (affiche, BD, brochure, photolangage…), l’audiovisuel (vidéo, cédérom, exposition…), le spectacle (théâtre, animation, marionnettes…). Tout outil nécessite un support mais un support seul ne fait pas l’outil. Le support rend compte d’un objet, l’outil d’un intermédiaire.
Nous distinguons les outils d’information (brochure, livre, affiche…) des outils pédagogiques qui ajoutent une plus-value aux premiers par la conception de démarches pédagogiques d’accompagnement du support (jeu de table, pièce de théâtre, mallette pédagogique, séquence d’animation…).
L’outil d’information (ou de communication) vise surtout la diffusion d’information et/ou l’acquisition de connaissances. Dimension première de l’action éducative, c’est aussi la dimension la plus discutable lorsqu’elle est utilisée seule.
L’outil pédagogique va au-delà de l’information. Derrière l’acquisition de connaissances, il vise l’acquisition de compétences, la compréhension de certains phénomènes, la stimulation de la réflexion individuelle et collective, l’action sur le milieu de vie, etc.
Voilà pour le cadre de référence. Notez toutefois que ce qui paraît compartimenté au départ peut se rejoindre à l’arrivée: par exemple, lorsqu’un intervenant de santé s’approprie un outil d’information et développe une séquence pédagogique adaptée à son public et à son contexte d’intervention.
L’outil d’information, comme l’outil pédagogique, permet d’effectuer un travail vis-à-vis d’un public bénéficiaire. Mais lorsqu’il s’agit d’un outil pour les relais de santé, destiné à leur permettre un travail qui potentialise leurs savoir-faire, on parle d’outil méthodologique . Un outil pédagogique de qualité se doit de présenter des repères méthodologiques à son futur utilisateur.

L’outil de promotion de la santé

La spécificité de l’outil de promotion de la santé, par rapport à un autre outil, est sa capacité à stimuler l’une des 5 stratégies recommandées par la Charte d’Ottawa (1). Il envisage ensuite une variété de facteurs de risque et de déterminants de santé, préférant l’approche globale de la santé à l’approche thématique. De plus, les aptitudes individuelles qui y sont travaillées permettent la mise en place d’actions qui dépassent l’individu et initient une action sur l’environnement naturel ou humain.
La construction d’outils de promotion de la santé répond au souci de miser sur une stratégie éducative. Si la composante éducative a sa place dans presque toutes les questions de santé, les actions menées sur le terrain montrent qu’il est nécessaire d’envisager plusieurs approches pour aboutir au changement. C’est pourquoi il est tellement important d’intégrer l’éducation à d’autres stratégies, dans un cadre global, sur du moyen et long terme, avec d’autres secteurs et d’autres acteurs, etc.

Sur base de quels critères conçoit-on, utilise-t-on et évalue-t-on des outils?

Les critères de conception et d’utilisation des outils se réfèrent à deux logiques différentes: celle du promoteur et celle de l’intervenant de terrain. Ces deux logiques se rejoignent autour de la question de l’évaluation de l’outil. Celle-ci a pour objectif final d’augmenter la pertinence et la cohérence de l’outil pour le public bénéficiaire.
Pour le promoteur
Les éléments qui incitent les promoteurs à se lancer dans l’aventure passionnante mais difficile de la création d’un outil sont nombreux et d’ordre divers. Citons, par exemple:
-l’absence d’un outil adapté (parce que ce qui existe est soit dépassé, trop coûteux ou inaccessible);
-la présence d’un problème de santé pour lequel aucun outil n’existe mais dont la pertinence de création d’un outil a été questionnée;
-la spécificité d’un public nécessitant des moyens pédagogiques particuliers;
-l’intérêt pour ce type de projet au sein d’une institution;
-la motivation du chef de projet;
-l’opportunité financière (subsides);
-le souci de visibilité institutionnelle du concepteur;
-l’inscription dans un partenariat, etc.
Quels que soient les moteurs de la mise en route d’un tel projet, la qualité du produit fini dépendra de deux éléments:
-la mise en place de balises spécifiques dans le processus de construction (constitution d’un comité d’accompagnement, mise en place de partenariats, participation des différents acteurs et particulièrement du public final, régulation et réajustements permanents, etc.);
-la mise en place de critères de qualité propres à l’outil: cohérence forme/fond, adéquation du public, possibilité d’exploitation pédagogique…
Pour l’utilisateur
Quels sont les éléments qui interviennent pour décider du choix d’un outil?
La sélection d’un outil plutôt qu’un autre pour une action de prévention ou d’éducation pour la santé est fonction de nombreux critères, liés à l’utilisateur mais aussi à l’outil, son cadre d’utilisation et ses modes de diffusion. Ces différents critères interagissent entre eux et produisent une résultante: la sélection de l’outil.
Critères individuels: temps personnel à investir, compétences, intérêt pour la santé…
Critères liés à l’outil: procédés psychopédagogiques innovants, contenu particulièrement adapté, caractéristiques formelles attractives pour le public bénéficiaire, évaluation positive (d’experts, de collègues qui l’ont expérimenté)…
Critères liés à l’accessibilité de l’outil: présence ou non dans les centres de documentation des CLPS, coût de l’outil ou de l’activité, partenariat possible;
Critères liés aux conditions d’utilisation de l’outil: caractéristiques du public, milieu d’intervention, temps disponible.
Une réflexion préalable balisant la finalité de l’utilisation de l’outil dans un cadre global de promotion de la santé doit permettre à l’utilisateur de hiérarchiser ces critères en fonction de ses propres objectifs et moyens.
Pour le public
Le souci d’évaluation de l’outil témoigne d’une recherche de qualité, tant pour l’utilisateur que pour le public. Qu’elle soit réalisée par le concepteur ou confiée à un expert externe, l’évaluation d’un outil s’effectue à plusieurs niveaux:
-pendant la conception, par un ou des pré-test successifs. Ceux-ci ont pour objet de procéder à des réajustements de l’outil, en vue d’en augmenter la cohérence et la pertinence;
-après la conception, sur base d’une évaluation d’expertise (hors contexte d’utilisation) ou d’une évaluation d’utilisateur (après utilisation dans un contexte donné).
L’évaluation d’expertise porte sur les critères de qualités intrinsèques de l’outil (contenu, procédés psychopédagogiques, caractéristiques formelles). Elle tente d’en révéler les facettes parfois cachées, d’en suggérer des modes d’utilisation, en vue de faciliter le choix de l’intervenant de terrain.
L’évaluation de l’utilisateur porte sur le contexte d’utilisation de l’outil ainsi que sur l’impact de celui-ci sur le public bénéficiaire. Ces informations peuvent aussi enrichir le savoir-faire autour de l’outil, donner des pistes d’exploitation aux futurs utilisateurs, enrichir l’outil pour une réédition future, etc.

L’outil au détriment de la démarche?

L’outil fascine parce qu’il répond de manière simple et rapide à un problème parfois complexe. L’outil fournit un levier, un angle d’attaque qui permet d’agir et d’inscrire l’apprentissage présent dans l’expérience future.
Quels sont les risques qui guettent les intervenants de santé dans l’utilisation de l’outil?
-la fascination pour l’outil: cette fascination empêche la réflexion sur les demandes et les objectifs, le choix de la stratégie d’intervention, etc.;
-la perte de sens: en perdant de vue la finalité de l’outil, l’intervenant risque de ne pas en exploiter toutes les potentialités et de se limiter à une application mécanique des consignes de déroulement;
-la dérive ludique: la convivialité engendrée par certains outils peut faire perdre de vue les objectifs pédagogiques de l’intervention;
-l’entrave à la communication: l’outil peut être choisi comme solution de facilité, donnant l’illusion de résolution du problème posé. On confond ainsi outil et communication, moyens et objectifs, média et message.
Si l’outil n’est pas toute l’action, il en est le visage, la partie émergée de l’iceberg. Une utilisation optimale nécessite cependant une préparation invisible qui structure néanmoins son emploi: connaissance du public bénéficiaire, formulation d’objectifs en rapport avec l’analyse de situation, mise en place de partenariats intersectoriels, etc.

L’outil: la façade qui donne bonne conscience?

Comme le monstre du Loch Ness, cette question réapparaît périodiquement dans les préoccupations des «penseurs» de la promotion de la santé. Ceux-ci, éloignés du terrain et de l’urgence de certains problèmes, considèrent parfois l’outil comme un deuxième choix stratégique pour la promotion de la santé, le choix des non-spécialistes.
Pourtant, les intervenants de première ligne sont demandeurs d’outils. Parce que l’outil permet de «faire», d’entrer dans le concret, il répond à la préoccupation première des relais actifs en prévention et en promotion de la santé.
En tant que tel, l’outil n’est ni bon ni mauvais. C’est l’intervenant qui contextualise son utilisation en vue de permettre à son public de:
-décoder les problèmes rencontrés en termes individuels et collectifs;
-d’acquérir des compétences nécessaires pour devenir acteur de sa santé et jouer un rôle dans la société;
-de faire preuve d’esprit critique par rapport aux problèmes qu’il rencontre;
-chercher, questionner, interpeller, l’environnement dans lequel il évolue;
-s’adapter à des situations qui changent;
-cultiver des ressources individuelles et collectives pour résoudre leurs problèmes et agir.
La création des conditions favorables à la transmission des messages de santé résulte de l’interaction, dans l’ici et maintenant, de l’outil, du public, des conditions d’utilisation… et de l’intervenant. Des balises peuvent être posées pour augmenter la pertinence et l’efficience de l’outil, la question de l’utilisateur reste cependant centrale.
Il est vrai que la promotion de la santé est d’abord et avant tout une science humaine.
Catherine Spièce , Responsable de projets, Service Promotion de la santé, Union nationale des Mutualités socialistes

Article paru dans le Cahier de Prospective Jeunesse 34 ‘Santé et communication: info ou intox’, mars 2005. (1) Les stratégies recommandées par la Charte d’Ottawa (1986): la participation de la population à la définition des priorités, à la prise de décision, à l’action; l’amélioration du milieu de vie dans le travail, les loisirs, l’énergie, les transports…; le développement des aptitudes individuelles et sociales; la réorientation des services de santé (en amont et en aval de la prestation de soins), l’élaboration d’une politique de santé publique saine (politique fiscale, sociale et environnementale qui permette de réduire les inégalités de santé, etc.).

Bibliographie

Spièce C., Frérotte M., Grignard S., Vandoorne C. Comment créer un outil pédagogique en santé – Guide méthodologique. Bruxelles: Union nationale des Mutualités socialistes. 2004.
Education pour la santé. Cédérom. Bruxelles. La Médiathèque. 2003.
CRES Bretagne. Les outils pédagogiques: quelle(s) utilisation(s) en éducation pour la santé. Formation aux outils pédagogiques 29 et 30/11/2001. Dossier documentaire. Rennes. 2001.
Grille PIPSapes pour la préparation d’un avis d’appréciation par la Cellule d’experts. Union nationale des Mutualités socialistes. 2001.
Réflexions autour de la notion d’outil pédagogique. Forum des outils de prévention. 7, 8, 9 décembre 1999. Lyon CRAES Rhône-Alpes. 2000, pp 60-62.
Vandoorne C., Demarteau M., Lechien X. Evaluation formative des matériaux d’éducation pour la santé des adultes. Socrates Adult Programme Education. Université de Liège.1998.