Juillet 2020 Par Sarah HASSAN Juliette VANDERVEKEN Education Santé Réflexions

Mars 2020, devant l’explosion du nombre de cas de Covid-19, les gouvernements de plusieurs pays décident du confinement de leur population. Pause. Une partie du monde s’arrête. Et ensuite ?

Regards sur l’après-pandémie, quels possibles pour demain ?

A quoi ressemblera le monde d’après la crise sanitaire ?”. Dans sa note de veille “Les Nouvelles des Possibles N°2”, Frédéric Claisse, de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS), nous propose d’explorer quatre scénarios – des hypothèses ou des “récits relatifs au futurNote bas de page” – qui se sont dessinés dans les prises de position de citoyens, chercheurs, philosophes… au cours du premier mois de confinement généralisé de près de la moitié de l’humanité. Bien que polarisés, ces différents scénarios ne s’excluent pas nécessairement les uns les autres. “Ils sont en conversation permanente, partagent des problèmes, se disputent autour d’enjeux communs qu’ils polarisent à leur manière. On n’a donc pas affaire à quatre routes distinctes qui s’offriraient à nous, mais à une série de chemins qui peuvent se recouper pour aboutir à des destinations différentes”(Claisse, 2020, p. 3) .Dès lors, quelle place sera réservée à la promotion de la santé dans ce monde d’après ? Quel rôle pourra-t-elle jouer ? A l’heure où nous nous posons cette question, les acteurs du secteur se mobilisent pour faire entendre leurs souhaits, leurs visions… Cette synthèse de la note de l’IWEPS permet d’amener des éléments complémentaires aux réflexions menées et présentées tout au long de ce numéro spécial d’Education Santé.

Scénario 1 : la transformation

Dans ce scénario, la crise que nous traversons est à l’image de la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Elle est le résultat d’un modèle de société insoutenable. Elle révèle les grandes failles de notre fonctionnement sociétal, qu’il s’agisse de “l’impasse d’un modèle de gouvernance qui a vu l’Etat se désinvestir de ses missions de service public”(Claisse, 2020, p. 3) (sur le plan politique et social quant aux conditions de travail du personnel soignant, à la pénurie des masques, etc.) ou du“ système en train de causer la destruction de l’environnement et d’accélérer le changement climatique”(Claisse, 2020, p. 4) (sur le plan environnemental).Dès lors, un retour au “monde d’avant” n’est pas envisageable, il est nécessaire d’opérer une grande transformation, ou a minima un changement de cap. Cependant, cette transformation dépend du prisme par lequel on l’envisage, par exemple, un retour de l’Etat social ou encore un “plan de sortie” pour le climat. Rappelons que ces hypothèses ne s’excluent pas nécessairement. D’autres encore plaident pour ce qu’ils qualifient de “corona resetNote bas de page”, en portant la vision empreinte d’utopie d’un monde plus juste² (Claisse, 2020, p. 5).“L’addition ou la convergence de ces exigences de transformation (écologiques d’un côté, économiques et sociales de l’autre) pourrait avoir pour effet une prise de conscience accrue de la nécessité de prendre en compte le long terme dans des domaines comme l’environnement, l’énergie, la santé ou la mobilité, et pousser l’acteur public à relancer des politiques économiques et sociales ambitieuses (…)”, indique l’auteur.

Scénario 2: le retour à la normale

Le titre est évocateur. Pragmatisme pour les uns, ardent souhait pour les autres, fatalisme (voir pessimisme) pour d’autres encore… la situation actuelle (l’état d’urgence) est transitoire et exceptionnelle. On est ici dans le scénario de la continuité.Sur le plan économique, la relance de la consommation et de l’économie ainsi que la poursuite du modèle capitaliste sont salvateurs. La crise permettra même de favoriser la libéralisation du système de santé, par exemple. Le plan environnemental risque fort d’être (encore plus) lésé au nom de la relance économique (du secteur aérien, du tourisme, etc.). “ Dans un tel scénario, il y a fort à parier qu’une fois levée la période de confinement, les individus, trop heureux de reprendre le cours de leur vie, se remettront à voyager et à consommer comme avant. “ (Claisse, 2020, p. 7). Toutefois, personne (ou très peu de gens, s’il y en a) ne nie les effets à long terme de la crise, assortis d’une lente reprise économique, dans le “monde d’après”.Dans cet angle d’approche, certains redoutent toutefois la prolongation des mesures dites d’exception (mesures “de guerre”) sur le plan économique ou sur celui des restrictions de libertés et droits humains.

Scénario 3: la résilience

Ce scénario postule que nous ne sortirons pas indemne de la crise mais que nous serons plus résilients car nous aurons “tiré des leçons” de ce que nous aurons traversé. Dans ce scénario, on prend en compte les “effets d’apprentissage”(Claisse, 2020, p. 8). qu’ont permis cette crise, tels que les échanges très rapides de savoirs scientifiques ou les “efforts de coordination et de mobilisation mondiale”(Claisse, 2020, p. 8), par exemple. Au niveau individuel, les gestes barrières sont intégrés et deviennent la norme. Il est intéressant de noter, dans une réflexion sur l’avenir de la promotion de la santé, qu’il revient ici à chacun de modifier ses habitudes. Par ailleurs, une liberté surveillée via des dispositifs de tracking, par exemple, est considérée comme un prix acceptable à payer.Il ne s’agit donc pas tout à fait d’un retour au “monde d’avant” comme dans le scénario précédent. “L’humanité prend davantage conscience de sa vulnérabilité : les flux d’échange de biens, de services et de personnes représentent aussi des vecteurs de propagation pour des hôtes avec lesquels elle doit (ré)apprendre à vivre. L’application du principe de précaution n’implique pas pour autant une entrave ou une limitation à la circulation dans une économie qu’il serait encore plus coûteux de ‘démondialiser’ » (Claisse, 2020, p. 8).

Scénario 4: l’effondrement

Ce quatrième scénario est celui qui apporte sans doute le point de vue le plus catastrophiste. Il est autrement plus radical que celui du changement malgré quelques points communs. La théorie de l’effondrement (appelée aussi collapsologie) est de plus en plus présente ces dernières années et soutient l’idée selon laquelle la sixième extinction de masse, le tarissement des ressources (notamment énergétiques mais aussi alimentaires à cause de l’appauvrissement des sols lié à l’agriculture intensive), ainsi que le changement climatique ont mené nos sociétés au bord du précipice, de l’effondrement. Cette théorie est portée par des collapsologues. Parmi les plus illustres, on peut citer Pablo Servigne ou Jean-Marc Jancovici en France. Selon ce scénario, la crise liée à la pandémie est révélatrice du fait que nous avons atteint un point de non-retour :“l’effondrement, selon eux inévitable, de la civilisation industrielle dont la plupart des indicateurs ont irréversiblement dépassé les seuils d’alerte.” ”. L’écologiste français Noel Mamère parle de “répétition générale avant l’effondrement (Claisse, 2020, p9)” ou de la continuité d’un “processus déjà entamé (…) [qui] pourrait prendre plusieurs années (Claisse, 2020, p.9)”comme le pense le sociologue Dominique Bourg, mais aussi d’effondrement des réseaux de production et de distribution entraînant l’ensemble du système par un effet de dominos.Néanmoins, les théories de l’effondrement ne tournent pas uniquement autour de la manière ou du moment où le monde tel qu’on le connait va s’écrouler. Il serait très réducteur de ne retenir que le discours apocalyptique de ses partisans qui évoquent également “l’émergence de nouvelles formes de production, de consommation et de sociabilité dans la période de l’après, qui doit se préparer dès maintenant”(Claisse, 2020, p. 9). Sur ce point clé, il rejoint donc l’idée de changement prônée par le premier scénario.

Un effondrement différencié par des inégalités sociales accrues

En évoquant ce dernier scénario, l’auteur précise qu’il existe un registre voisin à celui de l’effondrement. “En réalité, il conviendrait plutôt de parler d’effondrement différencié’, tant la crise sanitaire précarise certaines catégories de la population ou certaines zones géographiques. Un des effets les plus soulignés de la pandémie est la manière dont la crise et sa gestion par le confinement révèlent les inégalités et intensifient les vulnérabilités. ”(Claisse, 2020, p. 10).

Le “retour des communs”, un autre scénario de l’effondrement

Durant la crise sanitaire, un autre phénomène important à noter est celui de la solidarité. De nombreuses initiatives ont fleuri un peu partout : fabrication de masques, de matériel de protection, distributions de nourritures, moyens pour contrer l’isolement… On observe « de la générosité et de l’inventivité des personnes pour pallier le manque de matériel médical, distribuer de la nourriture aux plus démunis ou garder le contact avec les personnes isolées (Claisse, 2020, p. 11) », plutôt que des gens qui se déchirent les uns les autres comme le laissaient croire divers scénarios de films apocalyptiques. Cette variante du scénario de l’effondrement impliquerait donc un retour aux valeurs importantes en communauté. “S’il est contre-intuitif, ce scénario de “retour des communs” n’est, en réalité, pas incompatible avec celui de l’effondrement – ni, d’ailleurs, avec celui d’un retour de l’Etat social, dont ces actions mettent en évidence l’impuissance ou la défaillance (Claisse, 2020, p. 11). »Parmi ces différents scénarios mais aussi de manière transversale, il convient maintenant de se demander où et comment va s’inscrire la promotion de la santé dans le monde de demain. Les intervenants en promotion de la santé se mobilisent. Pour Education Santé, associé à la note des Fédérations bruxelloises et wallonne de Promotion de la Santé, retour au « monde d’avant » et à ses inégalités toujours grandissantes n’est pas souhaitable.

Claisse, F. (2020). Covid-19: quatre scénarios pour l’après-crise. Les nouvelles des possibles : note de veille prospective de l’IWEPS, N°2. https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2020/04/NVPO02.pdf

D’après le prospectiviste Jim Dator, cité dans la note de l’IWEPS : Dator, J. (2009), « Alternative Futures at the Manoa School », Journal of Futures Studies, 14(2), pp. 1–18.