Lire dans nos gènes? Qu’en pensent les citoyens?
Les techniques de génétique humaine nous permettent aujourd’hui de dresser les cartes de nos gènes grâce à une série croissante de tests génétiques. Dans les années qui viennent, les méthodes d’identification de nos maladies ou de nos aptitudes potentielles vont continuer à faire d’immenses progrès.
Comment notre société va-t-elle encadrer l’utilisation de ces nouvelles techniques de prédiction? Doit-on laisser les experts, les lobbies et les décideurs répondre seuls à cette question où technique, économie et éthique sont étroitement mêlées?
Le risque est grand aujourd’hui, vu la complexité des questions traitées, de voir les citoyens écartés de ces réflexions, avec comme conséquence possible, de créer une incompréhension ou même une fracture entre les règles définies par les autorités et les populations.
Comment prévenir ce risque de fracture sociétale et permettre l’expression d’une citoyenneté active sur ces questions?
Les citoyens ont la parole
Notons d’abord que la société civile évolue « naturellement » face à l’apparition de nouveaux débats et que certaines ONG ( voir par ex. http://www.genewatch.org ) se sont déjà positionnées spécifiquement et de manière assez critique sur le terrain de la génétique. Il faut voir les actions de ces nouveaux acteurs comme une preuve de bonne santé des débats dans nos démocraties européennes.
Il importe également que les acteurs conventionnels du dialogue social relaient ces débats auprès de leurs membres et définissent leurs positions et leurs recommandations sur les utilisations des tests génétiques. Le colloque organisé les 24 et 25 mars derniers (1) montre bien comment des mutuelles par exemple peuvent fructueusement décider de porter ce débat.
Enfin, depuis une quinzaine d’années, des méthodes de participation directe de citoyens aux réflexions et aux débats sur l’utilisation de nouvelles technologies ont été mises en place dans différents pays d’Europe et d’Amérique du Nord principalement.
Sciences du cerveau, génétique, choix énergétiques… sont autant de domaines où l’évaluation des nouvelles technologies comporte une part importante d’éthique et de confrontation de valeurs et où la participation des citoyens peut apporter une plus-value non négligeable à la réflexion.
La particularité de ces différentes initiatives participatives est que les citoyens qui y prennent part passent toujours par une phase d’information préalable et que les dialogues précédent la formulation d’un avis collectif. Les avis formulés dans ce cadre par des citoyens sont certes moins représentatifs mais souvent plus riches, plus créatifs et plus argumentés que les «photographies» de l’opinion que l’on pourrait obtenir grâce à un sondage.
Là où de telles démarches sont mises en place, les avis des citoyens ne sont pas placés en concurrence avec les autres avis émis par les comités d’experts, mais au contraire viennent les compléter. Il faut cependant considérer que ces démarches sont assez lourdes à mettre en place et que, sans l’existence de solides relais avec les décideurs, les experts et la société civile, les avis formulés par un panel de citoyens risquent bien d’avoir très peu d’impact par rapport à l’énergie déployée.
C’est en ayant ces différentes considérations à l’esprit que la Fondation Roi Baudouin a organisé en Belgique la première conférence citoyenne sur les tests génétiques ‘Lire dans mes gènes?’.
L’objectif de cette conférence était de donner une chance à des citoyens de s’informer, de dialoguer et de faire entendre leur voix sur les questions de société que posent les tests génétiques.
Ce faisant, la Fondation souhaitait également familiariser les experts à la diversité et à la pertinence des avis et recommandations qui émanent de la population. A l’issue de la Conférence, la Fondation souhaitait d’une part, transmettre aux décideurs et personnes concernées un avis citoyen fondé et d’autre part, initier un débat plus large dans la société civile autour de la question des tests génétiques.
Une invitation a été lancée au hasard à six mille hommes et femmes vivant en Belgique. Deux cents personnes se sont portées volontaires. Sur cette base, un panel de trente citoyens a été constitué, non représentatif mais à l’image de la diversité de notre société belge.
Ces 30 citoyens se sont retrouvés durant 3 week-ends pour dialoguer entre eux, discuter et échanger sur ces questions avec différents invités. Le panel s’est d’abord familiarisé avec le thème avant de formuler les questions qui lui tenaient à coeur et de choisir les personnes ressources avec lesquelles il souhaitait dialoguer. Il ne s’agissait pas seulement de médecins ou de patients, mais aussi de représentants de compagnies d’assurance, de philosophes, de spécialistes des questions éthiques, de politiciens, de représentants d’associations de consommateurs…
Après cette phase d’information et de dialogue, les trente citoyens ont formulé leurs avis et propositions qu’ils ont présentés officiellement aux décideurs, aux diverses instances concernées, à la presse et au public belge.
L’avis du panel
Tout d’abord, et cela a souvent été constaté de par le monde dans pareille expérience, ce groupe de citoyens à qui l’on a donné les moyens de s’informer et qui a pris le temps du dialogue, a remis un avis fort équilibré, qui dénote un souci de vigilance active vis-à-vis de tout ce qui touche aux tests génétiques mais qui est dépourvu d’angoisse.
Ensuite, il faut noter la forte demande de renforcement des solidarités au sein de la société vis-à-vis des groupes risquant l’ exclusion génétique . Que ce soit face aux assurances ou aux banques, il est demandé de mettre en place d’une part, des garde-fous à l’utilisation des tests génétiques à des fins économiques et d’autre part, des systèmes de mutualisation qui permettent à tous d’accéder à une bonne couverture en matière d’assurances.
Enfin, le panel de citoyens a exprimé le souhait que les citoyens continuent à être associés aux débats futurs sur ces différentes questions.
La Fondation Roi Baudouin a largement diffusé cet avis et demandé aux différentes parties concernées d’y réagir. En parallèle, elle a lancé un appel à projets qui a permis de financer 19 initiatives de débats dans la société civile : Ligue des droits de l’homme, associations de médecins ou de patients, universités, écoles, institutions d’éducation permanente, autant de lieux où des débats sur les tests génétiques ont été à l’ordre du jour.
Le texte complet rédigé par le panel de citoyens et la liste des différentes initiatives soutenues est disponible sur le site http://www.mesgenes.be .
De l’avis même des citoyens ayant participé à cette Conférence citoyenne, celle-ci a permis de démontrer que des citoyens peuvent se mobiliser pour des questions qui ne touchent pas directement leur quotidien, qu’ils sont capables de prendre du recul par rapport à des questions complexes et qu’ils peuvent construire un avis nuancé et argumenté.
Aujourd’hui les grandes questions éthiques se discutent à l’échelle de l’Europe. La Commission met actuellement en oeuvre son programme d’actions ‘Sciences et Société’ dans lequel elle a défini ses objectifs en matière de participation des citoyens aux débats sur les progrès scientifiques. Quels pourraient être les modes de participation des citoyens à un niveau européen? Cette question constitue un vaste champ d’exploration de nouvelles gouvernances qu’une série d’institutions dans différents pays d’Europe, dont la Fondation Roi Baudouin, ont décidé d’investiguer dans les mois à venir. Je vous invite à me contacter pour de plus amples renseignements sur cette nouvelle expérience.
Gerrit Rauws , Directeur du programme Gouvernance, Fondation Roi Baudouin
Adresse de l’auteur: Fondation Roi Baudouin, rue Brederode 21, 1000 Bruxelles
(1) ‘Les nouvelles applications génétiques face à l’accès à la santé’, conférence organisée par la DG Recherche de la Commission européenne et les Mutualités socialistes