Parmi les relatives bonnes nouvelles données par l’enquête auprès des jeunes en âge scolaire, il en est une qui surprend: la consommation de tabac tend à diminuer, globalement, chez les jeunes depuis 1998. Peu, mais c’est un mouvement que l’on espère voir continuer. Luk Joossens , spécialiste en tabacologie auprès de la Fédération contre le Cancer, nous explique ces tendances.
La place laissée à la consommation de tabac chez les jeunes est relativement maigre dans cette enquête, par rapport à d’autres thèmes. Pourtant, le tabagisme constitue un véritable fléau. Néanmoins, il est devenu un objet de préoccupation des autorités, comme on l’a vu récemment avec le plan de lutte contre le tabagisme du ministre fédéral de la Santé, Rudy Demotte , et les mesures prises pour décourager la consommation de tabac. Par exemple, l’impression sur les paquets de cigarettes d’images des ravages de la cigarette, dont certaines sont particulièrement choquantes (1).
Pour ce qui concerne tout particulièrement les jeunes, les tendances en matière de consommation de tabac nous montrent globalement une diminution entre la fin des années 80 et les années 90, puis une progression vertigineuse tout particulièrement entre les enquêtes menées entre 1992 et 1998. Après cette période, le nombre de jeunes fumeurs a diminué, lentement mais sûrement.
« L’une des explications pourrait être trouvée dans la publicité . Les jeunes y sont particulièrement sensibles et dans les années 90 , il n’y avait aucune restriction drastique de publicité pour la cigarette . Elle était donc omniprésente et constamment associée , notamment dans les concerts et festivals de musique pour les jeunes , à la convivialité . Depuis l’interdiction de publicité en 1998 , on note une diminution . Ce n’est certainement pas un hasard , même si d’autres facteurs peuvent être intervenus », explique Luk Joossens.
En Belgique comme ailleurs
La baisse de consommation n’est pas propre à notre pays: « Cette tendance a été observée dans une grande partie de l’Europe , aussi bien dans le Nord que dans le Sud . Mais notre pays se distingue par le fait que filles et garçons fument tout autant , alors que dans la plupart des pays européens , le nombre de fumeuses a déjà dépassé celui des fumeurs …»
Un autre élément que confirme la dernière grande campagne de l’OMS, lors de la Journée mondiale contre le tabac, est l’inégalité socio-économique entre fumeurs et non-fumeurs: « Ces chiffres démontrent que les jeunes de l’enseignement professionnel et technique fument à peu près deux fois plus que les jeunes de l’enseignement général . Cela montre l’inégalité sociale sur laquelle repose le tabagisme . Les jeunes moins favorisés ont bien souvent des parents fumeurs , et ils s’identifient à eux ; le phénomène de groupe joue aussi davantage chez les moins favorisés qui vont s’identifier à d’autres amis fumeurs , plus nombreux dans cette classe socio – économique . On constate aussi que les écoles techniques et professionnelles sont moins souvent ‘ non – fumeurs’ que les écoles de l’enseignement général . Et puis , il y a un manque d’intérêt pour la sensibilisation aux questions de santé , les jeunes moins favorisés étant davantage sensibles à leur image extérieure , à des gadgets , à l’apparence .»
Des jeunes influencés par une image qui a prédominé dans la publicité durant des décennies, montrant les fumeurs comme des personnes indépendantes, libres (tout ce qu’elles ne sont pas par rapport à la cigarette!) et heureuses.
L’inégalité sociale est alimentée par le tabagisme: ce sont les populations moins favorisées qui sont les plus touchées par le tabac, mais surtout par ses ravages en termes de santé publique, et de frais de soins de santé qu’elles peuvent plus difficilement assumer…
Un combat difficile
Pour lutter efficacement contre le tabagisme chez les jeunes, il faut développer une série de mesures conjointes qui vont se renforcer les unes les autres. Ceci démontre bien la difficulté de toucher ces jeunes qui sont bien souvent insensibles à un message disant de préserver sa santé. « Ils n’ont pas conscience du danger . Ils vivent dans l’immédiat et la satisfaction instantanée , ils sont influencés par la mode . Le sentiment de danger n’est pas perçu puisqu’ils ne se rendent pas toujours compte que le tabagisme peut être à l’origine d’une maladie mortelle . Et même si le danger est bien connu , il leur semble bien lointain , ne les touchant que quand ils seront vieux ( c’est – à – dire à 40 ans !).» Et la phrase ‘il faut bien mourir de quelque chose’ est très souvent entendue dans leur bouche.
C’est pourquoi la décision du ministre Demotte de faire imprimer des images sur les ravages du tabac sur la santé risque de ne pas avoir un impact important sur ces jeunes. « Néanmoins cette mesure est bonne , car outre le fait que ces photos peuvent tout de même avoir un effet sur une petite partie des jeunes , elle peut influencer les parents fumeurs à arrêter de fumer . On sait que des parents qui ne fument pas auront moins de risques de voir leurs enfants fumer . Tout comme des parents qui arrêtent de fumer stimulent souvent leurs enfants fumeurs à faire de même .» Même si l’adolescence est un âge où l’on prétend se démarquer de ses parents…
Tentation de l’interdit, rejet et identification aux parents, danger mortel de la cigarette versus insouciance et envie de défi: toutes ces contradictions rendent le travail de prévention et de sensibilisation vers les jeunes très complexe. Les fabricants de cigarettes l’avaient bien compris en lançant le slogan ‘Fumer est un acte adulte et responsable’ qui, au lieu de décourager les jeunes à fumer les incitait au contraire à essayer…
Par ailleurs, Luk Joossens insiste sur la nécessité de travailler simultanément sur différents terrains: « Il faut parallèlement mener des actions permanentes d’information et de sensibilisation , notamment dans les écoles . Une autre mesure très efficace auprès des jeunes est l’augmentation drastique du prix des paquets de cigarettes : la consommation diminue à partir d’une hausse de quelque 45 cents ; en – dessous , cela ne fait que remplir les caisses de l’Etat … Enfin , il faut élargir l’interdiction de fumer dans les lieux publics et de travail , ou à l’école , mesure qui incite aussi à arrêter de fumer .»
Certaines de ces mesures ne visent pas spécifiquement les jeunes, car selon Luk Joossens, des actions spécifiques vers les jeunes seules ne mènent pas à grand chose. Raison pour laquelle il insiste davantage sur le rôle de l’entourage immédiat des jeunes que sur celui de l’école, en termes de prévention, contrairement à certaines conclusions de l’enquête. Mais surtout il insiste sur le fait que les actions d’information et de sensibilisation isolées sont inutiles.
Carine Maillard
Référence: D. Piette, F. Parent, Y. Coppieters, D. Favresse, C. Bazelmans, L. Kohn, P. de Smet, La santé et le bien-être des jeunes d’âge scolaire. Quoi de neuf depuis 1994?, ULB PROMES, décembre 2003. Le document est accessible sur le site http://www.ulb.ac.be/esp/promes . (1) Voir M. PETTIAUX, ‘Paquets de cigarettes: bientôt des avertissements sanitaires musclés’ , n°196, décembre 2004.