Janvier 2012 Par Anne LE PENNEC Initiatives

Le colloque ‘Villes, habitat et santé’ qui s’est tenu à Nantes (France) le 6 octobre dernier à l’initiative du Réseau français des Villes-Santé de l’OMS dessine les contours d’un vaste champ d’actions éducatives possibles et souhaitables autour de la santé environnementale.
Lancer “La santé n’est pas une compétence des villes” en ouverture du colloque ‘Ville, habitat et santé’ organisé par le Réseau français des Villes-Santé de l’OMS (RFVS) (1), était osé. Celle qui s’y est essayée à Nantes le 6 octobre dernier, en l’occurrence l’adjointe à la santé de la Ville, a vite précisé que son propos visait l’organisation des soins, effectivement exclue du champ d’action des villes françaises, et non la santé des habitants. Ouf! Un peu plus et le rendez-vous tournait court avant même d’avoir débuté. Compte tenu de la richesse des interventions qui ont suivi, c’eût été dommage pour la centaine de participants venus de toute la France afin de faire le point sur l’art et la manière de promouvoir un habitat sain.
Le RFVS a profité de l’occasion pour présenter le dernier-né de ses guides méthodologiques intitulé ‘Pour un habitat favorable à la santé, les contributions des villes’ (2). La douzaine d’interventions programmées et les échanges avec la salle ont dressé du sujet un portrait bigarré où les nuisances sonores côtoient les risques liés aux ondes électromagnétiques, où l’isolation thermique fait le lit du confinement et où l’excès de lumière naturelle peut désorganiser la production hormonale des habitants… Les débats se sont déroulés dans le vaste amphithéâtre de l’École supérieure d’architecture de Nantes dans lequel résonnait par intermittence le bruit du chantier de construction voisin et quelques sonneries de téléphones portables.

Risques tous azimuts

«Chercher le meilleur compromis entre énergie, économie et santé représente un changement de culture» , selon Delphine Saint-Quentin , consultante chez Wigwam Conseil (Nantes) dont le métier consiste à accompagner les acteurs impliqués dans toutes les phases de vie des bâtis, depuis la conception jusqu’à l’installation des occupants.
La thématique santé dans le bâtiment, composante de la santé environnementale, ne date pas d’hier. Les intoxications au plomb ou au monoxyde de carbone comme la nécessité de poursuivre la lutte contre l’habitat insalubre reviennent sur le devant de la scène avec une régularité exemplaire, désespérante. Pour autant il faut désormais composer avec des problématiques récemment apparues. Pour le Prof. Suzanne Déoux , ORL et expert en politique de l’habitat sain, la nouveauté consiste bien en “la nécessité de faire des économies d’énergie sans faire l’économie de la santé.” Les paramètres sanitaires à prendre en considération sont nombreux: température, hygrométrie, lumière naturelle et éclairage artificiel, acoustique, qualité de l’air intérieur, de l’eau, des espaces. «La lumière ne sert pas qu’à voir», insiste l’experte. «Elle permet la sécrétion d’hormones, tout comme l’obscurité dans laquelle nous en produisons d’autres tout aussi indispensables.» À bon entendeur: rester dans la lumière trop longtemps pourrait avoir des effets néfastes sur notre santé…
La prévention plutôt que la répression

L’histoire de la problématique de l’habitat insalubre, retracée par Philippe Ritter , directeur du service d’écologie urbaine de la Ville de Lyon, illustre bien l’évolution des risques santé liés à l’habitat. «Les permis de construire ont d’abord été un instrument sanitaire, instaurés en France pour garantir la salubrité des logements» , rappelle-t-il. «L’insalubrité était en voie de résolution à la fin du XXe siècle mais elle réémerge au XXIe siècle avec le saturnisme infantile, l’augmentation de la prévalence de la maladie asthmatique ou encore l’inadaptation du logement à la canicule.» Et de citer les rénovations sauvages de caves, garages et combles ou certains aménagements de pas de porte à des fins locatives comme exemples de logements insalubres modernes. Le constat fait, reste à décider de la meilleure façon de réagir. Plutôt que d’avoir recours à la répression via le Code de la santé publique, celui de l’urbanisme ou le règlement sanitaire départemental, Philippe Ritter, qui rêve de «logements durables sur le marché et pour leurs habitants» , préfère miser sur la prévention. Avec d’autres, il prône l’usage de la pédagogie auprès des propriétaires, des bailleurs mais aussi des architectes pour «freiner l’apparition sur le marché de néo-taudis» .
Non aux bâtiments thermos!

La performance énergétique des bâtiments, recherchée conjointement par les architectes et par les foyers, est fréquemment montrée du doigt par les défenseurs de la santé des occupants. Sans remettre en cause la vocation à la fois écologique et économique d’une telle quête, il faut avouer qu’elle suit une logique difficile à concilier avec la promotion de la santé.
Le choix peut s’avérer cornélien: calfeutrer toutes les ouvertures pour limiter les déperditions de chaleur ou ventiler régulièrement les habitats pour y maintenir une qualité de l’air satisfaisante? Pour résoudre l’équation, le plus sage serait de limiter les sources de pollution telles qu’un chauffage défectueux producteur de monoxyde de carbone, un taux d’humidité élevé qui favorise le développement des moisissures ou encore l’usage de multiples produits d’entretien. Puis de renouveler l’air… au risque de faire chuter temporairement la température intérieure. «Des systèmes de ventilation existent pour éviter que les bâtiments ne deviennent des bouteilles thermos» , renchérit Bettina Horsch , architecte spécialisée en biologie de la construction. «Encore faut-il apprendre aux usagers à les utiliser et à les entretenir correctement.»
Nos vies intérieures

L’air intérieur et les fluctuations de sa qualité préoccupent sérieusement les acteurs de la promotion de la santé environnementale, conscients que nous vivons près de 80 à 90% de notre temps dans des lieux clos. L’Association pour la prévention de la pollution atmosphérique (APPA) (3) fait partie de ceux qui s’inquiètent. Depuis 2007, son antenne régionale du Nord-Pas-de-Calais accompagne les collectivités dans leurs projets de prévention des problèmes liés à la qualité de l’air intérieur au domicile des publics précaires. Elle incite à la constitution de comités d’acteurs composés à tout le moins par les bailleurs, les services d’hygiène de la commune, la mairie, les intervenants à domicile… «Plus un technicien très motivé pour porter la démarche localement» , ajoute Caroline Chambon , chargée de mission de l’association. L’originalité de la démarche réside dans la combinaison d’une formation de ces personnes ressources et d’une visite au domicile, assurée par des étudiantes infirmières, pour déterminer avec les occupants les problèmes d’air intérieur qui sont les leurs (produits ménagers, monoxyde de carbone, humidité, tabac, etc.) et dispenser un premier niveau de conseils. «L’aération et les produits ménagers s’avèrent être les portes d’entrée les plus efficaces» , rapporte Caroline Chambon. «Le premier geste, qui dans plus de la moitié des cas suffit, consiste à aérer. Si d’autres actions sont nécessaires, le relais peut être pris par les acteurs locaux.» D’où l’importance de l’étape préalable de formation des professionnels. En quatre ans, près de 50 acteurs ont ainsi été formés par l’APPA qui a visité plus de 550 foyers dans quatre communes.
Quand les nuisances sonores créent du lien social

Autre loup dans nos bergeries: le bruit. Si les villes sont bien moins bruyantes qu’elles n’étaient du temps des pavés et des charrettes, les actuelles nuisances sonores ont des conséquences extra-auditives bien connues: effets cardiovasculaires, troubles du sommeil, de la concentration, des apprentissages. Là aussi le problème revêt parfois de nouveaux visages avec notamment l’amélioration des techniques du BTP: lorsqu’une meilleure isolation réduit le bruit extérieur, elle amplifie du même coup le bruit intérieur dû aux équipements et aux activités des occupants.
Selon un sondage réalisé en 2010, 2 Français sur 3 se disent gênés par le bruit à domicile. Au Centre d’information et de documentation sur le bruit (CIDB) (4) où travaille la psychologue de l’environnement Valérie Rozec , des plaignants appellent tous les jours. «À niveau sonore égal, il existe de grosses différences de perception interindividuelles du bruit» , explique-t-elle. «Être envahi chez soi, dans son refuge, par le bruit d’un voisin, du trafic, d’une activité professionnelle ou de loisir peut être vécu comme une perte de contrôle et tourner à l’obsession.» À en croire un rapport de l’OMS publié en 2011 (5), le phénomène a des conséquences en termes de santé publique et se traduit en nombre d’années de vie en bonne santé perdues. Pour agir, le CIDB endosse l’habit du médiateur entre plaignants et fauteurs de troubles par le biais de son service d’accueil téléphonique gratuit. «Nous incitons à la résolution des conflits à l’amiable et au développement du lien social entre les personnes» , résume la psychologue.
On n’y capte toujours rien!

Une journée au croisement des thématiques ville, habitat et santé ne pouvait faire l’économie d’une communication sur les ondes électromagnétiques. Cette question de santé environnementale, polémique s’il en est avec son lot de luttes acharnées à coup de données chiffrées, d’incertitude et de paranoïa de part et d’autre, présente un caractère singulier et embarrassant dans le paysage des risques sanitaires: son tout jeune âge.
«Au risque de vous décevoir, j’ai peu de réponses à vous apporter quant aux effets sur la santé des ondes électromagnétiques» , a d’emblée admis Olivier Merckel , de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) (6). Force est d’admettre que la communauté scientifique sèche. Hélas! On aimerait tant pouvoir s’en remettre à elle, qu’elle nous fournisse des résultats éclairants quant à l’impact sur l’organisme humain des signaux émis et reçus dans nos intérieurs par les appareils électroménagers, cablâges électriques, ampoules fluocompactes, connexions WIFI et autres téléphones. Le diagnostic actuel, imprécis, mène à des mises en garde du type ‘radiofréquences possiblement cancérigènes en cas d’usage à long terme et intensif’. Pour obtenir des réponses sur les effets à long terme des ondes et des nouveaux signaux comme le 4G, les impacts sur les enfants ou les personnes électrohypersensibles, repassez plus tard. Idem pour la prévention, qui a bien du mal à se faire une place dans ce brouillard. Sur le terrain, les collectivités font plus ou moins face à la controverse publique. La Ville de Rennes a engagé en 2002 la rédaction d’une charte des antennes relais qui contribue à ouvrir le dialogue entre riverains et opérateurs. Aujourd’hui, la commune orchestre une campagne de mesures de l’ensemble des couvertures de son territoire. «Les mesures permettent d’objectiver» , salue Olivier Merckel.
La transversalité de la santé

En matière de logement et d’habitat, la santé se niche donc dans tous les coins: de la construction à l’entretien des locaux, des collectivités publiques qui ont bel et bien des compétences en matière de salubrité, prévention des risques et santé publique aux individus qui par leurs gestes et leurs activités influent directement sur leur environnement. Il y a fort à parier que le caractère transversal de l’approche sanitaire dans le logement ne fait plus doute dans l’esprit des personnes qui ont assisté à ce colloque. Bien sûr elle ne va pas de soi et n’est pas toujours la priorité immédiate. Bien sûr agir en santé requiert de la méthode pour faire émerger les demandes et les préoccupations de tous les acteurs d’un projet. Pour autant, si comme Jean-Luc Potelon , professeur à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) l’a appelé de ses voeux, une vraie prise de conscience des effets sanitaires de l’habitat s’opère, suivie d’une réduction des pratiques en tuyaux d’orgues au profit de la construction d’une réponse globale et coordonnées des acteurs, nous aurons fait un grand pas.
Anne Le Pennec , correspondante Éducation Santé en France
(1) http://www.villes-sante.com
(2) Pour un habitat favorable à la santé. Les contributions des villes. Réseau français des Villes-Santé de l’OMS, Presses de l’EHESP, 2011
(3) http://www.appa.asso.fr
(4) http://www.bruit.fr
(5)La charge de morbidité imputable au bruit ambiant. Quantification du nombre d’années de vie en bonne santé perdues en Europe. Rapport de l’OMS, 2011.
(6) http://www.anses.fr