juillet 2023 Par Juliette VANDERVEKEN Initiatives

C’est à la mi-mai qu’Education Santé a poussé la porte des Pissenlits, au cœur de Cureghem à Bruxelles, pour rencontrer Fatima, Joëlle, Loubna, Naïma et une partie de l’équipe. Le but de notre rencontre : présenter l’ouvrage récemment paru, le Journal intime d’un groupe de femmes – Une mise en œuvre de la démarche communautaire en santé. D’emblée, le titre nous a questionné. Pourquoi avoir assemblé ces termes qui ne se rejoignent pas au premier regard ? Attablées avec le groupe de femmes porteuses du projet, celles-ci nous racontent comment, au travers de cet ouvrage, elles ont lié l’intime, le groupe et le collectif.

couverture journal
crédit image: Raquel Santana de Morais

Le groupe de paroles

« Il faut remonter assez loin dans le temps », démarre Vérane Vanexem, co-coordinatrice des Pissenlits et une des deux responsables du projet, « mais comme tous les projets des Pissenlits, celui-ci est né d’une demande des participantes ». Au départ, un groupe « santé et bien-être » alliait séances de sport et discussion autour de thématiques santé. Progressivement a émané un groupe « santé au féminin » pour aborder des questions plus spécifiques telles que le dépistage du cancer du sein, la nutrition, les allergies… C’est à la suite de leurs rencontres avec Catherine Markstein, fondatrice de Femmes et Santé, pour aborder la ménopause que le groupe est devenu « Femmes, hormones et société ». Un groupe qui souhaitait se rassembler pour aborder les différentes étapes de la vie d’une femme. « Dès le départ, l’idée était d’enregistrer les échanges pour en faire un recueil, sans avoir une idée plus précise de la forme que cela prendrait », avance déjà Vérane.

Ce sont au total 19 femmes qui ont participé aux échanges durant les 4 années où le groupe s’est rencontré, d’âges différents, d’origines ou de cultures différentes, certaines mamans ou épouses, d’autres non, des femmes sourdes et des femmes entendantes. « Certaines sont venues du début à la fin à toutes les réunions, d’autres ne sont pas restées jusqu’au bout. Mais chacune, d’une façon ou d’une autre a contribué à cet ouvrage », complète Joëlle.  

Un cadre pour partager l’intime

Démarrer le groupe de parole impliquait dès le départ de poser un cadre bienveillant, respectueux, et surtout la nécessité de taire à l’extérieur ce qui se partageait à l’intérieur. « C’est un endroit où on pouvait s’exprimer en toute confiance, raconte Naïma. On avait une charte de confidentialité qui nous a mises à l’aise, on a pu raconter des histoires intimes sans s’inquiéter que ça sorte des murs. » L’engagement, oral au départ, a pris la forme d’une charte écrite plus formelle (et collectivement construite) après que l’équipe des Pissenlits ait été conseillée par une psychologue spécialisée dans les récits de vie et un avocat.

« Je n’arrivais plus à m’arrêter de parler »

Au cours de notre conversation, une participante mentionne plusieurs fois à quel point les échanges du groupe de parole lui ont « fait du bien ». Avant de revenir sur le processus de création du journal intime, nous questionnons les femmes présentes : en quoi participer au groupe de parole vous a fait du bien ?

« Ça m’a permis d’extérioriser des choses que je n’osais pas exprimer dans ma communauté, dans mon couple ou avec mes enfants, explique tout de suite l’une d’entre elles. On a pu rencontrer des professionnelles (une sexologue, une anthropologue, une psychologue…). J’ai pu comprendre des choses, me libérer et dire des choses que je ne pouvais pas dire à mes proches. Ici j’ai trouvé un endroit où j’ai pu m’exprimer librement, je portais un poids à l’intérieur qui a pu sortir… ça m’a soulagée, libérée. Et du coup, le débit ne s’arrêtait plus avec moi ! ”, ajoute-t-elle en riant.

Loubna raconte qu’au départ elle ne s’attendait pas à grand-chose et pensait venir sans a priori. “Je réalise qu’en fait j’arrivais avec des idées, mais je repartais avec d’autres (rires). On a parlé, on a débattu chaque idée. Pour moi, c’était une forme de bien-être de venir au groupe.” Et Fatima renchérit : “Je n’avais jamais vraiment osé parler et m’exprimer dans un groupe, j’en ai peu l’occasion dans ma vie. J’ai changé ici, j’ai pu m’ouvrir”. Joëlle confirme : “l’ouverture. (…) Au premier abord, tout nous différenciait, et je ne suis pas sûre que nous nous serions rencontrées sans ce groupe de paroles… pendant des années !  Pourtant, la puberté, les règles, nous sommes toutes passées par là.

La rencontre de la théorie et du vécu

Occasionnellement, à la demande du groupe, une professionnelle (ce ne sont que des femmes qui ont participé, bien que ça n’ait pas été un critère) était invitée à rencontrer le groupe. Pas question ici de déverser un savoir et de tourner les talons, mais de participer à une dynamique d’échange. “Ces professionnelles arrivent avec un savoir parfois théorique qui rencontre ici le vécu des personnes. C’est un contact dont la plupart n’ont pas l’habitude. Elles nous ont toutes dit être reparties nourries des échanges, avoir pris conscience d’aménagements possibles dans leur consultation (pour l’accueil des personnes sourdes et malentendantes, par exemple), etc. », ajoute Frédérique Dejou, co-coordinatrice des Pissenlits et aussi responsable du projet.

Un savoir collectif, sujet après sujet

Joëlle insiste par ailleurs sur un autre aspect clé de la démarche communautaire : « nous prenions le temps qu’il fallait. Chaque sujet pouvait durer plusieurs séances. Quand nous avions l’impression d’avoir fait le tour, nous décidions ensemble de passer à un autre sujet. »

Mais un fil rouge a relié toutes les thématiques entre elles : les questions autour de ce qui est inné, naturel, acquis ou culturel dans chaque étape de la vie des femmes. “Ce sont ces réflexions collectives qui ont fait que ce travail intime est devenu un travail de groupe. Nous ne sommes pas restées au niveau des histoires individuelles et intimes, mais nous avons construit un savoir collectif”, appuie Vérane.

Du groupes de paroles à l’écriture d’un journal intime

Pour passer d’un groupe de paroles de l’intime à un groupe de co-rédactrices d’un journal collectif, il y eut tout un processus à vivre, tant pour les participantes que pour les chargées de projet. En effet, toutes témoignent que, prises dans les échanges au fil des rencontres, elles avaient jusqu’à oublié l’idée du recueil. « Il y a donc eu une phase où les participantes ont vécu pleinement les apports d’un groupe de paroles, puis ce temps charnière où des questions nous ont occupées durant plusieurs mois : comment passer de la parole intime vers un récit à rendre public ? » (Frédérique).

Un petit groupe plus restreint – cinq femmes et des responsables de projet dont les deux avec lesquelles nous discutons ce matin- s’est alors engagé dans le long processus de rédaction et d’anonymisation des récits. Un personnage du livre peut cacher plusieurs femmes, ou plusieurs personnages ne sont en fait qu’un même témoignage, les lieux ont été changés, etc. L’enjeu a été à la fois de rendre compte du réel, garder l’essence de ce qui a été partagé sans dénaturer le récit, tout en garantissant l’anonymat (et l’intime). Même les illustrations du Journal ont fait l’objet d’un choix collectif et d’un travail de co-création.

« C’est un journal intime car chacune de nous a raconté sa propre histoire. Mais le fait de pouvoir échanger et partager a fait de nous un groupe » – « Comme ça nous avait fait vraiment du bien et permis de comprendre les différentes cultures ou traditions, pourquoi ne pas le transmettre à d’autres personnes ? Ce journal intime d’un groupe allait devenir collectif ».

Loubna et Naïma

Ce travail d’écriture a lui aussi laissé des traces auprès des femmes qui y ont participé. « En relisant une histoire que j’avais racontée, nous explique Naïma, je me suis mise à pleurer, je voulais même retirer cette histoire du Journal. Je me suis rendu compte que je n’étais plus d’accord avec la manière dont j’avais agi à l’époque, que j’aurais pu réagir autrement, dire autrement… Finalement, j’ai accepté qu’on laisse cette histoire, elle pourra servir aux autres. Et moi, je sais que si je revis ça, ce sera différent cette fois. » Joëlle ajoute : « Quand j’ai relu certains passages près de 10 ans plus tard, ça m’a donné une grande confiance en moi ! En fait, je savais déjà plein de choses, je n’étais pas naïve, ça a apaisé des peurs que j’avais d’être ignorante. Je ne m’attendais pas du tout à ressentir ça. »

La deuxième partie du livre : la méthodologie

Le livre ne s’arrête pas au Journal intime mais comprend une seconde partie sur tout le processus méthodologique. Bien que le Journal en lui seul soit déjà un riche outil, il permet également d’illustrer la démarche communautaire telle qu’elle est pensée et pratiquée aux Pissenlits. Cette seconde partie a d’ailleurs été rédigée par l’équipe et engage sa vision institutionnelle.

Bien que plusieurs éléments de la démarche communautaire en santé aient été amenés tout au long de cet article (la participation, la co-construction, le temps…), Frédérique revient sur la notion de « communautaire », entendue au-delà d’un territoire, d’un quartier « géographique ». « La démarche communautaire fait appel, chez nous, à une méthodologie de projet et au fait de faire communauté et de créer du lien. Notre porte d’entrée n’est pas non plus identitaire (être issu.es de la migration ou d’une communauté ethnique spécifique, être sourd.es, etc.), tous nos projets sont en mixité inclusive au niveau des âges, des cultures… sauf celui-ci qui est réservé aux femmes. Ce sont des communautés d’intérêt qui se rassemblent autour d’un sujet ou d’une thématique. »

Un message pour les suivant.es ?

« On sait quand on commence, mais on ne sait pas quand on finit ! » lance Loubna, accompagnée des rires de tout le monde. Toutes s’accordent à souligner à quel point ce fut riche en termes d’apprentissage et de connaissance de soi et des autres, mais un travail fastidieux pour aboutir à une restitution écrite collective en respectant ce que chacune avait déposé dans la confiance.

« Lancez-vous, vous en ressortirez changé.es ! »

A découvrir en version imprimée (livre) ou traduit en langue des signes (vidéos)

Auto-édité par l’asbl les Pissenlits, le Journal intime d’un groupe de femmes – Une mise en œuvre de la démarche communautaire en santé est disponible sous forme de livre sur demande auprès de l’équipe. La première partie du livre (le Journal intime) est également disponible en langue des signes francophones de Belgique (LFSB) sous forme de capsules vidéo. Retrouvez-les sur le site www.lespissenlits.be ou via Youtube (sous le compte @asbllespissenlits1336), ou encore en scannant le QR code imprimé dans le livre/en le demandant à l’équipe.

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