Septembre 2025 Par Déborah FLUSIN Réflexions

Les femmes ne sont pas des vieux comme les autres. A l’intersection du genre et des âges, les femmes vieillissantes font souvent face à des discriminations multiples et invisibilisées. Des Asbl engagées contre l’âgisme et les inégalités de santé tentent de mobiliser avec des actions de promotion de la santé.

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En Belgique, l’âgisme n’impacte pas toutes les personnes âgé.es de la même manière : les femmes sont plus touchées. Selon Amnesty International Belgique, 37% des femmes de 55 ans et plus ne se sentent pas vieilles mais le regard que la société porte sur elles leur donne le sentiment d’être vieilles. La proportion d’hommes est seulement de 23%. Par ailleurs, 53% des femmes pensent que les aîné·e·s ne sont pas représenté·e·s de manière positive dans les médias, les messages publicitaires, etc., contre 37% pour les hommes.

Les femmes belges vivent plus longtemps, certes, mais en moins bonne santé que les hommes, selon la dernière enquête santé de Sciensano. « La qualité de vie liée à la santé est un indicateur synthétique qui permet d’avoir une vue globale de la santé physique et mentale des personnes. C’est un indicateur pour lequel les femmes ont toujours un score plus bas que les hommes quel que soit l’âge et qui se détériore chez les femmes avec la montée en âge », explique Aline Scohy. Avec Rana Charafeddine, elles participent et coordonnent les enquêtes santé de Sciensano. « Lorsqu’on a croisé le genre, l’âge et la région pour la qualité de vie liée à la santé, on a pu mettre en évidence que les femmes âgées qui vivent en Wallonie et à Bruxelles sont la population la plus vulnérable en Belgique » ajoutent les chercheuses.

En 1972, dans un article devenu célèbre, The Double Standard of Aging, l’écrivaine américaine Susan Sontag mettait en évidence l’injustice avec laquelle la société juge leur vieillissement par rapport à celui des hommes. Tandis que les hommes se bonifient avec le temps et gagnent en autorité, en crédibilité ou même en charme, le jugement pour les femmes est beaucoup plus sévère. Dès que les premiers signes de vieillissement apparaissent, dès que cesse leur fonction reproductive, elles sont souvent perçues comme « déclinantes », mises à l’écart des rôles valorisés, désexualisées, disqualifiées et invisibilisées.

Un double stigmate

Plus d’un demi-siècle plus tard, ce double standard n’a presque rien perdu de sa pertinence. 24% des femmes de 55 ans et plus se sentent abandonnées ou négligées par la société actuelle contre 14% des hommes. Davantage stigmatisées, elles font aussi plus sujettes à l’humiliation, la dévalorisation ou l’infantilisation selon l’enquête Amnesty.  « Les femmes sont particulièrement décrédibilisées dans leur parole et dans leurs choix. Le double stigmate âge-genre va jouer sur comment je suis entendue pour faire des choix pour moi » constate Estelle Huchet de l’ASBL Droits Devant. Cette décrédibilisation se retrouve également dans l’âgisme bienveillant où : « on accompagne, on fait à la place de, avec le moteur de l’expertise comme « j’ai étudié, je sais ce qui est bon pour toi », ou le moteur de l’amour » explique Pascale Broché de Respect Seniors.

Ce double standard continue de façonner les trajectoires professionnelles et sociales des femmes, particulièrement celles de 45 à 65 ans, période charnière où l’asymétrie devient encore plus stigmatisante. Passer un certain âge, aux environs de la ménopause, elles sont nombreuses à témoigner de cette invisibilisation progressive. Les femmes ménopausées se retrouvent dans un statut ambigu qui « résulte de la perte de rôles traditionnellement valorisés, d’une visibilité sociale réduite, et de stéréotypes restrictifs liés à l’âge. Cette position est exacerbée par une double aliénation liée à leur genre et à leur âge, les marginalisant davantage et remettant en question leur place et leur valeur dans la société », comme l’écrit Sylvie Martens, responsable chez Enéo, un mouvement social de la MC dans un article paru en mars 2024[1].

La perte de latitude financière

En juin dernier, pour alerter sur ce problème, la Fondation des femmes a réalisé une étude en France sur le coût de la séniorité sur les femmes. Entre carrières enlisées, précarité croissante et santé négligée, cette étude montre les mécanismes qui transforment la mi-vie en piège économique et social pour des millions de femmes dont l’invisibilisation commence dès la quarantaine. « Entre 40 et 60 ans, à chaque bougie soufflée, une femme salariée perd en moyenne 7 862 euros par rapport à un homme du même âge », ce qui représente 157 245 euros sur 20 ans. Ce manque à gagner est le résultat d’un double mécanisme : le sexisme et l’âgisme. Ils se conjuguent pour exclure progressivement les femmes de la vie économique, au moment même où leurs compétences, leur expérience et leur disponibilité devraient être pleinement valorisées.

Contrairement aux hommes pour qui la qualification s’accroît avec l’âge et l’expérience professionnelle accumulée, les femmes connaissent une stagnation, voire une régression de leur carrière à partir de la mi-vie. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En Belgique, l’écart salarial (différence de salaire horaire) et l’écart de taux d’emploi entre les sexes augmentent nettement avec l’âge.

C’est en fin de carrière que l’écart se creuse le plus. Entre 55 et 64 ans, ils sont à leur plus haut niveau : les hommes gagnent en moyenne 8,5% de plus que les femmes, et l’écart du taux d’emploi est de dix points (55,1% des hommes de 55-64 ans sont en emploi contre 45,6% des femmes de 55-64 ans[2]). A la retraite les femmes perçoivent une pension de 26% inférieure à celle des hommes en moyenne, ce qui accroît leur risque de pauvreté, de dépendance et de vulnérabilité[3].

Les exclusions et inégalités basées sur le genre et l’âge observées à partir de la quarantaine chez les femmes sont le résultat d’obstacles cumulés dans les parcours de vie : carrières discontinues, métiers dévalorisés, surcharge et stress provoqués par le soin aux proches, temps partiels contraints pour s’occuper des enfants ou de proches dépendants[4], absence d’aménagements raisonnables au travail spécifiques liés à la santé reproductive et sexuelle des femmes, exposition aux maladies chroniques, plafonds de verre renforcés… « C’est une combinaison de facteurs qui conduit à cet état de qualité de vie moindre en particulier chez les femmes vieillissantes, c’est pourquoi il est compliqué de démontrer les phénomènes, d’expliquer et d’agir » rappelle Aline Scohy.

Réclamer l’égalité des droits et la participation

« On vieillit comme a vécu » résume Estelle Huchet qui plaide pour une approche intersectionnelle : croiser le vieillissement avec d’autres critères (genre, origine, handicap, orientation sexuelle etc.). C’est ce manque qui a motivé l’élaboration du rapport sur la santé des femmes de Sciensano. « Dans nos enquêtes santé, habituellement on présente pour chaque indicateur les différences hommes-femmes, mais cela ne suffit bien souvent pas pour voir les vulnérabilités des femmes » explique Rana Charafeddine.  

La vieillesse comme stigmate a tendance à prendre le pas sur les autres discriminations de genre, de classe, d’origine, de sexualité etc. non pour les annuler mais pour les subsumer. « L’âgisme a tendance à invisibiliser les autres formes de désavantages, alors qu’ils se cumulent » analyse Estelle Huchet. Pour cette raison, l’Asbl Droits Devant lutte contre l’âgisme en le pensant comme un problème d’égalité des droits. Dès sa création en juillet 2024, l’Asbl Droits Devant a sondé une soixantaine d’acteurs dans le domaine de la vieillesse et dans celui des droits humains pour faire un état des lieux du sujet, collecter les obstacles et les réponses existantes et manquantes. Elle a constaté « que les acteurs associatifs et institutionnels ne faisaient pas toujours le lien entre âgisme et droits humains ». L’asbl propose de répondre à l’âgisme non pas en terme psycho-social mais en se plaçant au niveau du droit et du principe de participation « rien sur moi sans moi » inspiré des domaines du handicap et des droits des femmes.

En 2025, l’OMS a d’ailleurs adopté une résolution pour élaborer une convention pour les droits des personnes âgées pour lutter contre l’âgisme. Elle doit rappeler que les droits humains ne disparaissent pas avec l’âge, mais doivent, au contraire, être renforcés. Plusieurs principes devraient structurer le texte : Interdiction claire des discriminations liées à l’âge, accès équitable à la justice, aux soins et aux services publics, renforcement de la protection des personnes âgées en situation de crise humanitaire ou sanitaire. Par ailleurs, l’OMS mène une campagne de lutte contre l’âgisme et, pour combler les lacunes en matière de recherche et de données, elle prépare un « baromètre de l’âgisme » afin de mesurer et de comprendre la prévalence et la nature de l’âgisme dans chaque pays pouvant être intégrer dans les enquêtes nationales sur la santé des pays.

Vieillesse ennemie !

Dans son tout premier rapport sur l’âgisme publié en 2021, l’OMS recommandait d’agir sur les représentations dès le plus jeune âge, de mobiliser le droit et les politiques pour lutter contre les inégalités liées à l’âge, ou encore de développer des activités intergénérationnelles et des espaces de partages.

En Wallonie et à Bruxelles, l’ASBL Respect Seniors travaille justement à déconstruire les représentations sur la vieillesse avec une pièce de théâtre-action intitulée « Vieillesse ennemie » créée par la compagnie de l’Alvéole. Elle se compose de plusieurs saynètes qui abordent différents thèmes et stéréotypes associés comme le huis clos familial ou la relation conflictuelle à l’aidant pour « sensibiliser l’entourage et les institutions au fait que les aîné.es gardent une sexualité, une individualité, et aussi qu’ils peuvent faire l’objet de violence conjugale ou institutionnelle ».

Pour élaborer des stratégies efficaces et inclusives, il est important de garder à l’esprit que l’âgisme a tendance à masquer toutes les autres discriminations fondées sur le genre, la race, le handicap, l’orientation sexuelle, le statut socio-économique. L’âgisme combiné au sexisme pose de façon criante la question de la place et de la valeur des femmes vieillissantes dans nos sociétés. Unia a lancé une enquête pour mieux documenter les discriminations liées à l’âge en Belgique et leurs intersections avec d’autres formes d’inégalités comme le genre. Les résultats, attendus pour novembre prochain, devraient permettre de formuler une série de recommandations spécifiques pour la Belgique.

Références
Unia
Respect Seniors, Agence Wallonne de lutte contre la maltraitance des aînés : respectseniors.be/ et la pièce Vieillesse Ennemie de l’Alvéole Théâtre 
Droits devant 
Énéo, le mouvement social des aînés
– Sciensano, Rapport sur la santé des femmes 2024
– OMS, Campagne de lutte contre l’âgisme 

[1] eneo.be/wp-content/uploads/2024/03/202401-Au-dela-de-la-procreation-Lambiguite-de-statut-des-femmes-vieillissantes.pdf
[2] igvm-iefh.belgium.be/sites/default/files/136_-_rapport_ecart_salarial_2021_0.pdf
[3] Institut pour l’égalité des Femmes et des Hommes, Étude relative à l’analyse de la
dimension de genre dans le système de pension belge

[4] Un quart des femmes occupant un temps partiel le font pour s’occuper des enfants ou de personnes proches et dépendantes